Airbus a convaincu Bombardier de lui laisser le contrôle du CSeries, dans lequel le groupe canadien a déjà investi à perte six milliards de dollars, en promettant de mettre à disposition de l'appareil sa force de frappe commerciale.

Les équipes commerciales d'Airbus sont pourtant ébranlées par le recul des ventes du groupe et par les enquêtes internes et externes ouvertes pour des soupçons de corruption.

Tom Enders, président exécutif de l'avionneur européen, a invité ses troupes à garder leur sang froid malgré les accusations de versements d'argent à des intermédiaires dans des ventes d'avions civils et de fraude dans un contrat Eurofighter.

L'ambiance au siège du groupe à Toulouse reste cependant morose.

"Bombardier a appelé une ambulance et Airbus a envoyé un corbillard", a dit une personne étroitement liée à l'avionneur.

L'attention portée aux enquêtes a permis de garder le secret sur les négociations autour du CSeries. Des rumeurs ont circulé fin août selon lesquelles Tom Enders et l'un de ses collaborateurs se trouvaient à Paris pour y rencontrer des enquêteurs. Ils étaient en fait venus participer au premier de plusieurs dîners de travail avec Bombardier.

Le scandale de corruption présumée commence néanmoins à peser sur les ventes. Dans son duel face à l'américain Boeing, Airbus traverse une passe difficile et ses ventes n'ont représenté que 35% des livraisons mondiales d'avions sur les neuf premiers mois de l'année.

AIRBUS DÉMENT TOUTE DÉSTABILISATION

Les équipes commerciales d'Airbus sont démoralisées et désorientées, affirment de multiples sources du secteur aéronautique, certains reprochant à Tom Enders d'avoir tiré une balle dans le pied du groupe en décidant d'alerter les autorités sur les versements présumés à des intermédiaires à la suite d'une enquête interne.

D'après deux sources, la situation est tellement tendue que certains employés préfèrent s'abstenir de conclure des contrats dans certains pays jugés problématiques plutôt que de courir le risque d'être ensuite concernés par l'enquête ou soumis à de rudes interrogatoires par les avocats d'Airbus.

L'emblématique directeur commercial John Leahy, qui a prévu de partir prochainement à la retraite, a été prié de rester jusqu'à la fin de l'année pour stabiliser la situation mais son successeur n'a toujours pas été officiellement confirmé ce qui nourrit un sentiment de vide parmi les équipes.

John Leahy a désigné son adjoint Kiran Rao comme son successeur cette année mais les turbulences actuelles ne sont pas jugées propices à des annonces d'une telle importance.

Airbus avait prédit de longue date un ralentissement de ses ventes cette année après une période faste en termes de commandes.

Un porte-parole a démenti toute instabilité au sein du groupe.

"Nous avons une équipe commerciale de valeur (...) mais il est pleinement admis qu'ils ne peuvent répéter les records tous les ans; et l'année n'est pas terminée", a dit ce porte-parole.

Airbus affirme n'avoir découvert aucune preuve de corruption durant son enquête interne mais Tom Enders est déterminé à revoir les pratiques commerciales historiquement partagées entre Toulouse et Paris.

Du côté de Bombardier, une source proche du groupe canadien admet qu'Airbus connaît une période perturbée mais elle s'attend à ce que les choses rentrent dans l'ordre d'ici la conclusion de la transaction autour du CSeries l'an prochain.

(Bertrand Boucey pour le service français)

par Tim Hepher

Valeurs citées dans l'article : Airbus SE, Bombardier, Inc.