Tout le monde connaît Philip Morris, le propriétaire des cigarettes Marlboro. Jusqu'en 2008, le groupe américain était une entité intégrée, vendant aussi bien sur le territoire des Etats-Unis qu'à l'international. Cette année-là, la multinationale a décidé de se scinder en deux entités juridiques distinctes : Philip Morris USA (désormais Altria) et Philip Morris International. En effet, à cette période, les Etats-Unis avaient décidé de modifier la législation concernant les producteurs de tabac. Une limitation qui concernait notamment l’usage d’additif et d’arômes, l’utilisation de la mention "light", etc. Altria a donc décidé de filialiser Philip Morris International pour favoriser son développement en la soustrayant à la législation américaine. Philip Morris International a donc, comme ses concurrents British American Tobacco et Japan Tobacco International, déplacé son siège en Suisse, où la règlementation est beaucoup plus favorable. Les ponts capitalistiques ont été coupés entre les deux entreprises à cette occasion.

Plus de dix ans après – à l'été 2019 – des rumeurs ont circulé sur l'existence de discussions entre PMI et Altria pour un remariage. Rumeurs rapidement confirmées par les deux protagonistes, fâchés, dit-on de s'être fait griller la première place mondiale suite au rachat de Reynolds par British American Tobacco. L’idée a cependant été boudée par les investisseurs, entraînant notamment une baisse de plus de 13% pour Philip Morris International sur les séances du 23 au 27 septembre. Les actionnaires critiquaient en particulier l'endettement d'Altria, ses taux de croissance plus faibles et l'entrée récente à grands frais au capital de Juul (nous en reparlerons juste après).

Un acteur diversifié… dans les Sin Stocks

Altria n'est pas seulement un industriel de la cigarette. On peut même dire qu'il s’est diversifié dans d’autres "Sin Stocks". Les "Sin Stocks", valeurs en général peu recommandables, ont la réputation de n’être que très peu impactés par les épisodes récessifs. Alors que de nombreuses banques centrales augmentent leurs bilans pour éviter un ralentissement économique, revenons sur cette société censée être indestructible. La société n’a plus rien à voir avec le petit bureau de tabac Philip Morris ouvert à Londres en 1847. Elle est en effet désormais investie sur les secteurs suivants :

  • Le tabac :

Malgré une baisse de 67% depuis 1965, on compte toujours près de 34 millions de fumeurs aux États-Unis. Altria domine ainsi le marché Outre-Atlantique grâce à sa filiale Philip Morris USA, qui possède un total de 12 marques différentes telles que Marlboro, Philip Morris, Chesterfields ou encore L&M. Rappelons que depuis la scission entre PM USA et PM International, Altria ne gère plus les exportations de ces marques.

Le groupe se positionne aussi sur le tabac à chiquer et à priser au travers de l’entreprise US Smokeless Tobacco. Un marché qui représentait tout de même près de 6,78 Mds$ en 2018.

La multinationale s'inscrit aussi sur le secteur du tabac premium grâce à ses filiales John Middleton et Nat Sherman, spécialisées dans les cigares et les pipes en bois.

  • L’alcool

Ste. Michelle est aussi une filiale d’Altria. Après plus de 50 ans d’histoire, le Château Ste. Michelle est l’un des plus vieux domaines de l’Etat de Washington. L’entreprise possède 3500 hectares dans la Columbia Valley et produit de nombreuses variétés de vin allant de 9 à 150$ la bouteille. En 2016, Altria était aussi entrée au capital de la plus grande brasserie au monde, Anheuser-Bush Inbev, à hauteur de 9,6% du capital (selon le dernier rapport annuel du groupe belge, Altria détenait fin 2018 un peu plus de 10% du capital). Le groupe belgo-brésilien est propriétaire de nombreuses marques telles que Leffe, Corona, Budweiser ou encore Stella Artois.

  • Le cannabis

Après la vague de légalisation en Amérique du Nord (Canada et quelques Etats américains), le groupe a décidé de s’intéresser au marché du cannabis. Pour ce faire, elle a acquis 45% du capital de la société Cronos en 2018. Bien qu’ayant connu un parcours boursier assez désastreux en 2019 (-39% depuis le début de l’année), l’entreprise conserve une capitalisation de 2 Mds$. Elle est positionnée sur le cannabis sous différentes formes au Canada, comme à l’international.

  • La cigarette électronique

Depuis quelques années, le marché de la cigarette électronique se développe de plus en plus dans le monde entier. Selon le Global E-Cigarette Market, le marché devrait atteindre environ 30 Mds$ d’ici 2023. Altria a donc décidé de s'y positionner en rentrant à 35% dans le capital de la société Juul pour un investissement de 12,8 Mds$. Le modèle de cette entreprise se différencie de celui des autres acteurs présents sur le secteur. En effet, à l’inverse de marques telles que Smoke ou Vandy Vape, les produits Juul ne sont pas compatibles avec les produits d’autres marques.

