"Quel regard portez-vous sur l’évolution du marché des ETF depuis le début de l’année ?
On observe clairement une accélération de la collecte nette des ETF que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe. La progression se situe entre 15% et 20%, contre 10% à 15% les années précédentes.
Si l’on considère le marché dans son entier le montant global de la collecte nette s’élève à 332 milliards de dollars à fin juin, avec 246 milliards de dollars aux Etats-Unis et 52 milliards de dollars en Europe.
Les encours ont ainsi atteint 4 110 milliards de dollars pour l’ensemble de l’industrie avec 2 960 milliards de dollars aux Etats-Unis et 680 milliards de dollars en Europe.

Alors que l’année dernière la dynamique avait été très portée par le segment obligataire, cette année les flux se sont largement dirigés vers les actions, dans un contexte de remontée des taux et de réallocations importantes lors des différents évènements politiques (Brexit, élections US et françaises).

Comment l’expliquez-vous ?
Les ETF sont par essence des instruments financiers facilement accessibles, qui rendent possible un repositionnement tactique immédiat sur une multitude de titres avec des coûts de trading relativement bas.

Une repondération des investisseurs européens et des investisseurs américains sur les actions européennes via les ETF est-elle décelable au cours de cette première partie d’année ?
Absolument. Le marché actions a engrangé 232 milliards de dollars à fin juin.
28 milliards de dollars sont revenus sur le marché des actions européen directement et plus de 30 milliards sur les actions européennes via les ETF adossés à des indices globaux, notamment actions développées hors USA.

Quels ont été les ETF les plus convoités sur les marchés actions ?

Les blockbusters sont restés inchangés. Les investisseurs se sont massivement dirigés vers les ETF qui suivent les grands indices traditionnels comme le S&P 500, le Russell 2000, l’Eurostoxx 50, le MSCI Europe, le MSCI EM.

Sur un plan géographique, la collecte nette sur les marchés actions des pays développés ressort à 208 milliards de dollars. Les marchés actions des pays émergents ont capté 25 milliards de dollars.

Les ETF innovants ont été marginalement plébiscités. Depuis le début de l’année sur les 52 milliards de dollars de collecte en Europe, 3,7 milliards sont allés sur les smart beta.

La séparation de l’alpha et des expositions a constitué une importante trame de fond...
Effectivement. Le retour sur le marché actions européen a correspondu à une exposition géographique et non à une recherche d’alpha. Elle a été le reflet du regain de confiance dans le tandem franco-allemand pour éviter une implosion de l’Europe et la mener à bon port.

Quelle vision avez-vous des dernières tendances d’utilisation des ETF par les investisseurs institutionnels, les investisseurs particuliers, les gérants de fonds actifs ?

Nous n’avons pas de mapping précis du marché des porteurs d’ETF car les gérants d’ETF ne reçoivent pas les ordres qui sont passés en bourse. Il est donc compliqué de savoir précisément qui fait quoi.
Ceci étant, l’utilisation des ETF par les investisseurs institutionnels, qui date depuis longtemps, s’accentue de manière importante, portée par la séparation des expositions et de l’alpha, ainsi que par la liquidité accrue des ETF obligataires dans un contexte de raréfaction des bilans bancaires pour fournir de la liquidité.
L’engouement croissant des investisseurs particuliers est surtout perceptible via les banques privées. La cause est essentiellement de nature réglementaire. Dans certains grands pays européens comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, les conseillers ne peuvent plus percevoir de rétrocessions sur les fonds. Ces derniers sont alors encouragés à promouvoir la vente des produits les moins chers pour déplacer leur marge. D’autres pays, comme la Suisse ont entamé une refonte de leur offre privée en prévision de ces nouvelles normes réglementaires. 

L’utilisation des ETF demeure embryonnaire par les investisseurs particuliers en France…
Le changement de configuration qui consiste à cesser de rémunérer les vendeurs sur les produits qu’ils vendent mais sur les services n’a pas encore touché la France. Sans interdire les rétrocessions, le besoin de transparence sur les frais instauré par la directive MIFID2 devrait aider à cela. 

En outre, seulement deux produits d’épargne bénéficient de réels avantages fiscaux dans l’Hexagone, le PEA et l’assurance vie. Or dans le PEA l’épargnant est limité sur les supports dont il peut disposer. Par ailleurs, l’assurance vie n’est pas soumise à une obligation de transparence au titre de MIFID 2 s’agissant des rétrocessions et reste la chasse gardée des réseaux.
Les structures de banques-assureurs-asset manageurs qui structurent, distribuent et gèrent les contrats d’assurance vie et qui trustent 80% du marché n’ont pas d’incitation à référencer massivement les ETF qui coutent quelques points de base et sur lesquels il n’y a pas de possibilité de se rémunérer.

Pour autant, les assureurs français paraissent de plus en plus intéressés par l’insertion d’ETF dans leur contrat d’assurance vie…

Les nouveaux investissements en fonds Euros diluent les rendements des portefeuilles, ce qui pousse les assureurs à trouver des nouvelles solutions pour les unités de compte.

Une allocation individualisée via des robo advisors où une série de modèles déterminent des profils de risques mis en œuvre avec des ETF permet de mettre à disposition des clients particuliers des solutions d’investissement efficaces à des prix largement en dessous du marché.
Pour l’instant les assureurs y vont de manière indirecte par des réseaux externes de peur de cannibaliser leur offre interne.

De quelle manière appréhendez-vous la compétitivité accrue des ETF à l’égard des fonds indiciels et à l’égard du cash equities ?

