"Quel regard portez-vous sur l’évolution du marché des actions américaines ces derniers trimestres ?
Un changement de perception du marché a eu lieu en juillet 2016. A ce moment-là, la crainte de faire face à une macroéconomie déflationniste avait poussé le taux dix ans américain à descendre autour de 1,35%. Les anticipations tablaient sur une inflation à cinq ans quasi nulle.
Progressivement, le plan de relance du Japon, le laxisme affiché par les autorités de Bruxelles sur les politiques budgétaires moins austères menées dans certains grands pays européens, les promesses faites par les candidats à l’élection présidentielle américaine, ont conduit à une remontée des attentes inflationnistes en ligne avec une hausse des prix des matières premières.
L’accès de Donald Trump à la Maison Blanche avec son programme très ambitieux sur le plan de la fiscalité et des dépenses en infrastructures a renforcé ce sentiment. Le choix de la Fed de réactiver le processus de normalisation de sa politique monétaire en décembre l’a entériné.
S’en est suivi une ascension du taux à dix ans américain et une inversion de tendance sur le marché des actions américaines.

Que voulez-vous dire ?

Les grandes valeurs telles que Facebook, Amazon, Netflix, Google jusqu’alors plébiscitées ont notoirement perdu de la vitesse.
La partie cyclique du marché- avec notamment les financières, les entreprises énergétiques- a pris de la hauteur avec l’expectative d’une expansion des bénéfices induite par des taux d’intérêt plus élevés et/ou un renchérissement des prix.

Fin 2016-début 2017, le scénario a de nouveau changé…

Progressivement, s’est installée une altération du sentiment de marché au regard des difficultés rencontrées par le nouveau Président américain de mettre en place les actions envisagées avec seulement 51 sénateurs Républicains sur 100. Cette perception a été affermie par l’incapacité de Donald Trump à implémenter son projet de réforme sur la santé.
Les derniers incidents de nature politique n’ont fait qu’accroitre l’appréhension du marché à l’égard de l’aptitude de Donald Trump à gouverner dans de bonnes conditions. Ce dernier a été accusé d’obstruction à la justice sur des enquêtes de collusion entre des membres de son équipe électorale et des personnalités politiques russes. Quasiment chaque jour donne lieu à un nouvel épisode de ce chapitre.

Pensez-vous que ces déboires pourraient aboutir à une procédure d’impeachment de Donald Trump ?

L’affaire prend certainement une tournure sérieuse mais je ne pense pas que l’on parvienne à l’impeachment. Il faudrait pour ce faire que la Chambre des représentants, qui est majoritairement républicaine, ouvre une procédure. Or historiquement on n’a jamais vu le camp républicain ouvrir une procédure contre son président.

Toutefois, il est plausible d’admettre que les chances de voir une réelle réforme sur la fiscalité, ou un véritable plan de relance d’infrastructures cette année sont considérablement amoindries.

Ainsi le Trump trade ou reflation trade est totalement retombé...

En témoigne la mise à mal des valeurs financières, des valeurs cycliques, des valeurs liées aux infrastructures ces dernières semaines. Les valorisations sont revenues à leur niveau d’avant campagne électorale américaine.

A la place s’est créée une bulle spéculative notamment sur les titres à faible volatilité ?

La volonté des investisseurs d’aller sur le marché actions pour récupérer un surcroit de rendement par rapport au marché obligataire, avec cependant un risque limité, a débouché sur une réelle frénésie sur les « low volatility stocks », autrement dit les actions à faible volatilité.
L’acquisition de ces titres est consentie à des prix excessifs.
Cet excès est également décelable sur les grandes valeurs de croissance très liquides, pas liées à l’évolution cyclique du marché. Concentrant l’appétit des investisseurs, ces dernières n’ont cessé d’enregistrer des niveaux record de cours de bourse.

Les cas de l’action Philip Morris et de Ford illustrent absolument la configuration atypique du marché ?

Tout à fait. La valeur Philip Morris performe de plus de 20% depuis le début de l’année. Si l’entreprise distribue effectivement 3,5% de dividende, ses résultats sont en net recul depuis trois ans. Le chiffre d’affaires organique affiche une baisse de 8% à l’issue du premier trimestre 2017. Désormais, l’entreprise traite à 23 fois les profits à 12 mois. La prime atteint 30% à 40% par rapport au marché.
Paradoxalement, lundi 22 mai le président de Ford a été renvoyé car le cours de bourse a décliné de 30% depuis quatre ans alors que les résultats ont plus que doublé. Cependant la perception que le constructeur a pris du retard dans la commercialisation des véhicules électriques l’a emporté.
De ce fait la capitalisation boursière de Tesla est à ce jour plus importante que celle de Ford alors que le premier engrange des pertes et que le second génère des marges bénéficiaires substantielles.

