A la tête de La Française de l’Energie depuis bientôt 10 ans, est revenu en France après un parcours international consacré à l’investissement dans l’énergie et les ressources naturelles, notamment en Chine et en Australie. Il prend le contrôle d’une petite société, initialement australienne, qu’il transforme en spécialiste de la récupération du gaz de charbon dans les bassins miniers français et devient La Française de l’Energie (LFDE). En juin 2016, l’introduction en Bourse de LFDE permet de lever 37 M€ et de racheter Gazonor pour 20 M€. Objectif : transformer LFDE en leader de la récupération et de la valorisation en circuits courts du gaz issu du charbon, en France et bientôt en Europe. Entretien. 

Julien Moulin, La Francaise de l’Energie (LFDE) reste méconnue de la plupart des investisseurs. Quelle est votre activité ?

"La Française de l’Energie récupère du gaz issu du charbon, soit dans les anciennes galeries minières des Hauts de France, une fois que ce gaz s’est mélangé à l’air – il est alors appelé grisou ou gaz de mine, soit dans le Grand Est, directement dans les charbons non exploités par les Charbonnages de France, en Lorraine - il est alors pur et appelé gaz de charbon. Nous valorisons le gaz récupéré en approvisionnant les consommateurs particuliers et industriels régionaux en gaz, électricité verte et chaleur. Nous remplaçons ainsi l’énergie importée fortement carbonée par une énergie locale nettement plus propre. A titre d’exemple, le grisou s’échappe naturellement des anciennes galeries minières, et sa capture évite ainsi que des milliers de tonnes de CO2 partent polluer l’atmosphère. De plus, la fourniture d’énergie tricolore en circuit court renforce cet atout écologique, sans compter l’enjeu de l’indépendance énergétique française. Nous n’allons pas rendre notre pays autosuffisant en énergie, mais tout import évité peut être réinvesti dans le développement des énergies renouvelables et de récupération sur les territoires concernés".

Quel est votre modèle économique ?

"Nous mettons en œuvre un modèle unique en France qui se décline en deux volets en partant d’une même ressource initiale, le gaz issu du charbon. Dans le Grand Est, notre activité consiste à réaliser un trou de 80 cm de diamètre pour récupérer, par simple différentiel de pression, directement dans les charbons situés à une profondeur avoisinant 1000 mètres, le gaz pur présent dans le charbon. Nous avons investi, depuis son lancement, environ 40 M€ dans cette activité, et réalisé d’importants travaux de modélisations, d’ingénierie de réservoirs et de tests d’équipements afin de valider les aspects économiques et techniques de notre projet et nous préparer à la mise en production. Nous intervenons sur des zones connues puisque des milliers de forages ont déjà été réalisés dans le passé, ce qui permet d'avoir une bonne connaissance et compréhension du sous-sol. À la suite de la validation récente des stocks de gaz présents et récupérables sur ce bassin minier, nous espérons obtenir prochainement une concession jusqu’en 2040 dans la région Grand Est, permettant alors, d’ici la fin 2019, de démarrer la production. L’objectif est que nos clients distributeurs d’énergie, industriels ou particuliers, remplacent ainsi le gaz importé par du gaz local qui a, d’après le rapport CNRS-BioDeloitte et IFEU 2016, une empreinte carbone 10 fois inférieure au mix gazier français.

Par ailleurs, dans les Hauts-de-France, notre activité, via notre filiale Gazonor, consiste à récupérer, à partir d'installations de surface, le gaz de mine qui a migré dans les anciennes galeries minières et qui partirait à l’atmosphère si Gazonor ne le captait pas. La mise en œuvre de ces exploitations permet de valoriser une source d'énergie locale et de supprimer le risque de remontée inopinée de gaz à la surface. Le gaz est ensuite valorisé soit sous forme de gaz et vendu à Total, soit sous forme d'électricité produite via la cogénération et vendue à EDF OA à un tarif de rachat fixé en vertu d’une Obligation d’achat par l’Etat français sur une période de quinze ans. Nous produisons aussi de la chaleur qui est destinée à des collectivités locales ou à des industriels de la région et que nous allons commencer à valoriser en 2021 au plus tard. Nous disposons à ce jour de quatre sites de production pour une puissance installée totale de 9 MW, ce qui correspond aux besoins en électricité de quarante mille habitants. Cette activité a nécessité un investissement de 7 M€ pour un chiffre d’affaires annuel de 5 M€ sur lequel nous dégageons près de 50% de marge opérationnelle. Nous avons commencé à répliquer ce type de sites dans la prolongation du bassin minier, en Wallonie, avec un potentiel de chiffre d’affaires d’ici fin 2021 de 35 M€ rien que sur ce bassin franco-belge".
 

Implantations LFDE (Source Présentation société octobre 2018 - Cliquer pour agrandir)

Quelles sont les barrières à l’entrée dans votre activité ?

