"Bien faire ce qui est nécessaire ne suffit pas toujours". Bruno Monteyne, l'analyste qui suit le secteur de la grande distribution chez Bernstein, est passé négatif ce matin sur Carrefour en réduisant de 18 à 15,50 EUR son objectif de cours. "Même si Carrefour a pris des bonnes décisions, n'oubliez pas qu'il opère sur le marché le plus compliqué d'Europe et qu'il a hérité de l'ancienne direction un mauvais assemblage de formats, un mauvais positionnement prix et de mauvaises habitudes", explique Monteyne à l'appui de sa démonstration. Nous y reviendrons plus bas.
 
Ce qui gêne l'analyste, c'est la dynamique actuelle qui reste anémique non seulement sur le marché français, mais aussi dans le voisinage : Italie, Espagne et Belgique sont logées à la même enseigne. Et ce qui l'inquiète aussi, c'est qu'en dépit des nombreuses initiatives réussies pour réduire les coûts, l'impact sur les marges est très faible. En d'autres termes, le durcissement des conditions de marché a consommé les améliorations réalisées par le groupe. Dans un tel contexte, l'objectif de remontée des marges en France paraît compliqué à atteindre. "Pour qu'un redressement majeur des marges se produise, la seule possibilité serait une performance supérieure à celle du marché grâce aux consommateurs, mais rien ne préfigure une telle tendance", estime Bruno Monteyne. Et comme le dossier lui semble le mieux valorisé en Europe à l'heure actuelle, il passe désormais son chemin.
 

Parcours de l'action Carrefour (noir) par rapport à l'indice sectoriel européen de la distribution (rouge) sur 10 ans
 
Intéressons-nous aux critiques formulées par Bernstein sur le modèle Carrefour :
  • Les mauvais formats : avec 60% du chiffre d'affaires qui provient des hypermarchés en France, le groupe est surexposé au segment qui souffre le plus. Les consommateurs se reportent en effet vers les magasins de proximité (vieillissement de la population, familles réduites, urbanisation), le commerce en ligne et les hard discounters.
  • La "pire structure du secteur" (le terme est de Bernstein) :
    • Trop de clones : en France, il y a six opérateurs d'hypermarchés qui sont tous en concurrence avec des offres supermarchés très proches et des hard discounters. Au Royaume-Uni, il n'y a que quatre grands. Aux Etats-Unis, il y a en général trois acteurs sur une même zone de chalandise, deux nationaux et un régional.
    • Une détention problématique : près de 70% des opérateurs sont des entreprises privées dont la plupart sont des réseaux de franchisés détenues par des familles locales. Cela offre moins de prise par rapport, par exemple, au Royaume-Uni où 60% du marché est détenu directement par des entreprises cotées.
  • Des dés pipés au départ : avant le management actuel, Carrefour a été "mal géré pendant plusieurs années", selon Bernstein, qui cite trois exemples :
    • Des prix mal placés, car trop élevés depuis longtemps dans les hypermarchés, notamment par rapport à Leclerc, en particulier sur les marques de distributeur.
    • Pas de contrôle des coûts. Alors que la fusion avec Promodès remonte à 2000, il a fallu attendre 2018 pour que le groupe supprime ses doublons et ferme son second siège. "Le contrôle des coûts n'a jamais été une priorité de la société", commente Monteyne.
    • Des incitations managériales mal placées : les bonus des dirigeants ont longtemps été indexés sur les revenus ou sur l'Ebit sous-jacent, pas sur la génération de trésorerie ou sur une gestion serrée.
Ces critiques ne sont pas nouvelles : l'absence de fusion intégrale entre Carrefour et Promodès dès le début de leur union est même un sujet récurrent des quinze dernières années. Il est intéressant de noter que Bernstein, ce n'est pas le seul bureau d'études à dresser ce constat, estime qu'il y a trop d'acteurs en France. Le thème de la consolidation sectorielle est d'ailleurs dans l'air du temps