Canyon Bridge Capital Partners avait formulé une offre de 1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d'euros) sur Lattice, l'une des plus importantes tentées par une firme adossée à la Chine dans le secteur américain des semi-conducteurs et la première transaction de ce fonds de capital investissement spécialisé dans les high techs et inauguré l'an dernier.

L'offre avait été dévoilée en novembre mais des liens révélés par Reuters entre le fonds d'investissement et des fonds publics chinois avaient accentué la vigilance des autorités américaines en raison du risque de voir des technologies américaines sensibles tomber entre les mains de l'appareil militaire chinois.

Dans un décret présidentiel, Donald Trump ordonne à Lattice et Canyon Bridge de "prendre toutes les mesures nécessaires pour renoncer totalement et définitivement à la transaction proposée".

La décision de Trump, conforme à l'avis de la Commission des investissements étrangers aux Etats-Unis (CFIUS), intervient à un moment délicat de l'histoire des relations entre la Chine et les Etats-Unis, marquées par des tensions sur le commerce et des incompréhensions réciproques sur la crise nord-coréenne.

Le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin a dit, à la suite de cette décision, que le "CFIUS et le président estiment que la transaction crée un risque pour la sécurité intérieure des Etats-Unis que l'on ne peut effacer".

Mnuchin a précisé que ce risque était lié au transfert de propriété intellectuelle, au fait que le gouvernement chinois appuyait l'opération, à l'usage par le gouvernement américain des produits de Lattice et à l'importance qu'il y a à préserver la chaîne logistique des semi-conducteurs pour le gouvernement américain.

Lattice, basé à Portland (Oregon), conçoit des puces sur lesquelles les entreprises peuvent implanter leurs propres logiciels pour différents usages. La société affirme qu'elle ne vend plus de puces à l'armée américaine, à la différence de ses deux principaux concurrents, Xilinx et Altera, filiale d'Intel.

La Chine s'est dite préoccupée par cette décision. "Nous pensons qu'examiner des investissements opérés dans des secteurs sensibles pour des raisons de sécurité est le droit légitime de tout pays mais ça ne doit pas devenir un prétexte pour promouvoir le protectionnisme", a réagi jeudi Gao Feng, porte-parole du ministère du Commerce chinois.

Lattice et Canyon Bridge, qui ont essayé en vain plus de huit mois durant de convaincre le CFIUS, ont fait savoir mercredi, dans un communiqué commun, qu'ils renonçaient à la transaction, Lattice soulignant par ailleurs son engagement à dégager de la croissance rentable.

Canyon Bridge avait dit un peu auparavant qu'il était déçu de la décision de la Maison Blanche, jugeant que l'opération était "excellente pour les actionnaires et les salariés de Lattice".

Les deux sociétés ont tout tenté pour obtenir le feu vert des autorités américaines, allant même jusqu'à en appeler au président américain lui-même.

C'était la première transaction de ce genre sur laquelle Donald Trump devait se prononcer. C'était également la quatrième fois seulement en une trentaine d'années qu'une acquisition atterrissait sur le Bureau ovale après avoir fait l'objet d'un avis négatif du CFIUS.

Les investisseurs doutaient que l'opération soit approuvée. L'action Lattice évolue en dessous du prix de l'offre, soit 8,30 dollars, et perdait 1,6% mercredi en après-Bourse.

(Avec Diane Bartz à Washington, Elias Glenn à Pékin et Kane Wu à Hong Kong, Henri-Pierre André et Wilfrid Exbrayat pour le service français)

par Liana B. Baker