Paris (awp/afp) - La croissance retrouvée sonnant le glas du soutien monétaire, le défi du marché de la dette en 2018 sera d'apprendre à se passer des banques centrales, mais leur retrait progressif devrait permettre une transition graduelle.

Principal bénéficiaire des sommes colossales injectées dans le système financier pour l'aider à se relever de la crise, le marché obligataire est donc aussi celui qui doit le plus s'adapter à l'accélération de la normalisation monétaire.

Celle-ci devrait se traduire en premier lieu par une remontée claire des taux d'emprunt des États et des entreprises en 2018.

Si cette tendance ne fait de doute pour personne, la question clé est de savoir si cela se fera en douceur ou pas, tout accroc en matière de crédit ayant des conséquences lourdes pour l'économie.

En Europe, où la Banque centrale européenne est encore bien présente avec 30 milliards d'euros d'achats d'actifs chaque mois, au moins jusqu'en septembre, et des taux toujours bas voire négatifs sur certaines échéances, l'optimisme est de mise.

"Nous ne nous attendons pas à une rupture forte par rapport à 2017", estime auprès de l'AFP Felix Orsini, responsable des émissions de dettes souveraines et coresponsable pour les entreprises de Société Générale CIB.

"Il y a une grande résilience du marché, avec toujours beaucoup d'appétit pour le risque et il reste de grosses marges de manoeuvre avant d'arriver à des niveaux de rendements dissuasifs", complète-t-il.

Un avis partagé par Frédéric Gabizon, responsable pour le marché obligataire chez HSBC qui prévoit "une hausse modérée des rendements des entreprises et des États européens en 2018".

- les taux américains surveillés -

La majorité des experts obligataires reconnaissent que le risque majeur est néanmoins celui d'un "réajustement brutal" avec une flambée des taux d'intérêt.

Comme la Réserve fédérale américaine a pris de l'avance en termes de normalisation monétaire, la remontée des taux d'emprunt est bien enclenchée aux États-Unis, et la crainte est plus concentrée sur ces derniers.

Certaines agences de notation comme S&P Global Ratings ou encore le chef économiste du Fonds monétaire international, Maurice Obstfeld, ont d'ailleurs manifesté leurs préoccupations début janvier.

"Si vous regardez dans le monde, il y a beaucoup de dettes" et "une montée soudaine des taux d'intérêt américains pourrait mettre sous tension pas mal de débiteurs", a-t-il déclaré.

Mais "les banques centrales ne prendront aucun risque, elle normalisent leur politique sur la pointe des pieds et avec une inflation toujours extrêmement faible, elles n'ont aucune raison d'aller plus vite", pondère René Defossez, un stratégiste obligataire de Natixis.

"Et il est difficile d'imaginer la Fed perdre la boussole et sortir trop vite. Elle a tiré les leçons du passé", renchérit Eric Vanraes, un gérant obligataire de la banque suisse Eric Sturdza.

- Les leçons de la crise de 2008 -

Aux États-Unis, les entreprises n'ont en outre pas été intégrées dans le programme de soutien monétaire de la Fed, contrairement aux groupes européens avec la BCE.

Mais si les entreprises européennes devront "vivre avec ce retrait, même sans la BCE, le rapport entre l'offre et la demande leur est favorable", nuance M. Orsini.

En outre, "depuis 2008 et c'est l'une des grandes leçons de la crise, les entreprises se préparent à d'éventuelles périodes de fermeture" du marché en gérant leurs liquidités avec la plus grande prudence, souligne-t-il.

Au niveau politique, la situation s'annonce aussi plus apaisée en 2018 avec seulement des élections en Italie, contrairement aux deux dernières années très chargées sur ce plan.

Pour les experts du marché, 2018 a donc toutes les chances de rester une bonne année, dans la veine de 2017, dont le dynamisme sera toutefois difficile à égaler, notamment pour les sociétés.

"L'univers de taux très bas a permis aux grands groupes à la fois de renforcer leurs structures financières à des conditions favorables mais aussi de financer des opérations très importantes" de fusions-acquisitions, observe M. Gabizon.

Pour M. Vanraes, ce qui risque surtout de changer en 2018, c'est la volatilité : "après des années où les programmes monétaires ont écrasé la volatilité sur tous les marchés, les investisseurs vont devoir se réhabituer à des mouvements erratiques", aussi brusques que passagers.

afp/rp