7 mois après une IPO qui a suscité un réel engouement auprès des investisseurs, privés notamment, Agripower doit décaler d’un an son objectif 2023 d’atteindre 40 M€ de CA. Son PDG fondateur nous explique comment la crise sanitaire a perturbé le plan de route de cette petite société propulsée par un marché boursier friand de valeurs vertes. Rencontre avec Eric Lecoq au siège de l’entreprise, près de Nantes.

Eric Lecoq, quelle est la proposition de valeur d’Agripower et comment vous distinguez-vous sur le marché français de la méthanisation, marché difficile semblant enfin décoller ?

"Agripower est intégrateur d’unités de méthanisation pour les exploitants agricoles (unités individuelles) mais aussi pour des groupements d'agriculteurs et l'industrie agroalimentaire (unités collectives). En tant qu’intégrateurs de sous-ensembles déjà existant, nous proposons des solutions clés en main, de la conception jusqu’à la mise en service et à la maintenance. La méthanisation est un procédé biologique naturel, qui permet de produire du gaz, de la chaleur et de l'électricité à partir de matières organiques souvent agricoles (paille, céréales, lisier…). Les résidus issus du procédé retournent à la terre, servant d’engrais naturel. Nous sommes l'unique interlocuteur de ces exploitants durant la durée du projet qui court de l'identification dudit projet à la mise en service, ce qui peut prendre 2 à 3 ans."

Principes et avantages de la méthanisation (source : Agripower)

Quelles sont les spécificités du marché français ?

"Quand j’ai créé Agripower en 2012, nous avons fait le constat que ce qui existait déjà en France n’était pas tout à fait au point, et que transposer ce qui existait en Allemagne, marché qui avait décollé une quinzaine d’années avant, ne pouvait pas fonctionner sur le plan technique. Sur le développement du marché, nous sommes encore aujourd’hui très éloignés de notre voisin allemand, avec autour de 600 installations en France contre 9 300 en Allemagne, ce qui offre donc un champ de croissance important. Qui plus est, très peu d’acteurs sont installés sur ce marché, notamment en ce qui concerne les unités individuelles.

Familier du monde agricole grâce à une expérience d’entrepreneur dans le photovoltaïque les années précédentes, nous avons convaincu l’allemand Weltec de valoriser sa technologie sur le marché français. Les premières années, nous avons installé de petites unités collectives, qui étaient destinées aux groupements d’agriculteurs et aux industriels de l’agroalimentaire notamment, de 250 kW produisant de l’électricité, puis nous avons commencé à installer de grosses unités, jusqu’à un équivalant de 2MW, produisant du CH4 (méthane) injecté sur le réseau de gaz. Compte tenu du délai pouvant atteindre près de 3 ans entre l’initiation et la mise en service du projet, il est apparu judicieux de compléter notre activité en proposant des installations plus petites et plus rapides à mettre en place aux éleveurs de cheptels bovins de taille intermédiaire (100 à 200 bovins). Nous avons, à partir de 2016, conçu avec notre partenaire belge Bioelectric de petites installations standardisées. En quelques années, nous avons ainsi installé une soixantaine d’unités en France. Pour nos clients agriculteurs, il s’agit avant tout d’un complément de revenu, l’investissement, financé par l’endettement, générant 12 à 15% de rentabilité annuelle. A noter que le modèle économique dépend des décrets gouvernementaux qui fixe les tarifs de rachat dans le temps, l’autoconsommation étant inéluctable à plus ou moins long terme. Depuis le décret de décembre 2016, ce tarif est favorable à l’installation d’unités individuelles, ce qui explique la progression du marché ces dernières années et augure de bonnes perspectives."

Les deux grands types d’unités installées par Agripower

L’introduction en Bourse du groupe en novembre dernier fut un succès, avec un montant levé supérieur au montant recherché.  Comment a évolué votre projet depuis votre arrivée en Bourse en novembre dernier ?

"En effet, notre IPO a montré le vif intérêt du public pour le sujet de la méthanisation. Dans un contexte où les préoccupations environnementales occupent une place grandissante nous avons su capter l’attention des investisseurs. Les 6 M€ levés en Bourse nous ont permis de renforcer nos moyens financiers et notre crédibilité financière auprès de nos prospects alors que nous nous étions essentiellement développés par autofinancement et endettement. A ce jour, nous sommes passés de 9 à 12 personnes avec l’arrivée d’un directeur adjoint en décembre sachant que j’étais seul à la direction jusque-là. Nous avons recruté deux commerciaux, un en Bretagne et un à Toulouse. Nous avons fait aboutir plusieurs projets, à l’image de l’unité collective lancée en février 2020 à Chateaubriant en Loire-Atlantique La crise sanitaire a ensuite suspendu tout recrutement compte tenu de l’impossibilité de rencontrer les candidats et de l’appréhension à quitter son poste dans une période d’incertitude. Pour ces raisons, nous visons maintenant un effectif global d’une quinzaine de personnes fin 2020, contre une vingtaine escomptée initialement. Dans ce contexte, notre objectif d’atteindre 40 M€ de CA en juin 2023 a été décalé d’un an. A plus court terme, après avoir stoppé hors SAV de mi-mars à mi-mai, nous reprenons progressivement le commercial, les études de dossiers et les chantiers, sachant que les délais administratifs de recours ont été repoussés de 3 mois sur tous les collectifs, c’est-à-dire à septembre 2020. Notre chiffre d’affaires annuel devrait finalement être semblable à celui de l’année dernière alors que nous avions réalisé plus de 70% du CA annuel de l’exercice précédent sur juin à décembre 2019, c’est-à-dire 5,2 M€ sur 6 mois contre 7,2 M€ sur les 12 mois précédents."

Unité Collective de Châteaubriant

Comment pourrait évoluer la stratégie dans les prochaines années ?

"Comme les pays limitrophes, la France ira, compte tenu d’une hausse prix du kwh électrique, vers un modèle d’autoconsommation dans la méthanisation. Nous devons donc anticiper ces tendances, en enrichissant notre offre, et être attentif aux croissances externes, la crise pouvant générer des opportunités de reprise. En cela, nous gardons comme exigence le plan annoncé lors de l’introduction en Bourse qui reste selon nous le meilleur moyen d’atteindre nos objectifs."

PORTRAIT D’ERIC LECOQ

Ingénieur en physique de formation (Ecole Nationale Supérieure de Physique de Grenoble), doublé d’un diplôme d’ingénieur commercial à l’Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications de Bretagne et à l’EM-Lyon, Eric Lecoq a débuté sa carrière en tant que responsable Grands Comptes chez Matra Nortel. Il rachète ensuite la société Perrinel, une PME familiale spécialisée en technique de chauffage et de ventilation. En 2008, il se lance dans l’installation de panneaux photovoltaïques sur les toitures de bâtiments agricoles avec la société Eco Energy, devenue Vuelto Group en 2010. Il vendra ses parts à temps, la société n’ayant pas survécu aux difficultés du secteur en France au début des années 2010. En 2012, il crée Agripower, profitant ainsi de l’évolution réglementaire dans la méthanisation, secteur en retard en France. Agripower fait son entrée sur Euronext Growth en novembre 2019. Eric Lecoq est également membre du conseil de surveillance de Méthanor, une société cotée qui finance et exploite des projets d'énergies renouvelables, ce qui lui confère une excellente connaissance du secteur français des énergies renouvelables. A l’instar de Méthanor, Agripower bénéficie du soutien de la société de gestion Vatel Capital.

Graphique AGRIPOWER France