Des différences structurelles existent entre les ETF et les fonds indiciels.
L’ETF permet de traiter intraday et donne accès à une liquidité supérieure.
Il peut être traité en bourse et ne nécessite donc pas d’interaction avec l’asset manager, ce qui apporte un confort d’utilisation, à l’achat mais surtout à la vente.
Tel n’est pas le cas des fonds indiciels qui peuvent en revanche s’avérer moins chers en termes de frais de gestion pour un investisseur de long terme. Il existe un point d’équilibre entre les gains de liquidité de l’ETF et l’écart des frais de gestion à calculer selon la durée d’investissement.
Les deux produits répondent donc à des utilités différentes.
Chez BlackRock, nous avons d’ailleurs fusionné toute notre gestion indicielle en 2016.

Les Futures sont enfin un autre outil indiciel, que les ETF remplacent de plus en plus du fait du moindre rôle joué par les banques de financement et d’investissement.

Que voulez-vous dire ?

De nombreux gérants faisaient de la gestion indicielle en gardant du cash qui rapportait de l’argent et en roulant leurs positions futures actions qui ne coutaient rien.
Les BFI se mettaient short en face de ces positions futures pour fournir la liquidité requise. Elles empruntaient à la trésorerie pour acheter un panier d’indice et hedger les positions et au bout de trois mois délivraient la performance du panier contre le dénouement des futures.
Depuis cinq ans, en raison de l’extrême faiblesse des taux, les gérant indiciels long sur le cash et les futures perdent de l’argent. Le bilan des banques qui était gratuit est devenu très cher, avec l’augmentation du cout d’une allocation en risque dans les BFI.
Une configuration analogue s’est dessinée sur le marché obligataire. Les banques ne sont plus prêtes à payer n’importe quel prix pour prendre une obligation dans leur bilan et la détenir en compte propre. La tenue de marché obligataire est donc enrayée.

C’est pour cela que vous militez sur une standardisation des souches obligataires pour pouvoir lister les obligations et que les investisseurs aient accès à des prix en direct sans passer par le bilan des banques...

Il y a une telle injection de liquidités par les banques centrales que le rapport offre / demande pour la dette d’entreprise est disproportionné. Dans ce contexte, les émetteurs n’ont pas d’incitation à réformer leurs pools d’obligations, et ne cherchent pas à réémettre sur une souche qui existe déjà.
Le marché obligataire se retrouve ainsi totalement inefficient avec une liquidité pléthorique sur le marché primaire qui ne pousse pas à la restructuration et sur le marché secondaire une raréfaction de cette liquidité car les banques n’ont plus la capacité d’animer le marché.
Il y a un intérêt évident à standardiser les paniers d’émission d’obligations et à les lister en bourse pour avoir à tout moment un prix transparent. Les ETF obligataires nous donne un aperçu de cette efficience sur des paniers d’obligations.

Le marché des ETF connait une croissance exponentielle, qui a même tendance à s’accélérer.

Des tendances structurelles vont dans le sens de cette accélération : la séparation de l’alpha et des expositions, avec une innovation qui permet d’indexer des stratégies historiquement actives qui peuvent désormais être codées ; la réglementation qui régit les distributeurs de produits financiers avec une transparence requise des couts de structure voire l’interdiction des rétrocessions ; le « all to all trading » qui permet d’afficher la liquidité en temps réel et de compenser le moindre recours au bilan des banques.

Il est à noter que la production et la commercialisation des ETF sont des activités de grande d’échelle : plus un ETF est grand plus il est géré finement, plus il agglomère des échanges sur le marché secondaire, plus il est liquide, plus il se développe, et plus cela attire des investisseurs de grande taille. Ceci explique aussi l’accélération de la croissance aujourd’hui.

La mise en œuvre de la directive MIFID 2 pourrait-elle également aider à cette accélération ?

Certainement. Outre le sujet de la transparence apportée sur la structure des frais, la directive pourrait aider à renforcer la transparence sur les volumes traités et la liquidité du marché secondaire des ETF.
Celle-ci veut imposer un enregistrement de tous les ordres y compris ceux passés de gré à gré. Si elle y parvient, cela sera à coup sûr positif pour le marché des ETF.

Quelles principales répercussions a selon vous l’essor de l’industrie des ETF sur la gestion active ?

La gestion fondamentale est mise à mal par les avancées technologiques, la possibilité d’accéder aux mêmes informations au même moment. Aujourd’hui le discours d’un dirigeant d’entreprise est posté en ligne de manière instantanée et retranscris dans les cours une fraction de seconde plus tard. Le niveau d’efficacité des marchés pour parvenir à un consensus est ainsi beaucoup plus pointu. C’est là une évolution structurelle.
Deux options s’offrent alors à la gestion active. Soit celle-ci se rapproche de la gestion quantitative et du big data pour obtenir des informations non encore standardisées en amont et créer de la valeur ajoutée, de l’alpha. Soit elle s’éloigne des benchmarks avec une gestion de conviction forte. Les fonds actifs qui ont pour objectif de faire l’Eurostoxx + 2% en chargeant 1,5% de frais de gestion n’ont plus grand intérêt quand des ETF peuvent battre structurellement cet indice net de frais.

A cet égard les ETF poussent la gestion active à se restructurer pour aller dans des confins nouveaux. Cet impératif est renforcé avec le développement du smart beta et des ETF thématiques : les actions décotées par rapport à leur cours historique et leurs perspectives de revenus (value), qui présentent une stabilité dans la croissance des résultats (le quality), qui sont exposées à l’essor de la robotique…

"