* Madrid dissout le gouvernement catalan, veut des élections

* "Les pires attaques" depuis Franco, dit Puigdemont

* La présidente du parlement catalan parle d'un coup d'Etat

* L'assemblée régionale va se réunir avant la mise sous tutelle

* Des dizaines de milliers de séparatistes défilent à Barcelone

par Isla Binnie et Carlos Ruano

MADRID, 21 octobre (Reuters) - Les Catalans ne peuvent accepter les mesures "illégales" prises par le gouvernement espagnol, a estimé samedi Carles Puigdemont, président de l'exécutif de la province, qui a invité le Parlement local à réagir.

Les décisions de Mariano Rajoy, président du gouvernement espagnol, qui a annoncé un peu plus tôt la dissolution du gouvernement régional et la mise sous tutelle du Parlement de Catalogne, sont "les pires attaques contre les institutions et le peuple de Catalogne depuis la dictature militaire de Francisco Franco", s'est-il indigné.

"Je demande au Parlement de se réunir en séance plénière afin que nous, représentants de la souveraineté des citoyens, puissions décider de la réponse à apporter à cette tentative de liquidation de notre gouvernement et de notre démocratie, et agir en conséquence", a ajouté Carles Puigdemont.

Mariano Rajoy a également souhaité la tenue aussi vite que possible d'élections régionales anticipées. Le Sénat, où le Parti populaire, dont il est issu, dispose de la majorité absolue, se prononcera vendredi sur les mesures qu'il a annoncées, ce qui permettra au gouvernement central de reprendre les commandes des finances, de la police, de la presse publique et de limiter les pouvoirs du parlement régional pendant six mois, en vertu de l'article 155 de la Constitution.

Dénonçant un "coup d'Etat" et une "atteinte à la démocratie", la présidente de l'assemblée catalane a promis de tout faire pour préserver la souveraineté de l'institution.

"Le président du gouvernement Rajoy veut que le Parlement de Catalogne cesse d'être une assemblée démocratique et nous ne le permettrons pas. C'est pourquoi nous voulons adresser un message de fermeté et d'espoir. Nous nous engageons aujourd'hui, après la plus grave atteinte aux institutions catalanes depuis leur restauration, à défendre la souveraineté du Parlement catalan", a-t-elle déclaré lors d'une allocution télévisée.

"LIBERTÉ ! LIBERTÉ !"

Carles Puigdemont, qui a symboliquement proclamé l'indépendance le 10 octobre avant d'en suspendre aussitôt les effets pour permettre l'ouverture du dialogue avec Madrid, a indiqué jeudi que le parlement pourrait procéder, "s'il l'estime opportun, à un vote sur une déclaration formelle d'indépendance". Les élus décideront probablement lundi de la tenue d'une séance à cette fin.

Selon des médias catalans, le président de l'exécutif local pourrait prendre Madrid de vitesse en prononçant lui-même la dissolution du Parlement régional, avant le vote du Sénat espagnol, ce qui supposerait la tenue d'élections anticipées dans un délai légal de deux mois.

A Barcelone, plusieurs dizaines de milliers de séparatistes, dont Carles Puigdemont lui-même, se sont réunis dans l'après-midi à l'appel de l'Assemblée nationale catalane (ANC) et d'Omnium Cultural, deux organisations favorables à l'indépendance.

Brandissant des drapeaux catalans, ils ont scandé "Liberté ! Liberté !". Parmi les banderoles repérées dans le cortège, certaines appelaient à la proclamation de la république, d'autres affirmaient : "Défendre notre terre n'est pas un crime".

Mariano Rajoy, qui s'est exprimé en début d'après-midi, à l'issue d'un conseil des ministres extraordinaire, a dit avoir été "contraint" d'appliquer l'article 155, qui ne l'avait jamais été depuis l'adoption de la Constitution, en 1978.

"Nous demanderons au Sénat, dans le but de protéger l'intérêt général de la nation, d'autoriser le gouvernement à limoger le président (de la Généralité de Catalogne Carles Puigdemont) et son gouvernement", a-t-il expliqué.

Le chef du gouvernement entend obtenir la tenue d'élections locales dans un délai maximum de six mois, mais a souhaité que le scrutin ait lieu "dès que nous retrouvons la normalité institutionnelle".

CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES

Il a obtenu vendredi soir le soutien clair du roi d'Espagne, Felipe VI, pour qui "la Catalogne est et restera une composante essentielle" de l'Espagne. Il bénéficie également de l'appui des socialistes du PSOE et des centristes de Ciudadanos, qu'il a remerciés lors de sa conférence de presse.

"On ne suspend pas l'autonomie de la Catalogne", a-t-il assuré, rejetant sur les dirigeants de la Généralité la responsabilité de cette crise inédite depuis la tentative de coup d'Etat militaire de février 1981.

Notant que "plus de 1.000 entreprises" avaient déjà délocalisé leurs sièges hors de Catalogne, il a estimé que l'indépendance lui coûterait 25% à 30% de son PIB.

Lors du référendum d'autodétermination organisée le 1er octobre malgré l'interdiction du gouvernement central, le "oui" l'a emporté avec 90,18%, mais la participation n'a été que de 43%.

(avec Tomás Cobos et Julien Toyer; Eric Faye, Henri-Pierre André et Jean-Philippe Lefief pour le service français)