Le ministre de l’économie Bruno Le Maire et ses confrères allemand, italien et espagnol se sont accordés sur une volonté commune : taxer les GAFA en fonction du chiffre d’affaires réalisé dans les pays où ils vendent leurs biens et services et où a lieu la création de valeur. Dans le cadre du rapport de l’OCDE au G20 au printemps 2018, les différents Etats devront se mettre d’accord et avancer des solutions. L’unanimité doit être obtenue afin que les règles soient étendues à l’échelle européenne.

Le Sommet numérique à Tallinn qui a eu lieu le 29 septembre dernier était l’occasion pour tenter de s'entendre et de discuter ensemble d’un système fiscal européen « juste et efficace » pour le marché unique du numérique (appelé aussi DSM : Digital Single Market). Néanmoins certains Etats, tels que l’Irlande, Chypre, Malte, ou encore le Luxembourg, profitent de cette optimisation fiscale et se sont par conséquent farouchement opposés à ces propositions. Selon le Premier ministre irlandais Leo Varadkar, augmenter le nombre de règles et de taxes ne va pas permettre à l’UE de développer son leadership en matière de numérique, bien au contraire. Cet avis est partagé par Xavier Bettel, Premier ministre luxembourgeois, car selon lui c’est cette façon de penser et de procéder qui fait qu’aujourd’hui nous n’avons pas de Google ou de Facebook européen, et que mettre en place davantage de régulations rendrait l’Europe encore moins compétitive.
 
Pour le moment voici comment s’organise l’optimisation fiscale des GAFA :

« Double Irlandais et sandwich hollandais »
Google
 
  • Google Ireland Holding est une filiale irlandaise qui détient les brevets développés aux Etats-Unis, ainsi que les marques du groupe.
  • Google Ireland Ltd est une seconde filiale irlandaise qui gère l’ensemble des activités en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique et qui reçoit donc les bénéfices réalisés dans ces régions du monde. Elle bénéficie alors du taux d’imposition privilégié de l’Irlande, qui s’élève à 12.5%, contre 33.3% en France. Mais le stratagème ne s’arrête pas là, utilisant les droits de propriété intellectuelle que détient Google Ireland Holding, elle lui verse en contrepartie des redevances, pour le montant le plus élevé possible afin d’absorber la totalité de ses bénéfices et être partiellement, ou totalement exonérée d’impôt, voire de bénéficier de crédit d’impôt.
  • Le groupe possède également une filiale aux Pays-Bas : Google Netherlands Holding BV, qui est une société « boîte-aux-lettres ». Elle reçoit les redevances que paie Google Ireland Ltd à Google Ireland Holding et profite du fait qu’il n’existe pas d’imposition sur la propriété intellectuelle aux Pays Bas. Elle transfère ensuite les bénéfices réalisés à sa société mère, Google Bermuda, qui comme son nom l’indique réside aux Bermudes, où il n’existe pas d’impôts sur les sociétés.
Voilà comment Google pratique l’optimisation fiscale, tout en prétextant respecter la loi dans les différents pays. A ce titre le fisc français réclamait 1.115 milliard d’euros au moteur de recherches américain en 2015 et la réponse délivrée par le Tribunal administratif le 12 juillet 2017 ne fût pas en faveur de l’Etat français, qui n’a pas su prouver la présence commerciale du groupe dans le pays.
 
Apple

Comme ses homologues, le groupe à la pomme a transféré sa licence d’exploitation de propriété intellectuelle en Irlande, où se tient son siège social européen. Tous les bénéfices réalisés en Europe sont rapatriés en Irlande, où l’Etat et Apple ont passé un « accord de cœur », c’est-à-dire qu’il lui a accordé un traitement fiscal préférentiel (taux d’imposition effectif de 0.005% en 2014 selon la Commission Européenne), notamment en échange de la création de milliers d’emplois. Selon Vincent Renoux, célèbre conseiller en matière fiscale des groupes multinationaux, dans sa note de synthèse « Fiscalité réelle pour un monde virtuelle », ce sont 3 milliards de dollars par an qu’économise Apple grâce à ses montages fiscaux.
 
Facebook

Facebook, via ses filiales européennes utilise la même stratégie.

« LuxLeaks »
Amazon

Amazon a créé deux filiales au Luxembourg :
  • Amazon Europe Holding Technologies SCS (Société en Commandite Simple) qui détient les droits de propriété intellectuelle utilisés dans la gestion des sites Internet européens. Elle reçoit donc des redevances et est dispensée d’impôt du fait de son statut SCS, qui lui permet de ne pas être imposable au Luxembourg mais dans les pays d’origine de ses actionnaires. Or, elle est détenue par trois holding américaines dans le Delaware, Etat de la côte-est des Etats-Unis, également considéré comme un paradis fiscal.
  • Amazon EU SARL, qui possède des stocks, encaisse les profits, facture les achats et règle tous les fournisseurs de biens commercialisés par le site. Elle paie alors d’importantes redevances (à Amazon Europe Holding Technologies SCS) pour l’utilisation des technologies du groupe.

Imposer le chiffre d’affaires des GAFA en 2016 en Europe serait revenu à appliquer un taux d’imposition sur…

… Les 44% de CA total de Google qui sont réalisés hors Etats-Unis et hors RU, ce qui représente 39.7 milliards de dollars (44% de 90.3 milliards de dollars).
… Les 32.3% de CA d’Amazon réalisés hors EU, qui représentent 43.9 milliards de dollars (32.3% de 136 milliards de dollars au total).
… Les 23.7% de CA total de Facebook réalisés en Europe, soit 6.5 milliards de dollars (23.7% de 27.6 milliards de dollars).
… Les 23.2% de CA total d’Apple réalisés en Europe, soit 49.9 milliards de dollars (23.2% de 215.6 milliards de dollars). 

Il n’est pas question pour Bruxelles de laisser les géants du numériques américains échapper au fisc européen plus longtemps. Selon Reuters, la Commission Européenne pourrait priver les Etats européens de leur droit de veto s’ils n’arrivent pas à trouver de terrain d’entente d’ici la fin de l’année et a confirmé au Sommet le fait qu’elle proposera en 2018 ses propres solutions appropriées, équitables, et applicables à l’échelle européenne. Les solutions qu’elle a avancées jusqu’à présent sont les suivantes : taxer le CA, mettre en place un prélèvement sur les publicités en ligne ainsi qu’un prélèvement à la source sur les paiements versés aux entreprises digitales, tout en veillant à ce qu’il n’y ait pas de double imposition et que le taux fixé ne décourage pas les sociétés à continuer à investir et à innover.