Le 24 avril 2014, une rumeur lancinante se confirme : General Electric a des visées sur la branche énergie d'Alstom, qui représente à l'époque plus des deux-tiers de l'activité de l'industriel. Alors que la machine médiatique se met en branle, l'Etat s'empare immédiatement du dossier. Les principaux protagonistes sont convoqués à l'Elysée pour passer sur le gril, face au Président François Hollande, au Premier ministre Manuel Valls et à Arnaud Montebourg (Economie) et Ségolène Royal (Environnement). Les politiques défendent une option européenne, d'autant que Siemens fait des pieds et des mains pour récupérer certains actifs.
 

Présentation analystes du 24 avril 2014 (Source Alstom – Cliquer pour agrandir)
 
Au jeu de l'affrontement des conglomérats, c'est l'Américain qui bat l'Allemand, malgré le renfort opportuniste de Mitsubishi Heavy : le conseil d'administration d'Alstom reçoit rapidement une offre ferme de GE, qui propose une valorisation de 12,35 milliards d'euros. Siemens et Mitsubishi hésitent et ne vont finalement pas aussi loin que leur rival et son projet total. Ils n'offrent au final que 8,2 milliards d'euros pour récupérer respectivement l'activité gaz et les activités vapeur, réseaux et hydro, ces dernières en coentreprise. Le projet GE est retenu à l'unanimité par le conseil d'administration d'Alstom, qui officialise la nouvelle le 21 juin 2014.

L'Etat met son grain de sel

Le projet final de GE diffère de sa première offre ferme, en particulier pour intégrer certaines exigences du gouvernement, mais il continue à porter sur la totalité du périmètre, une exigence d'Alstom pour qui un recentrage total est indispensable. Seule concession à la pression de Bercy, Alstom conservera la moitié du capital des activités dans les réseaux et les énergies renouvelables, sous forme de coentreprises, mais avec une faculté de sortie à terme, laquelle a été exercée en 2018. Le Français récupérera aussi les activités de signalisation ferroviaire de l'Américain. Bercy obtient des engagements sur l'emploi (qui ne pourront être tenus), sur l'implantation locale du centre de décisions et même un droit de veto sur les opérations concernant la sécurité et le nucléaire en France. Le ministère de l'économie, récupéré entretemps par un certain Emmanuel Macron, autorise General Electric à prendre le contrôle de la division énergie d'Alstom le 4 novembre 2014.

Pour Patrick Kron, la logique d'un recentrage du groupe sur le ferroviaire est évidente : le secteur de la fourniture d'équipements de production d'énergie est en perte de vitesse et, au sein de la spécialité, le Français n'a pas la taille suffisante pour tirer son épingle du jeu. Son homologue chez GE, Jeff Immelt, n'a pas de problème de taille avec sa division énergie, mais il lorgne certaines technologies et chasses gardées d'Alstom, cherche à mettre la main sur une grosse base installée et pense réaliser un mouvement défensif, en éliminant un concurrent du marché.

Jusqu'à la lie

Quatre ans plus tard, c'est la soupe à la grimace pour GE. Le cours de l'action a été divisé par trois entre 2016 et octobre 2018. L'emblématique Jeff Immelt a été débarqué l'année dernière. Son successeur, John Flannery, a été poussé vers la sortie le 1er octobre. En cause ? La poursuite de la traversée du désert de la division énergie, qui ne parvient pas à redresser la barre. Le groupe va d'ailleurs déprécier la quasi-totalité, ou presque, du goodwill figurant dans les comptes au titre de GE Power, c’est-à-dire 23 milliards de dollars. Des milliards en majorité hérités de l'acquisition d'Alstom Power. Pour ajouter l'outrage à l'injure, GE a été contraint par le jeu des options à racheter au prix fort les participations d'Alstom dans les coentreprises voulues par Bercy en 2014. Le Français va recevoir 2,6 milliards d'euros dans les prochains jours, qui correspondent à sa mise de départ (2,4 milliards d'euros) augmentée de 3% par an, soit le prix plancher qui avait été fixé à l'origine, indépendamment des résultats. Au vu de la trajectoire sectorielle, Alstom ne fait pas une mauvaise affaire.

Le groupe français est déjà passé à autre chose : la finalisation du rapprochement avec les activités ferroviaires de Siemens. Une hypothèse qui avait déjà été envisagée dans le cadre des discussions de 2014, mais l'Allemand n'avait finalement pas souhaité mettre ses activités rail dans la balance. Bien lui en a pris au final, puisque c'est GE qui s'est finalement fourvoyé en payant au prix fort les activités énergie d'Alstom.