par Steven Scheer

RISHON LEZION, Israël, 16 novembre (Reuters) - Dimanche dernier, Audrey Panitch Levin était chez elle à Philadelphie.

Mercredi, elle ramassait des patates douces dans le centre d'Israël, rejoignant une armée de volontaires qui s'est précipitée dans les fermes du pays, confrontées à une grave pénurie de main-d'uvre à la suite de l'attaque du Hamas du 7 octobre.

Les exploitations agricoles israéliennes, situées pour la plupart dans le centre et le sud du pays, comptent traditionnellement sur des milliers de travailleurs thaïlandais et palestiniens pour labourer la terre et réaliser la récolte.

Mais de nombreux Thaïlandais ont fui Israël après l'attaque du Hamas, tandis que les Palestiniens ont été exclus des marchés du travail, ce qui a contraint les exploitations agricoles à appeler à l'aide pour la récolte d'automne.

Environ 80 membres du groupe de mères juives Momentum, basé aux États-Unis, dont Audrey Panitch Levin, ont répondu à l'appel.

"Nous voulons montrer notre soutien à Israël", a déclaré Audrey Panitch Levin, qui est agent immobilier. "Je voulais montrer que je n'avais pas peur".

L'agriculture a été le premier moteur économique d'Israël après la création de l'État en 1948. Au cours des dernières décennies, elle a été dépassée par le secteur de la haute technologie, mais elle reste cruciale pour l'Etat hébreu, qui tient à assurer son indépendance alimentaire.

En raison de la pénurie de main-d'uvre, les fruits et légumes pourrissent désormais sur leurs branches avant d'être cueillis.

"L'agriculture israélienne traverse sa plus grave crise depuis la création d'Israël", a déclaré à Reuters Yuval Lipkin, directeur général adjoint du ministère israélien de l'Agriculture.

Selon les dernières données datant de 2021, 73.500 personnes travaillaient dans le secteur agricole: 44% d'Israéliens, 33% d'étrangers, principalement des Thaïlandais, et 23% de Palestiniens.

Au moins 32 travailleurs thaïlandais ont été tués lors de l'assaut du 7 octobre et 23 autres ont été enlevés et emmenés à Gaza. Depuis lors, 10.000 travailleurs thaïlandais ont quitté Israël, précise Yuval Lipkin, ajoutant qu'il en reste environ 20.000 sur place.

Avant la guerre, quelque 128.000 Palestiniens travaillaient en Israël, principalement dans la construction et, dans une moindre mesure, dans l'agriculture. La plupart d'entre eux ne peuvent désormais plus entrer en Israël : seuls 6.800 Palestiniens sont encore autorisés à entrer dans le pays, selon le ministère de l'Économie.

Aggravant la crise, un nombre indéterminé de travailleurs agricoles israéliens ont été appelés en tant que réservistes.

PAS DES PROFESSIONNELS

Au total, Yuval Lipkin estime que le secteur a besoin de 30.000 travailleurs, et que les exploitations agricoles cherchent à combler le manque avec des volontaires ou en embauchant des Israéliens.

"Beaucoup de gens sont venus se porter volontaires et cela a aidé un peu, mais ce n'est pas suffisant parce que ce ne sont pas des professionnels", explique Tal Ben Shalom, propriétaire d'une grande ferme à Rishon Lezion, où le groupe Momentum apporte son aide.

"J'ai besoin de travailleurs thaïlandais (sinon) il y aura moins de croissance et moins d'offre."

Des milliers d'Israéliens se sont inscrits pour travailler dans des fermes pour 3.000 shekels (737 euros) par mois, mais qu'Israël essaye de faire venir des travailleurs du Sri Lanka et du Viêt Nam pour combler la demande à plus long terme.

En attendant, des volontaires de toutes sortes, incluant des écoliers et même l'ambassadeur d'Allemagne en Israël, Steffen Seibert, apportent leur aide.

"Les agriculteurs d'Otef Aza (près de Gaza) ont besoin d'aide. J'ai donc passé la journée avec des collègues et des amis à cueillir des tomates et des clémentines dans le Moshav Yesha. C'est formidable de voir autant de volontaires venus de tout Israël", a écrit Steffen Seibert sur X (ex-Twitter) le 12 novembre.

L'organisation d'aide alimentaire Leket Israël, qui a envoyé 5.500 volontaires dans les champs, a déclaré qu'elle achetait également des produits aux agriculteurs et les distribuait aux familles évacuées des maisons situées près de Gaza.

"Beaucoup d'agriculteurs viennent du sud et leurs familles ont été touchées, si bien qu'ils n'ont pas pu aller travailler et s'occuper des champs", explique Michelle Mayer, coordinatrice des bénévoles de Leket.

Selon les médias israéliens, 75% des légumes cultivés en Israël proviennent de cette région, ainsi que 20% des fruits et 6,5% du lait.

Gilad Lurid, physicien près de Tel Aviv, est allé aider au kibboutz de Be'eri, où plus de 100 personnes sont mortes le 7 octobre, soit un habitant sur dix.

Le bénévolat lui a permis de nouer des liens avec les survivants et de "sentir que je faisais quelque chose et que je ne restais pas chez moi à regarder les terribles nouvelles", a-t-il dit.

Le kibboutz employait habituellement des travailleurs de Gaza, qui n'est distante que de 5 km.

"Il y avait beaucoup de gens qui venaient de Gaza tous les jours (...) Nous pensions tous que cela allait nous rapprocher. Mais je me suis trompé", a déclaré Yarden Zemach, agriculteur de Be'eri et dont le frère Shachar a été tué dans l'attaque. (Reportage Steven Scheer, avec la contribution de Kuba Stycki, version française Corentin Chappron, édité par Kate Entringer)