"Vous vous intéressez depuis longtemps à la politique de distribution des dividendes des entreprises. Vous avez été amenés à publier un ouvrage aux presses universitaires de France sur cette question. Pourriez-vous nous rappeler sous quels angles vous avez cherché à réfléchir sur cette thématique ?
J’ai eu à creuser le comportement des entreprises françaises en matière de politique de dividende. Alors que certaines entreprises ont une politique régulière, en croissance, avec une forte visibilité, d’autres entreprises ont une politique opportuniste dépendante de la trésorerie restante.
J’ai pu également m’intéresser à la relation qui existe entre la politique de dividende et la valeur d’une firme et entre la politique de dividende et la fiscalité. On observe que les entreprises qui distribuent un dividende généreux attirent vers elles une clientèle particulière, peu fiscalisée. En revanche les épargnants très fiscalisés vont plutôt rechercher des entreprises qui distribuent peu de dividende.
J’ai aussi travaillé autour de la question de savoir si le versement ou la variation d’un dividende pouvait constituer un bon signal. On note à ce sujet que lorsqu’une entreprise annonce un dividende plus élevé que ce qui pouvait être anticipé sur la base de la modélisation des dividendes versés préalablement, la réaction du marché est positive. A l’inverse lorsque une société coupe son dividende, la réaction est négative, quelque soit la raison.

Je suis à présent penché sur des questions de gouvernance. Le versement de dividende est une manière de discipliner les dirigeants en ce qu’il réduit la latitude discrétionnaire du dirigeant qui aurait trop de free cash flow. La pression des actionnaires guide le management d’entreprise.

Quel a été votre champ d’investigation ?

Les actions françaises, principalement ceux qui composent le SBF 250.

Pensez-vous que la stratégie d’investissement axée sur les actions à dividende ait plus d’intérêt dans le contexte de marché actuel ?
Je pense que tel est le cas car la stratégie s’inscrit dans une logique de quête du rendement.

D’après vous ce n’est pas tant le montant du dividende qui est important mais la régularité du versement du dividende...
La conduite par une entreprise d’une politique de dividende régulière et en croissance, nonobstant les aléas conjoncturels, atténue l’inquiétude que les actionnaires peuvent avoir par ailleurs dans des périodes quelque peu troublées car une certaine visibilité est apportée.
Néanmoins un montant élevé de dividende à un moment donné ne suffit pas à tranquilliser les actionnaires. Une entreprise comme Orange a un temps versé 8% de dividende. Cela n’a suffi à convaincre les opérateurs de marché à se positionner massivement sur le titre. La valorisation s’est retrouvée tellement basse qu’elle a finalement amené les investisseurs à s’interroger sur la pérennité du dividende versé.

Comment doit-on tenter vérifier la constance du dividende ?
En considérant un historique de long terme de l’évolution du dividende par action ajusté des opérations en capital. Au-delà de l’examen propre au dividende, une analyse fondamentale doit être effectuée de l’entreprise.

L’attachement au cash flow suffit-il ?
Il est indéniable que les flux de trésorerie sont cruciaux à prendre en compte. Il faut que le montant du dividende soit en relation avec le cash flow généré par l’exploitation. Un équilibre doit exister.
Ce cash flow est clairement plus significatif que le bénéfice net qui peut fluctuer plus ou moins en fonction de manipulations comptables.

La prise en compte de ce cash flow permet-t-il de distinguer les bonnes actions à dividende des trappes à la liquidité ?

Si l’examen est fait sur une perspective de plusieurs années, cela peut amener à avoir une fine idée de la qualité du cash flow généré par l’exploitation et de la soutenabilité du dividende.
Ce schéma de réflexion vaut cependant pour des sociétés matures, sur lesquelles il y a suffisamment de données chiffrées, et qui sont sur des marchés établis. Il est plus difficile à déployer pour les sociétés de haute technologie dont on ne sait pas encore de quoi l’avenir se fait. D’ailleurs on pourra noter que beaucoup de ces sociétés ne versent pas de dividende.

Quels autres ratios financiers vous semblent importants à considérer ?
Fondamentalement la position de l’entreprise sur son ou ses marchés, sa politique commerciale, la robustesse de son management, qui aident à comprendre ses perspectives de croissance. Il ne suffit pas de verser du dividende pour créer de la valeur.

Êtes-vous d’accord pour admettre que les quatre secteurs traditionnellement distributeurs de dividende élevé sont les télécoms, les utilities, les foncières et les banques…
Ce sont les quatre secteurs généralement perçus. Il y a cependant d’autres secteurs pourvoyeurs d’un dividende notable et régulier comme Air Liquide, Schneider, Total, LVMH, L’Oréal, Pernod Ricard. Ce sont autant d’entreprises en croissance qui rencontrent un franc succès, qui réalisent des acquisitions judicieuses, et qui ont une politique de dividende généreuse depuis longtemps pour fidéliser leurs actionnaires.

Quel vous semble être le niveau approprié de rendement de dividende ou de taux de distribution des entreprises ?

Autour de 40%, ce qui est le taux de distribution moyen en France. Ceci étant le dividende étant plus stable que le résultat net par action, ce taux de distribution peut être amené à connaitre des variations. C’est pourquoi il est également opportun de l’apprécier sur plusieurs années écoulées.
Un bon rendement (dividende net divisé par cours de l’action) se situe autour 2% à 3%.

Êtes-vous d’avis qu’il y a une relation entre stratégie d’investissement axée sur les actions à dividende et performance boursière ?
Le lien est indirect. Les sociétés qui versent un dividende en progression, régulier, sont souvent des sociétés leaders sur leur marché, avec un positionnement commercial fort. Ce sont alors ces atouts, par ailleurs bien appréciés sur le marché, qui rendent possible la génération d’un excédent de cash abondant et la rémunération des actionnaires sur un long horizon.
Pour autant, certains entreprises ne versent pas de dividende et performent tout de même en bourse. Le dividende n’est pas en cela une condition sine qua non d’une revalorisation en bourse.

Quels commentaires vous inspirent le détachement du dividende exceptionnel ?
On sort avec ce mécanisme d’une vision de long terme. Ces dividendes exceptionnels sont distribués par des entreprises qui auraient à un moment donné généré trop de cash, la plupart du temps, à la suite d’une opération de cession d’actifs. Le paiement de ce dividende exceptionnel ne lance pas forcément un bon signal. Il peut être interprété par le marché comme une absence de projet d’investissement ou de développement pour l’entreprise et ainsi conduire à une correction en bourse.

La stratégie d’investissement axées sur les actions à haut dividende étant de plus en plus déployée, croyez-vous que nous puissions connaitre une surchauffe sur le segment des actions à haut dividende à l’instar de ce que l’on relève aux Etats-Unis ?
Les marchés peuvent avoir des modes. Ces modes peuvent entrainer quelques excès. Je pense que s’agissant de la mode du dividende, ces excès seront assez rapidement corrigés. Si le cours de ces actions à haut dividende venait à augmenter fortement, le dividende n’a pas vocation à suivre dans la même proportion. Le rendement du dividende va alors baisser. L’appétit pour les investisseurs à la recherche d’un haut rendement va s’amenuiser. La correction est quasi automatique.
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