"D’aucuns estiment que l’Italie constitue aujourd’hui la principale zone d’ombre de la zone euro. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que c’est une réalité.
L’économie italienne est sujette à une véritable problématique en termes de croissance. Depuis quinze ans, la conjoncture économique en Italie est médiocre. En particulier la productivité est restée atone. Cette mauvaise santé s’est propagée à l’ensemble du pays.
Il est compliqué d’imaginer aujourd’hui que l’économie italienne puisse retrouver spontanément une allure de croissance durablement plus élevée. Cette situation soulève des interrogations majeures. En premier lieu, du point de vue de la résorption de la forte dette publique qui s’élève à plus de 130% du PIB. Egalement eu égard du rétablissement du secteur bancaire domestique confronté à un volume conséquent de créances douteuses.

Peut-on craindre que ne s’ouvre sur l’Italie un dossier comparable au dossier grec avec les vives tensions qui ont été sous-jacentes ?
Je ne le crois pas.

La crise grecque a été extrêmement mal gérée par l’Europe. De nouveaux emprunts ont été octroyés à la Grèce pour permettre le remboursement d’emprunts antérieurs. Si bien que le dossier grec se retrouve face à une impasse dans la mesure où les institutions publiques sont majoritairement détentrices de la dette grecque et que celles-ci doivent être le moins possible impactées par une restructuration.
S’agissant de l’Italie nous pouvons espérer que des leçons auront été tirées de cet épisode grec.

Par ailleurs, la dette italienne se trouve principalement entre les mains d’épargnants italiens.
Enfin, les ratios de dette sur PIB ne sont pas similaires.
En cela, la logique de la dette italienne se différencie de la logique de la dette grecque.

Pour autant le sujet de la dette italienne peut constituer une menace systémique au niveau de la zone euro…

Absolument. C’est la raison phare pour laquelle la Banque centrale européenne conservera une politique très accommodante sur les taux encore longtemps. Pour rappel, l’Italie représente près de 20% du PIB européen. Si le pays devait de nouveau composer avec des taux d’intérêt très élevés, sa difficulté budgétaire serait éminemment plus marquée et bien moins gérable.

Une victoire des partis populistes comme le mouvement des cinq étoiles ou la ligue du nord à l’issue des élections législatives vous parait-elle plausible ?

Présentement, l’Italie tire tout de même un avantage dans la dynamique d’ensemble de la zone euro. Ce facteur est de nature à être moins favorable aux partis populistes.
Cependant, cette menace est réelle dans la mesure où ces partis affichent de bons scores dans les sondages et que certaines enquêtes font état d’une désaffection des Italiens vis-à-vis de l’euro.

Ce qui fait défaut en Italie c’est l’incapacité pour la communauté européenne, à l’exception à certains égards de la BCE, d’intervenir spontanément dans le pays pour doper sa croissance…

Au-delà de l’observation, il y a une incapacité pour le reste de l’Europe à agir pour aider l’Italie à se rétablir. C'est un aspect problématique de la construction européenne. On observe sans réellement pouvoir agir.

Qu’est-ce qui distingue l’évolution de la dynamique de l’Espagne de celle de l’Italie ? Comment expliquer que l’Espagne qui s’est aussi retrouvée dans une situation extrêmement tendue aille mieux à présent contrairement à l’Italie ?

Des réformes ont été implémentées en Espagne qui ont pu permettre d'inverser le déficit de compte courant, d’intensifier les investissements, de créer des emplois, d’augmenter les revenus, et de stimuler la consommation.

Ces réformes n’ont pas été mises en œuvre en Italie. Le gouvernement de Mario Monti a surtout mis l’accent sur une réduction des excès. Le gouvernement de Matteo Renzi a tenté de s’attaquer au marché du travail mais sans grand succès. Il y a en conséquence un véritable manque d’impulsion qui de prime abord a vocation à perdurer.
La configuration politique est manifestement bloquée. Nous avons notamment pu nous en apercevoir avec le référendum organisé à la fin de l’année dernière. Malgré le résultat négatif de celui-ci, un statu quo a été maintenu au pouvoir même si Matteo Renzi n’est plus premier ministre.
Un autre point négatif pour l’Italie réside dans le vieillissement de sa population qui implique un souci de renouvellement de la dynamique.

Peut-on admettre que le risque italien est en partie compensé ou annulé par la nouvelle configuration politique en France et l’espoir de voir l’axe franco-allemand insuffler un nouvel élan à l’intégration européenne ?
Ce nouvel élan, s’il a lieu, prendra du temps à se concrétiser. Il sera nécessaire de prendre des mesures correctrices pour l’Italie avant son apparition.

Est-ce que ce risque italien peut peser sur la performance des actifs risqués européens, notamment des actions européennes ?

Cela dépendra beaucoup du comportement à venir de la BCE. Dans notre scénario de base, cette dernière devrait agir de manière à limiter autant que faire se peut le risque italien, en particulier en prolongeant au maximum le déploiement de son programme d’achat d’actifs sur le marché et en retardant la remontée de ses taux directeurs.

Au-delà du risque italien, deux autres risques systémiques sont évoqués pour les actifs risqués européens : le ralentissement prononcé de la croissance américaine, un atterrissage brutal de la croissance chinoise. Qu’en pensez-vous ?
Il y a clairement un débat autour de l’évolution de la croissance américaine. Le stade avancé du cycle économique aux Etats-Unis et l’absence d’une politique budgétaire influente sont des éléments d’inquiétude.

Un autre risque significatif a trait à ce qui se passe au Royaume-Uni. L’amenuisement de la position du premier ministre Theresa May consécutivement aux élections législatives est de nature à alimenter l’incertitude quant à l’orientation économique du pays.

En revanche, à mon sens les autorités chinoises parviendront à garder un certain contrôle de la dynamique économique en Chine à court, moyen terme. Même s’il faudra veiller à demeurer attentif par rapport à ce qui se passe dans ce pays, je ne table pas sur la matérialisation d’un risque chinois d’ici la fin de l’année.

Au regard de ces différents facteurs de risque énumérés, quelle est votre attente s’agissant de l’évolution de la performance des actions européennes pour le reste de l’année ?
La perception d’une économie européenne plus robuste, en particulier en contraste avec l’état de l’économie américaine, devrait jouer en faveur des actions européennes. Ce d’autant plus que la politique monétaire devrait être plus accommodante dans la zone euro qu’aux Etats-Unis, que la progression des bénéfices devrait être plus importante pour les entreprises européennes que pour les entreprises américaines et qu’il existe un différentiel de valorisation non négligeable des deux côtés de l’Atlantique.

"