Les écarts notables entre les thématiques, les choix de valeurs, les indices vous poussent à relativiser la cherté du marché des actions américain…

Les titres décotés enregistrent une performance quasiment nulle en dollar alors que les titres de croissance sont en hausse de 12%.
Dire que le marché américain est cher n’est pas exact. La moyenne du marché se situe en haut de la fourchette. Les grandes valeurs de croissance se négocient sur des niveaux jamais atteints. Toutefois, à côté, d’autres valeurs sont largement valorisées en dessous de leurs fondamentaux à tort.

Vous êtes d’avis qu’un nouveau retournement de tendance pourrait se concrétiser d’ici la fin de l’année ?

C’est notre hypothèse centrale. Le non sens fondamental économique dans lequel nous nous trouvons ne peut pas perdurer. La vérité n’est pas fondée sur l’évolution du cours de bourse. Les fondamentaux finissent tôt ou tard par reprendre le dessus.
Le retournement du marché devrait être la conséquence d’une hausse des anticipations d’augmentation des taux d’intérêt et de remontée de l’inflation.
Ces paramètres qui supposeront un regain de profitabilité pour les institutions financières, en particulier les banques, et un plus fort pricing power pour les sociétés cycliques amoindriront l’engouement pour les titres à faible volatilité et les titres à forte croissance.

Qu’est ce qui pourrait amener à une hausse de ces anticipations ?

L’orientation de l’activité, de la bonne tenue du marché de l’emploi, du redémarrage de l’investissement, et la conduite de la politique monétaire de la Fed, en particulier de la clarification de sa position sur l’achat de la dette souveraine américaine.

D’aucuns tablent sur un fort ralentissement de la conjoncture américaine en arguant que les Etats-Unis se trouvent à la fin de leur cycle économique. Qu’en pensez-vous ?

Une fin de cycle s’accompagne nécessairement d’excès. Or il n’y a pas d’exagération dans la consommation qui est la plus grande composante du PIB. Les derniers chiffres ont été plutôt décevants, l’épargne grandissant.
L’investissement repart tout juste dans le pays. Il dénote plutôt d’une reprise de la confiance sur l’avenir de la part des chefs d’entreprises. Dans la construction, une relative inertie a été observée, mais elle est due à un manque de main d’œuvre disponible.

Nous n’avons pas d’exubérance non plus dans les dépenses d’investissement. Seul un abus est décelable dans l’automobile. Singulièrement, des crédits subprimes ont été effectués sur l’appui de taux très bas et de facilités d’emprunt.

Vous ne tablez pas sur un significative décélération de la dynamique économique américaine ?
Le phénomène d’accélération artificielle de l’économie n’aura pas lieu car il est envisageable que rien ne se passe cette année sur le plan de la politique économique menée par Donald Trump.
En particulier, les sénateurs démocrates n’ont pas intérêt à ce que ces réformes passent afin de récupérer des sièges à la suite des élections de 2018. La majorité républicaine dans la Chambre des représentants ne suffit pas à faire passer des lois.
Néanmoins, je suis relativement confiant sur le fait que dans les 12 prochains mois, nous ne connaitrons pas un véritable essoufflement de la conjoncture aux Etats-Unis à fortiori dans un environnement international qui s’améliore avec une Europe qui reprend des couleurs et une Chine assez stable.
A moins d’un phénomène exogène, géopolitique, majeur…

Quand est ce que devrait se mettre en place le changement de leadership sur le marché ?

Le timing est compliqué à présager. Il est vraisemblable d’admettre que le retournement se matérialisera d’ici fin 2018.

Entrainera-t-il une contreperformance significative des grands indices américains ?
10 valeurs du S&P 500 explique plus de la moitié de la performance. Une correction sur Apple ou Google qui représentent respectivement 4% et 3% du benchmark aura forcément un impact sur le benchmark.
Cependant, je ne vois pas une sévère correction dans la mesure où la décrue des valeurs qui ont le plus monté sur lesquelles nous extrapolons des perspectives de croissance difficilement soutenables devrait être en partie compensée par la récupération des valeurs délaissées.

En quoi consiste votre allocation d’actifs ?

Cela fait un an que nous n’avons quasiment pas bougé notre portefeuille en raison de notre conviction que le changement de leadership aura bien lieu.
Nous sommes ainsi largement exposés aux banques, sociétés énergétiques notamment les sociétés pétrolières qui traitent avec un niveau de valorisation relatif très décoté par rapport au marché.

Quel principal risque identifiez-vous pour votre scénario de base ?

Un risque absolument pas pricé par le marché est une accélération de l’inflation dans une économie où le taux de chômage est bas et qui continue à créer des emplois. Une remontée trop rapide des taux serait néfaste pour l’économie.
La hausse des salaires est de 2,8% en moyenne. Le quartile des salaires les plus bas est en progression de 5%. Il y a un rattrapage des classes les moins aisées.

La tendance haussière est toutefois, pour le moment, lente.
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