Par ailleurs, ses cigarettes ne se rechargent pas avec du liquide, mais avec des recharges produites par la marque. Avec une approche Premium et "pratique", la marque a su s’imposer comme un phénomène de mode aux Etats-Unis. Néanmoins, depuis la vague de décès liée au vapotage aux USA et la plainte déposée par une ancienne cadre de l’entreprise, les ventes ont ralenti. La détérioration de la santé financière de l’entreprise a poussé cette dernière à remplacer son dirigeant par K.C. Crosthwaite, ancien vice-président d’Altria. Il a ainsi revu le modèle économique de la société et annoncé un plan de restructuration pour un montant d’1 Md$, entraînant la suppression de 650 postes. Il y a moins d'un mois, Altria à justement déprécié son investissement de 4,5Mds$.

  • La finance

Enfin, Altria se positionne dans le domaine de la finance, via Philip Morris Capital Corporation qui gère un portefeuille d’investissements dans divers secteurs, tels que l’aéronautique, l’énergie, les chemins de fer ou encore l’immobilier.

Sur le plan financier, l’entreprise est plutôt en très bonne santé. Avec une capitalisation de plus de 89 Mds$ et un chiffre d’affaires de 19,6 Mds$ en 2018, Altria parvient à réaliser des marges d’exploitation de plus de 50%. On notera par ailleurs un PER de 16,3, ce qui est relativement faible par rapport aux autres entreprises américaines : le PER moyen des entreprises du S&P 500 est de 23,06. 

Période Fiscale : Décembre 2019 2020 2021 2022 2023 2024 2025 2026
Chiffre d'affaires 1 19 796 20 841 21 111 20 688 20 502 20 570 20 745 20 980
EBITDA 1 10 960 12 412 12 044 12 237 12 602 12 508 12 748 12 921
Résultat d'exploitation (EBIT) 1 10 734 12 155 11 800 12 011 12 330 12 125 12 322 12 375
Marge d'exploitation 54,22 % 58,32 % 55,9 % 58,06 % 60,14 % 58,95 % 59,4 % 58,98 %
Résultat Avt. Impôt (EBT) 1 766 6 890 3 824 7 389 10 928 11 685 11 901 12 134
Résultat net 1 -1 293 4 467 2 475 5 764 8 130 8 648 8 825 8 983
Marge nette -6,53 % 21,43 % 11,72 % 27,86 % 39,65 % 42,04 % 42,54 % 42,82 %
BNA 2 -0,7000 2,400 1,340 3,190 4,570 4,949 5,135 5,293
Free Cash Flow 1 7 591 8 154 8 236 8 051 - 8 780 8 549 8 131
Marge FCF 38,35 % 39,12 % 39,01 % 38,92 % - 42,68 % 41,21 % 38,76 %
FCF Conversion (EBITDA) 69,26 % 65,69 % 68,38 % 65,79 % - 70,19 % 67,06 % 62,93 %
FCF Conversion (Résultat net) - 182,54 % 332,77 % 139,68 % - 101,52 % 96,88 % 90,51 %
Dividende / Action 2 3,280 3,400 3,520 3,680 3,840 4,004 4,169 4,334
Date de publication 30/01/20 28/01/21 27/01/22 01/02/23 01/02/24 - - -
1USD en Millions2USD
Données Estimées

Contexte et mise en perspective 

Etant donné que la majeure partie de l’activité du groupe provient de la vente de cigarette, nous pouvons observer une certaine corrélation entre les parcours boursiers d’Altria et des autres acteurs du secteur du tabac (Philip Morris International, Japan Tobacco Inc., British American Tobacco…). Entre 2009 (après s’être séparée de PMI) et 2017, l’entreprise a réalisé une performance boursière de plus de 400% contre environ 170% pour le S&P500. Cependant, la tendance s’est inversée depuis et nous pouvons évoquer différentes raisons.

Tout d’abord, Altria opère sur un marché mature. Comme nous l’avons cité précédemment, le nombre de fumeurs réduit progressivement aux Etats-Unis. Les préoccupations sanitaires – favorisées par les campagnes anti tabac (parfois financées par les producteurs de tabac eux-mêmes) – font de la cigarette un produit de moins en moins attrayant. De plus, le développement de solutions alternatives telles que la cigarette électronique, les patchs à la nicotine etc., poussent de nombreux fumeurs à s'arrêter. Sans parler de l’augmentation des taxes sur le tabac.

Enfin, "l'heure de gloire" des "Sin Stocks" semble désormais passée. La part d’institutionnels au sein du capital de l’entreprise, après avoir augmenté de près de 60% entre 2012 et 2017, a baissé de près de 10% entre 2017 et 2019. En bourse, le titre Altria a touché un pic historique il y a deux ans après avoir surperformé les indices depuis le début du millénaire. Comme l'illustre le graphique ci-dessous, la pente s'est inversée depuis :

Une décrue qui coïncide avec le développement de l’ISR (Investissement Socialement Responsable). L'appétit des investisseurs institutionnels pour les sociétés soucieuses du développement durable, du respect des droits de l’homme etc. relève d’une part de raisons évidentes d’éthique, mais aussi de marketing. En effet, la finance responsable plaît aux particuliers.

Altria n’est certainement pas la première valeur à laquelle on pense pour créer un fonds socialement responsable… Et pourtant ! La société, qui avait en son temps fait partie du fameux Vice Fund (VICEX), se retrouve désormais dans plusieurs fonds ISR. Autant dire que, comme en 2008, sa capacité d'adaptation n'est plus à démontrer.