* Les marchés misent une nette victoire de Joe Biden

* Ils tablent sur un contrôle du Sénat par les démocrates

* Une "vague bleue" faciliterait un plan de relance

* Le climat devrait rester favorable aux actions

par Patrick Vignal

PARIS, 21 octobre (Reuters) - Les marchés financiers tablent sur une victoire de Joe Biden à l'élection présidentielle américaine du 3 novembre en souhaitant un large succès du candidat démocrate qui réduirait le risque de voir l'issue du scrutin retardée et contestée.

Un temps effrayés par les programmes très interventionnistes des candidats de l'aile gauche du parti démocrate, Bernie Sanders et Elizabeth Warren, les investisseurs ont nettement moins peur de Joe Biden, plus lisse et consensuel.

Ils ont surtout pris acte de son avance grandissante dans les sondages et se préparent à le voir s'installer à la Maison blanche en espérant que la passation de pouvoir sera fluide.

La donne sera en effet compliquée par la forte proportion de votes par correspondance, qui devrait atteindre 40% sur fond de pandémie de coronavirus, en sachant que Donald Trump a avancé sans preuve le risque de fraude sur ce point et a déjà fait savoir qu'il n'accepterait pas sans combattre une issue qui lui serait défavorable.

Une victoire nette du camp démocrate se dessine cependant, font valoir les analystes de Société Générale en s'appuyant sur les sondages qui, depuis fin septembre, montrent que l'avance de Joe Biden s'accroît dans plusieurs Etats clés comme la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin.

"Les intervenants de marché craignent des délais et la probabilité d'une issue contestée", lit-on dans une note publiée par la banque française. "Une élection gagnée de justesse augmenterait cette probabilité tandis qu'une victoire plus large réduirait la dépendance aux votes d'un Etat donné et la probabilité d'une contestation significative du résultat".

Les récents sondages suggèrent que les marchés ont peut-être exagéré le risque d'un vote serré, qu'ils commencent à réviser à la baisse, estime pour sa part Jack Janasiewicz, gérant de portefeuille de Natixis Investment Managers.

ATTENTION À LA COMPLAISANCE

Une large victoire de Joe Biden renforcerait en outre la perspective d'une vague démocrate, un "blue sweep" qui permettrait au camp démocrate de mettre la main sur le Sénat.

Ce scénario est considéré favorablement par les marchés parce qu'il porte la promesse de la fin du pugilat au Congrès sur les mesures à mettre en oeuvre pour soutenir l'économie américaine, poursuit le gérant.

"Les marchés sont de plus en plus convaincus non seulement que Joe Biden va prendre la Maison blanche mais aussi que les démocrates vont prendre le contrôle du Sénat, ce qui pourrait se traduire par davantage de soutien budgétaire dès le début de l'année prochaine", explique-t-il.

Attention cependant à ne pas faire preuve de trop de complaisance sur ce dernier point, prévient pour sa part Florence Barjou, directrice des investissements de Lyxor Asset Management.

"Si une victoire de Joe Biden paraît acquise, il n'est pas certain que le Sénat passe sous contrôle démocrate", dit-elle. "Un Sénat bipartisan serait négatif du point de vue du soutien budgétaire et de la dépense publique."

Il faudra également se méfier, ajoute-t-elle, de la période de transition, dit du "canard boiteux" ("lame duck"), qui s'étalera du 3 novembre au 20 janvier et pourrait voir Donald Trump s'offrir un baroud d'honneur sous formes d'ultimes coups d'éclat, notamment sur le front des relations internationales.

Ce scénario paraît toutefois peu probable, tout comme celui de troubles à l'ordre public orchestrés par le camp Trump après le verdict des urnes, estime Florence Barjou.

CHANGEMENT DE STYLE EN VUE

Si l'opposition avec la Chine, déjà présente sous l'ère Obama, devrait se poursuivre, l'affrontement prendrait certainement des formes plus apaisées sous la houlette de Joe Biden, pensent les intervenants de marché.

Le programme politique du candidat démocrate, qui prévoit davantage de dépenses, notamment sur la santé, l'éducation et les infrastructures, aurait pu déplaire aux investisseurs avant la crise sanitaire mais il leur apparaît sous un jour plus favorable en ces temps où un soutien budgétaire massif est jugé indispensable.

L'augmentation de la fiscalité sur les entreprises, que le programme de Joe Biden prévoit de faire passer de 21% à 28%, sera moins populaire sur les marchés mais ils trouveront la pillule moins amère s'ils se souviennent qu'elle était de 35% avant que Donald Trump ne la réduise.

Une présidence Biden devrait se traduire par davantage de croissance et un peu d'inflation, prévoit-on chez Lyxor AM, où l'on envisage la poursuite d'un climat favorable aux actions avec une réduction de l'écart entre les titres décotés de qualité ("value") et les valeurs de croissance ("growth").

Le contexte ferait presque oublier que Donald Trump avait d'abord séduit les marchés en allégeant la fiscalité et qu'il a longtemps pu brandir un bilan économique flatteur en pointant des indices boursiers qui grimpaient en flèche.

La guerre commerciale qu'il a menée à la Chine et sa gestion de la crise sanitaire l'ont ensuite rendu moins populaire auprès des investisseurs, qui sont nombreux à voir sans déplaisir s'achever un mandat atypique et turbulent.

"Un style plus classique et plus prévisible fera du bien à tout le monde", dit Florence Barjou.

(édité par Blandine Hénault)