par Alonso Soto et Anthony Boadle

BRASILIA, 21 mai (Reuters) - En refusant de démissionner, le président Michel Temer ouvre une longue période d'incertitude politique au Brésil, d'autant plus préjudiciable que la première puissance économique sud-américaine est en pleine récession.

L'ancien vice-président, qui a remplacé l'an dernier Dilma Rousseff à la tête de l'Etat après sa destitution, est visé par une enquête de la Cour suprême pour corruption et entrave à la justice. Lors d'une allocution télévisée samedi, il a affiché sa détermination à se battre jusqu'au bout pour rester au pouvoir.

La perspective de voir le Brésil paralysé politiquement un an à peine après la procédure d'"impeachment" lancée à l'encontre de Dilma Rousseff pour manipulation des comptes publics a fait plonger jeudi de 9% l'indice Bovespa de la Bourse de Sao Paulo, sa plus forte baisse en une journée depuis la crise financière de 2008.

Les investisseurs redoutent que l'exécutif ne soit pas en mesure de faire adopter des mesures qu'ils attendent, comme la dérégulation du marché du travail ou la hausse de l'âge de départ à la retraite.

Michel Temer est la dernière cible de l'opération anti-corruption "Lavage express" ("Lava Jato") qui secoue le pays depuis de longs mois. La Cour suprême a divulgué vendredi un témoignage fracassant selon lequel il aurait perçu plusieurs millions d'euros de pots-de-vin.

Alors que le pays compte 14 millions de chômeurs, que de nombreux Brésiliens souffrent de la politique d'austérité imposée par le gouvernement de centre droit, la cote de popularité de Temer menace déjà de tomber sous les 10%.

QUELS ALLIÉS ?

Certains alliés ont abandonné la coalition au pouvoir et les prochains jours détermineront si le chef de l'Etat bénéfice de soutiens suffisants au Congrès pour laisser passer l'orage.

Depuis jeudi, jour de l'ouverture de l'enquête de la Cour suprême, huit requêtes en vue d'une procédure de destitution ont été déposées par l'opposition. Une telle procédure s'étale sur au moins six mois.

"Temer ne doit rester que s'il est capable de faire approuver ses réformes par la coalition. Sinon, il faut qu'il démissionne", estime José Anibal, l'un des dirigeants du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), l'un des principaux alliés du président.

Michel Temer, aidé de ses alliés les plus fidèles comme le ministre des Finances Henrique Meirelles, ont décroché leur téléphone au cours des deux derniers jours pour tenter de persuader politiques et investisseurs de le soutenir.

"Il faut convaincre la classe politique qu'il n'y a pas de meilleure option pour le Brésil pour le moment", déclare un conseiller présidentiel souhaitant rester anonyme afin de s'exprimer librement. "Temer n'est pas le sujet, ce qui est en cause, c'est l'investissement, la création de nouveaux emplois et l'amélioration de la vie quotidienne des Brésiliens."

En temps normal, l'enquête de la Cour suprême se prolongerait plusieurs mois voire plusieurs années mais étant donné le climat politique, les magistrats pourraient décider assez vite si le chef de l'Etat doit être renvoyé devant la justice.

"L'enquête pourrait prendre longtemps, mais elle démarre avec de solides éléments à charge, l'enregistrement de la rencontre (entre Michel Temer et le président du groupe alimentaire JBG Joesley Batista, NDLR) et une série d'autres vidéos", souligne Rafael Mafei, professeur de droit à l'université de Sao Paulo. "Ce serait le moyen le plus rapide de sortir de la crise."

QUELLE LÉGITIMITÉ ?

Si la Cour suprême confirme les chefs d'accusation de corruption et obstruction à la justice, la chambre basse du Congrès sera amenée à voter pour autoriser le procès du chef de l'Etat. Ce qui, comme la destitution, requiert l'approbation des deux tiers des élus de la Chambre des députés.

En cas de vote positif, le président serait suspendu immédiatement de ses fonctions dans l'attente de son procès et pourrait être poussé à la démission.

Le sort de la présidence pourrait également être scellé par le verdict du Tribunal suprême électoral (TSE), qui doit statuer sur la validité de l'élection du ticket Rousseff-Temer en 2014, remise en cause par le versement de dons illégaux pendant la campagne. Le dossier sera ouvert le 6 juin par le TSE, qui devrait prendre plusieurs mois pour l'examiner, mais là encore, la crise pourrait inciter les juges à accélérer la procédure. Michel Temer pourra cependant faire appel du jugement.

Si l'actuel chef de l'Etat devait quitter ses fonctions, il serait remplacé pendant trente jours par le président de la Chambre des députés, Rodrigo Maia, avant l'élection par le Congrès d'un nouveau président pour assurer les fonctions de chef de l'Etat jusqu'à l'expiration du mandat initial de Dilma Rousseff, à la fin 2018.

Parmi les possibles candidats à cette élection indirecte figurent le ministre des Finances Henrique Meirelles, la présidente de la Cour suprême Carmen Lucia et l'ancien ministre de la Défense Nelson Jobim.

La question de la légitimité du nouveau président se posera néanmoins.

"Ce dirigeant serait faible étant donné le discrédit qui frappe le Congrès", déclare le sénateur Ronaldo Caiado, qui a appelé à la démission de Michel Temer. "Seule une personne élue au suffrage universel pourra entreprendre les réformes dont nous avons besoin."

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Les nuages s'accumulent sur la tête du président brésilien (Jean-Stéphane Brosse pour le service français)