"Fin du suspense", comme l'écrivent en cœur ce matin de nombreux commentateurs. C'est donc Guillaume Faury, l'ex-chef d'Airbus Helicopters, qui a endossé depuis quelques mois le costume de patron des avions commerciaux d'Airbus, qui va diriger le groupe à l'issue du départ, programmé, de Tom Enders au printemps 2019. Il était en tête des pronostics depuis quelques semaines déjà et constitue à n'en pas douter choix intéressant.
 
Après avoir démarré sa carrière à la Délégation générale pour l'armement en 1992, Faury, passé par Polytechnique et l'Ecole nationale supérieure de l'aéronautique et de l'espace, intègre la division hélicoptères d'Airbus (alors respectivement Eurocopter et EADS) en 1998 comme ingénieur en chef. Il quitte la société en 2008 alors qu'il est directeur des programmes commerciaux pour passer chez Peugeot comme adjoint du directeur technique, avant de lui succéder cette même année puis de devenir, en 2010, directeur de la R&D de PSA. C'est en 2013 qu'il revient chez Eurocopter comme président exécutif à la place de Lutz Bertling. Au départ de Fabrice Brégier en février 2018, il prend les commandes de la puissante division aviation commerciale d'Airbus, devenant de fait numéro deux du groupe. Mais la place de numéro un se profile déjà pour le 10 avril 2019, lors du départ de Tom Enders.
 
Ce père de trois enfants est né en 1968 à Cherbourg. Il bénéficie d'une solide connaissance technique puisqu'il a démarré sa vie professionnelle comme ingénieur d'essai en vol pour la DGA dans le cadre de l'intégration des hélicoptères de combat Tigre dans l'armée française. Il possède un brevet de base de pilote et a volé plus de 1 300 heures dans ce cadre, révèle le site internet de son employeur.
 
Un nom qui fait consensus
 
Tom Enders, qui l'avait recruté pour diriger Eurocopter, estime que son successeur est un "excellent choix", et l'adoube en évoquant une "nouvelle génération de leaders dont Airbus aura besoin dans les dix prochaines années". "Il sait qu’il peut compter sur moi pour assurer une transition harmonieuse", ajoute Enders, qui n'a pas l'intention de lui savonner la planche. Le président d'Airbus, Denis Ranque, évoque un choix "unanime", après "avoir attentivement examiné tous les candidats potentiels, internes et externes". L'ancien patron de Thales va d'ailleurs lui aussi passer la main, à l'issue de son mandat en avril 2020, après avoir passé 7 ans aux commandes. Le conseil va commencer à prospecter pour lui trouver un successeur, "en veillant, comme stipulé dans son règlement interne, à maintenir une diversité des nationalités pour les membres du conseil comme pour la direction du groupe". Airbus est un sacré client pour les cabinets de recrutement depuis deux ans, et c'est un peu ce qui inquiète les milieux d'affaires.
 
Manque d'expérience et entourage clairsemé
 
"Faury semble avoir un gros soutien du management d'Airbus", commente Douglas Harned, qui suite de longue date le dossier chez Bernstein. "Il m'est difficile de juger de sa performance aux commandes d'Airbus Helicopters car les marchés finaux étaient vraiment très difficiles durant son mandat", poursuit l'analyste, qui met aussi en avant son expérience relativement courte au sein de la cruciale division aviation commerciale, dont il conserve les commandes, du moins à ce stade. Cette crainte est renforcée par le départ de nombreux cadres de la division, dont la bouteille pourrait manquer pour assurer la transition. Guillaume Faury va devoir rapidement se mettre en ordre de bataille alors que certains défis de court terme pourraient émerger, par exemple l'hypothétique lancement par Boeing d'un nouvel appareil de taille moyenne, qui forcerait Airbus à réagir promptement. Il lui faudra aussi gérer les chantiers en cours, dont la montée en cadence de la production de l'A320neo, la gestion des programmes qui vendent mal, les négociations sur l'A400M, le développement de la chaîne d'approvisionnement ou la progression de la digitalisation du groupe. Harned reste raisonnablement confiant sur le dossier, qu'il suit toujours à surperformance en visant 138 EUR, car les perspectives de moyen et long terme sont solides.
 

Les principaux départs effectifs ou programmés chez Airbus (Cliquer pour agrandir)

Chez Oddo BHF, Yan Derocles a un a priori positif. Si le futur CEO n'est pas un vétéran de l'aviation civile, il a passé la majeure partie de sa carrière dans l'aéronautique et plus de 10 ans dans la maison qu'il va diriger. Il apportera aussi la rigueur industrielle du secteur automobile, qui ne sera pas de trop dans le challenge de l'accélération du rythme de production et dans la rationalisation de l'approvisionnement. Enfin, atout non négligeable, il n'était plus dans l'entreprise lors des faits de corruption qui font actuellement l'objet d'enquêtes. Mais Derocles ne fait pas un chèque en blanc à Faury, comme le prouve sa recommandation neutre (assortie d'une valorisation de 97 EUR par action). Lui aussi redoute la vague de départs et préfère y voir plus clair dans la future stratégie avant d'adopter une opinion plus agressive. "Nous restons convaincus de la force du positionnement d’Airbus, mais nous préférons attendre encore quelques mois un éclaircissement sur la stratégie qu’adoptera le nouveau CEO", conclut l'analyste. 

Une prudence qui détone un peu avec un consensus toujours haut perché, 80% de recommandations positives et un objectif moyen de 118 EUR actuellement, mais une position assez répandue dans le secteur : malgré des défis importants à court terme, Airbus affiche de belles promesses à partir de la prochaine décennie. Et avec un pilote d'hélicoptère aux commandes, pourquoi le groupe ne gagnerait-il pas en agilité ?