"Les conglomérats sont en déclin structurel", estime la banque Jefferies, qui leur a consacré une étude à partir des travaux de plusieurs de ses analystes. Une désaffection qui s'explique par plusieurs facteurs, mais avant tout par de piètres performances boursières. "Les investisseurs ont tendance à oublier les structures inefficaces, la gouvernance inadaptée et la mauvaise qualité des publications quand les performances de leurs investissements sont supérieures à la moyenne", poursuit Jefferies, "c'est la nature humaine". Les conglomérats modernes que sont les géants de la technologie sont peu ennuyés par leurs actionnaires grâce à leurs parcours boursiers exceptionnels… même si cette impunité est en train de disparaître.
 
Une définition empirique du conglomérat le définirait comme un groupe comprenant plusieurs activités qui n'ont pas ou peu de synergies opérationnelles entre elles. Leurs partisans estiment qu'ils permettent d'obtenir de meilleures conditions de financement, d'optimiser l'allocation de capital ou de réduire les risques (du fait de la diversification). Leurs détracteurs soulignent au contraire leur manque de transparence, des coûts de gestion élevés, le risque lié à des opérations de croissance externe incessantes et beaucoup d'autres éléments. Globalement, Jefferies est plutôt du côté des détracteurs : les inconvénients surpassent les avantages. Du moins actuellement.
 
Une sousperformance boursière
 
Pour jauger de l'intérêt purement boursier des conglomérats, la banque a retenu un panel représentatif de dix valeurs bien connues des deux côtés de l'Atlantique : AAB, Daimler, Danaher, General Electric, Honeywell, Philips, Siemens, ThyssenKrupp, United Technologies et Volkswagen. Sur 10 ans, sept ont fait moins bien que les indices, souvent avec de gros écarts. Danaher et United Technologies sont les exceptions, puisque leurs parcours boursiers sont exceptionnels. Cela n'a pas empêché le second nommé d'annoncer sa scission en trois entités (retrouvez ici un état des lieux d'UTI avant scission). Volkswagen est le troisième dossier en territoire positif, mais il présente un profil atypique : le titre a beaucoup progressé après la crise financière grâce à la simplification des liens capitalistiques avec Porsche, mais il a reperdu pas mal de terrain depuis 2012. Les travaux de Jefferies montrent que les piètres performances boursières des autres acteurs s'expliquent généralement par des trajectoires de bénéfice par action négatives ou chaotiques. En moyenne sur 10 ans (2009/2018), les 10 conglomérats ont gagné 46%, contre 120% au DAX, 151% au STOXX EUROPE 600 Industrie et 193% au S&P Industrial.
 

Zonebourse à partir des données Jefferies
 
Mais tout n'est peut-être pas perdu pour les conglomérats, puisqu'historiquement, ils ont à plusieurs reprises séduit puis fait fuir les investisseurs. "En prenant du recul et en adoptant une vision à très long terme, nous pensons qu'il est inévitable que les conglomérats reviennent à la mode C'est seulement le timing qu'il est difficile de prévoir", poursuit Jefferies. Le cocktail pour un retour en grâce pourrait se composer de perspectives de croissance organique très limitées, d'un accès facile au financement et de la possibilité d'utiliser l'informatique et l'intelligence artificielle pour réduire les coûts de gestion. Le jour où les planètes seront alignées, de nouveaux groupes fédérant plusieurs entreprises pourraient voir le jour, conclut la banque.
 
En France aussi
 
En France, plusieurs conglomérats ont été fabriqués et déconstruits au cours des quarante dernières années. On pense à Alcatel-Alsthom ou plus récemment au Vivendi époque Jean-Marie Messier. Il en existe toujours. Citons le cas de Bouygues, présent dans le BTP, la téléphonie et les médias, ou de Bolloré, dont les activités vont des infrastructures portuaires aux médias en passant par l'énergie et la mobilité. De Lagardère également, même après le recentrage sur l'édition et le duty-free. Coté performance boursière sur dix ans, Bolloré fait plutôt penser à Danaher. Mais Bouygues et Lagardère sont plutôt à ranger dans la catégorie des conglomérats dont les actionnaires peuvent nourrir des regrets.