La demande habituelle de liquidités en fin de mois dans le système bancaire chinois s'est transformée en une ruée sur le cash le 31 octobre, ruée qui a fait grimper les taux de financement à court terme de 50% dans les cas les plus extrêmes. Les autorités ont ouvert une enquête pour tenter de comprendre ce qui s'est précisément passé. Plusieurs acteurs du marché, qui ont souvent parlé sous couvert d'anonymat à l'agence Reuters, affirment qu'une confluence de facteurs a semé la panique dans les salles de marché de Shanghai et de Pékin en fin d'après-midi ce jour-là.

Finalement, c'est la Banque populaire de Chine (PBOC), son système affilié China Foreign Exchange Trade System (CFETS) et les chambres de compensation obligataires qui ont sifflé la fin du désordre. Les banques ont été aiguillées, les heures de négociation ont été étendues et des réunions de cadrage ont été organisées.

Les facteurs qui ont contribué à cette situation sont la demande habituelle de liquidités en fin de mois, la thésaurisation de liquidités à l'approche d'une importante vente d'obligations d'Etat et un marché où les plus grandes banques étaient déjà réticentes à prêter en raison de leur mandat visant à contrer la pression sur le yuan, selon de bons connaisseurs de la situation.

Un "accident"

"C'est un accident", estime Xia Chun, économiste en chef chez le gestionnaire de patrimoine Yintech Investment Holdings, jugeant qu'il s'agit d'une conséquence imprévue de la mainmise du gouvernement sur les marchés financiers. "Les banques étaient réticentes à prêter, laissant les établissements non bancaires se demander mutuellement de l'argent dans les échanges de l'après-midi", a-t-il déclaré. "Les taux d'emprunt ont donc grimpé, certains étant prêts à accepter n'importe quel prix."

Les raisons de la flambée des taux d'intérêt et du chaos qui s'en est suivi sur les marchés n'avaient pas émergé jusqu'à aujourd'hui. Les participants affirment que la vulnérabilité exposée persistera tant que les sorties de capitaux maintiendront le système sous pression.

La PBOC a déclaré à Reuters que le CFETS enquêtait sur des transactions "anormales" le 31 octobre, impliquant certains comptes qui empruntaient et prêtaient de l'argent de manière répétée à des "taux d'intérêt extrêmement élevés" vers la fin des heures de négociation.

Equilibre entre injection de liquidités et stabilité de la monnaie

Les marchés de financement à court terme, notamment les contrats de mise en pension au jour le jour, sont essentiels à l'activité quotidienne des banques, des assureurs et d'autres institutions financières. Ils influencent les mouvements de change car les marchés sont le principal vecteur de l'offre de monnaie.

Les fonds et les institutions non bancaires empruntent et renouvellent les prêts qui financent leurs investissements et leurs transactions sur le marché des pensions. La fin du mois est également le moment où les banques et les autres acteurs du secteur financier doivent équilibrer leurs comptes et se conformer aux règles sur les réserves de capitaux. Les perturbations peuvent donc menacer la stabilité financière.

Les graines du mal ont été semées en octobre lorsque la Chine a annoncé des placements de dette souveraine pour un montant de 1 000 milliards de yuans (137,32 milliards de dollars), à mettre en œuvre - selon des sources familières avec les plans - en s'en tenant au calendrier d'émission du quatrième trimestre mais en augmentant la taille de chaque tranche.

Habituellement, la PBOC compense la réduction des liquidités disponibles, absorbées par les émissions d'obligations, par un soutien financier accru, par exemple en assouplissant les exigences en matière de réserves bancaires. Mais à l'heure où le yuan est en souffrance, la banque centrale a renâclé à injecter des liquidités supplémentaires, qui auraient pu anéantir des mois d'efforts en faveur de la devise. "L'inaction de la banque centrale est principalement due à son inquiétude concernant la dépréciation du yuan", a déclaré le gestionnaire de fonds. Même les taux repo entre banques, normalement stables et principaux indicateurs des coûts de financement à court terme, sont passés d'un taux au jour le jour de 2% un jour plus tôt à un taux de 8% le 31 octobre.

Des emprunteurs désespérés

Or le 31 octobre autour de 16h00 (8h00 GMT), les banques d'Etat qui prêtent normalement aux emprunteurs de dernière minute étaient absentes du marché. En l'absence de ces banques, quelques emprunteurs désespérés ont dû payer des taux de 30 à 50 % - des taux jamais vus depuis les défaillances de la China Everbright Bank et de l'Industrial Bank Co il y a dix ans - pour obtenir les liquidités dont ils avaient besoin. A 17h00, les marchés ont fermé avec des positions non financées et des transactions incomplètes.

"Personne n'a quitté la salle des marchés, car on ne savait pas comment les choses allaient se passer... toute la salle des marchés était sur le pied de guerre", a glissé un gestionnaire de fonds à Pékin. "Si vous devez couvrir vos positions dans un tel environnement, et si vous voulez éviter le défaut de paiement, vous devez emprunter à des taux élevés", a-t-il ajouté.

La PBOC est finalement intervenue, en demandant aux banques d'Etat de fournir des fonds, tandis que la China Central Depository & Clearing Co (CCDC) et la Shanghai Clearing House ont toutes deux rouvert les règlements à 18h00 dans le cadre d'une réponse d'urgence. A 20h30, le marché a pu fermer en ayant évité une crise majeure.

Un assèchement de liquidités sous surveillance

Lors d'une réunion de suivi avec les banques et les courtiers le lendemain, des sources ont déclaré que la PBOC avait dit aux institutions que leur comportement "perturbait le marché" et qu'elles devaient être "moins émotives". En parallèle, l'opérateur du marché monétaire CFETS a demandé aux traders de maintenir un plafond de 5% sur les transactions repo et a déclaré que toute personne impliquée dans des transactions à taux élevé clôturées le 31 octobre devrait s'expliquer devant les régulateurs, selon des sources qui ont reçu l'avis. La crainte s'est apaisée lorsque les taux au jour le jour sont repassés sous la barre des 3%.

Mais les analystes se sont tournés vers la toile de fond - l'intensification du contrôle de la monnaie chinoise - comme source sous-jacente de tension. Après avoir chuté de 5% par rapport au dollar au cours de l'année jusqu'à la mi-août, le taux de change s'est stabilisé, ce que les professionnels ont mis au crédit d'une intense activité des autorités pour empêcher la glissade, à la fois via la PBOC, les banques d'Etat et diverses règles, comme la limitation des ventes à découvert. Créant donc un autre risque. "Si la structure de la masse monétaire et de la fourniture de liquidités reste inchangée, l'ensemble du système demeure fragile. Un autre choc de liquidité est toujours possible", redoute un gestionnaire de fonds basé à Pékin.