Pour y parvenir, Alexandre Bompard, arrivé à la tête du groupe en juillet 2017, veut simplifier l'organisation, réduire drastiquement les coûts, investir massivement dans le numérique et modifier en profondeur l'offre alimentaire.

Cet ambitieux programme a été salué par le marché, le titre Carrefour gagnant 3,22% à 19,06 euros à 16h46 et affichant la plus forte hausse de l'indice CAC 40 (-0,2%).

Plombé par les contre-performances des hypermarchés du groupe en France et par le recul de la rentabilité, le titre accuse néanmoins une baisse de près de 15% depuis début 2017.

"Face aux défis de la transformation brutale du champ concurrentiel et aux attentes des clients (...), il faut refonder en profondeur le modèle", a dit Alexandre Bompard, évoquant, à destination des investisseurs, "une ambition durablement créatrice de valeur".

Pour les analystes de Bernstein, "le plan coche toutes les bonnes cases", notamment celle jugée cruciale de la reconquête des clients dans l'alimentaire en France.

"Le plan est ambitieux et traite toutes les questions soulevées depuis des mois, mais il sera long et délicat à mettre en oeuvre. Sur le papier, la tâche est immense", tempère Tangi Le Liboux, stratège chez Aurel BGC.

Carrefour est un paquebot difficile à manoeuvrer et l’exécution du plan sera critique pour en garantir la réussite, ajoute-t-il.

L'organisation va être simplifiée autour d'un siège unique à Massy (Essonne), avec un plan de départs volontaires de 2.400 postes (soit 2% des effectifs), très surveillé par Bercy, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire ayant déclaré que l'Etat serait "très vigilant sur l’accompagnement de chaque salarié".

Par ailleurs, pour restaurer la rentabilité et pouvoir investir dans des baisses de prix cruciales pour retrouver de la compétitivité face à Leclerc, un plan massif de réductions de coûts de 2,0 milliards d'euros en 2020 va être engagé, dépassant largement les attentes des analystes qui tablaient en moyenne sur un milliard d'économies.

CESSION DE 273 D'ANCIENS MAGASINS DIA

Carrefour doit impérativement combler l'écart de prix existant avec Leclerc, nouveau leader du marché, pour redresser les ventes de ses hypermarchés français, qui représentent un quart de ses ventes mondiales et pèsent sur sa rentabilité.

En 2017, Carrefour a perdu sa place de leader de la distribution dans l'Hexagone, avec une part de marché de 20,5%, contre 21% pour son concurrent non coté, selon KantarWorldpanel.

Par ailleurs, 273 anciens magasins Dia seront cédés, sur un total de 600. Le réseau, dont le modèle n'est pas adapté, reste déficitaire. S'ils ne trouvent pas preneurs, les magasins seront fermés et un plan social pour les 2.100 salariés concernés sera lancé, avec l'objectif d'en reclasser "au moins la moitié".

Les syndicats se sont montrés très offensifs après ces annonces. Force ouvrière, première organisation syndicale du distributeur, a fustigé un "plan destiné aux actionnaires" et un "pacte social menacé". Une journée d'action est prévue le 8 février.

Alors que des fermetures d'hypermarchés étaient attendues en France, Carrefour passera seulement cinq d'entre eux en location-gérance et réduira les surfaces des magasins.

Pour l'offre non alimentaire, très attaquée par les spécialistes du e-commerce, d'autres partenariats seront recherchés, à l'image de ceux déjà noués avec Fnac Darty sur les achats de produits électroménagers et électroniques grand public ou, dans le textile, avec le rachat de la part de 17% de Conforama dans Showroomprivé, le numéro deux français du déstockage de mode en ligne.

INVESTISSEMENTS DANS LE DIGITAL

Très attendu aussi sur le développement du digital, où Carrefour accuse un retard sensible à l'heure où les géants du e-commerce comme Amazon se lancent dans les réseaux de l'alimentaire, Alexandre Bompard a affiché des objectifs ambitieux.

Quelque 2,8 milliards d'euros seront investis dans le digital d'ici 2022 avec un objectif de 5,0 milliards d'euros de ventes dans le e-commerce alimentaire en 2022, un chiffre six fois supérieur à celui d'aujourd'hui, avec une part de marché en France supérieure à 20%, contre 10% actuellement.

Par ailleurs, pour combler son retard sur le Drive - où il détient seulement 10% du marché contre 50% pour Leclerc - Carrefour ouvrira 170 nouveaux dépôts dès 2018, tandis que le multicanal sera accéléré avec l'ouverture de 2.000 magasins de proximité dans le monde.

A l'international, où les alliances se multiplient entre distributeurs et acteurs du e-commerce, comme Auchan avec le chinois Alibaba , Carrefour va ouvrir le capital de sa filiale chinoise - déficitaire depuis plusieurs années - au géant du numérique Tencent et au distributeur Yonghui afin de reprendre la main et d'accélérer dans l'omnicanal (ventes croisées entre les magasins physiques et les sites internet).

Le groupe nourrit par ailleurs de grandes ambitions dans le domaine de la qualité et de la sécurité alimentaire, du sourcing et du bio, pour répondre aux demandes de clients de plus en plus sensibles aux circuits courts et à la traçabilité des produits.

"Carrefour veut devenir le leader mondial de la transition alimentaire", a déclaré le PDG, qui veut s'engager sur la valorisation des productions locales et gagner un million de consommateurs de produits frais d'ici à 2020 en France.

Le groupe, qui a signé un partenariat avec le WWF, vise 5,0 milliards de ventes dans le bio d'ici à 2022, contre 1,0 milliard aujourd'hui, et un tiers de son chiffre d'affaires via des marques propres "qualitatives et originales".

Une enveloppe globale d'investissements ciblés de 2,0 milliards d'euros par an est prévue et la politique de dividende est maintenue.

Le groupe prévoit aussi de générer des recettes supplémentaires via la cession d'actifs non stratégiques immobiliers pour 500 millions d'euros.

Carrefour a presque divisé par deux sa croissance en 2017 et a une nouvelle fois révisé à la baisse sa prévision de résultat opérationnel. La rentabilité opérationnelle pourrait toucher un niveau historiquement bas en 2017, aux alentours de 2,0%, selon Barclays, après 3,1% en 2016 et 3,2% en 2015.

(Avec Sudip Kar-Gupta et Blandine Henault, édité par Dominique Rodriguez)

par Pascale Denis