"Nous avons le grand avantage d’avoir été pionnier en France et en Belgique. Nous avons surmonté toutes les complexités règlementaires et les contraintes administratives que l’on peut imaginer. Par ailleurs, nous combinons un savoir-faire unique et reconnu en matière de géologie, d’ingénierie et de gestion de projets. Nous avons prouvé que nos installations fonctionnent. Le savoir-faire et les technologies de production que nous utilisons sont employés dans la plupart des grands pays énergétiques, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, et même en Allemagne, où nous serons amenés, à terme, à racheter des petites structures. En Australie, la production du gaz de charbon et son exportation sous forme de Gaz Naturel Liquéfié a permis à ce pays de devenir l’un des principaux producteurs mondiaux de gaz. La Française de l'Energie détient des concessions exclusives sur les bassins miniers français et belges pour une durée d’environ vingt ans. C’est une autre barrière à l’entrée très importante. Les investissements nécessaires pour monter en puissance sur les territoires existants et dans d’autres pays comme l’Allemagne ou la Pologne nécessiteront des investissements conséquents. Cependant, notre capacité d’autofinancement en forte croissance et l’appétit des banques pour financer notre activité devraient nous permettre d’éviter toute dilution supplémentaire pour nos actionnaires. Nous anticipons d’avoir toujours recours à l’endettement à taux très modéré, ce qui réduira notre coût du capital. En effet, maintenant que nous avons fait nos preuves techniquement, le risque d'exécution des projets est relativement faible et notre crédibilité auprès des banques et des collectivités facilite l’obtention de lignes de crédit et de préfinancements".
 
Un moteur de cogénération de LFDE

Si les aspects financiers et techniques semblent maîtrisés, qu’est-ce-qui peut freiner votre développement ?

"Toute nouvelle installation nécessite de nouvelles autorisations administratives dont nous ne maîtrisons pas complètement le calendrier compte tenu des délais administratifs. De plus, nous devons anticiper les besoins en moteurs, avec des délais de fabrication d’environ six mois. Quant à la Belgique, nous devons négocier l’obtention de nouvelles concessions avec le Gouvernement Wallon. Nous avons obtenu il y a près d’un an le permis d’exploiter le site d’Anderlues, il nous reste à le faire sur les autres sites déjà identifiés".

Comment se passe l’exercice 2018/19 ?

"Il s’agit d’une année importante pour nous car c’est la première année où nous aurons une année complète sur la production d’électricité. Nous avons également réussi à fiabiliser le site historique d’Avion dans les Hauts-de-France en remplaçant les vieux moteurs gaz par trois nouveaux moteurs électriques, moyennant un investissement de 1,3 M€ nous permettant tout à la fois d’améliorer notre capacité de production et de réduire nos charges opérationnelles. Le disfonctionnement de ces moteurs hérités des Charbonnages de France nous avait pénalisé en 2017 et 2018. Par ailleurs, nous allons dans les tous prochains jours commencer à produire à l’international, à Anderlues, ce qui constituera notre cinquième site en production. En Lorraine, nous avons pris du retard avec un test de production sur le site de Lachambre qui a pris plus de temps qu’initialement prévu. Néanmoins, nous avons atteint une grande partie de nos objectifs avec la certification de réserves de gaz sur ce site qui a validé un stock de gaz de plus de 2.1 milliards de m3 qui a ensuite débouché sur une demande de concession. La valorisation du gaz et sa mise en production sont prévues dans les 12 prochains mois. Nous venons de publier notre chiffre d’affaires sur neuf mois, il ressort à 5,8 M€ à fin mars 2019, en hausse de 13%, dont 2,5 M€ de CA au troisième trimestre, en progression de 42% par rapport au troisième trimestre 2018. Notre groupe a, par ailleurs, atteint la profitabilité opérationnelle pour la première fois sur le semestre précèdent ce qui était le principal objectif pour l’année en cours".

Enfin, quelles sont vos ambitions à moyen et long terme ?

"Nous avons fixé comme objectif d’atteindre pour la fin 2021 un CA de 35 M€ et un taux d’EBITDA supérieur à 45%. Cela passera par l’installation dans les Hauts-de-France d’au-moins dix nouveaux sites, soit deux tranches de 15MW supplémentaires, et 3 MW supplémentaires en Belgique, et enfin par un début d’exploitation des gisements de gaz lorrains. A partir de 2021, nous débutons un contrat d’approvisionnement en gaz, électricité et chaleur avec la commune de Béthune, en partenariat avec Dalkia, qui permettra une économie moyenne de près de 300€ par an sur la facture énergétique de chaque foyer. A plus long terme, nous ambitionnons de devenir un acteur majeur du secteur de l'énergie en Europe. En effet, les études ont prouvé l’existence de plusieurs centaines d’années de réserve de gaz rien que sur les bassins sur lesquels nous sommes présents, sachant que nous regardons de près d’autres pays européens, comme l’Allemagne où le principal acteur, Evonik, gère une base installée de 350 MW au sein d’un groupe diversifié qui poursuit d’autres priorités stratégiques. Nous restons encore au début de l’aventure de La Française de l’Energie !".