Je vous avais soumis la semaine dernière un premier pré-bilan des introductions d'entreprises sur Euronext Paris en 2018, accessible via ce lien. Je me doutais qu'il n'était pas très bon, mais je n'imaginais pas dans quelles proportions. Le tableau ci-dessous récupéré sur Bloomberg donne une idée de l'ampleur des dégâts, surtout si l'on écarte Neoen, le bon élève de l'année en matière de performance et de levée de fonds. 
 

La colonne de droite illustre la variation depuis l'IPO (Source Bloomberg - Cliquer pour agrandir)

Je vais davantage me concentrer sur Navya, la société lyonnaise spécialisée dans le véhicule autonome, qui affiche des atouts assez séduisants sur le papier. "Véhicule autonome", "mobilité intelligente et partagée", locaux en France et aux Etats-Unis, Valeo et Keolis au capital… Le descriptif qui figure en pied de page des communiqués de Navya coche plusieurs cases de la catégorie "prometteur" et "sérieux". Pourtant, tout va de travers depuis l'été. 

-70% depuis l'introduction

Moins de six mois après son arrivée en bourse, le constat est amer : l'action vaut moins de 2 EUR, contre 7 EUR au moment de l'introduction, l'objectif de chiffre d'affaires 2018 annoncé en juillet est abaissé de 30 à "17 à 19 millions d'euros" et le conseil de surveillance vient de voler en éclats, non sans avoir démis de ses fonctions le président-fondateur, Christophe Sapet (il n'aura pas échappé aux bons connaisseurs du microcosme lyonnais ou du secteur des jeux vidéo que Christophe Sapet est également le co-fondateur de feue-Infogrames, avec son ami Bruno Bonnell, lequel, outre sa casquette récente de député, est actionnaire indicrect de Navya via le fonds Robolution, désormais géré par 360 Capital Partners). Et l'on est sans nouvelles de l'objectif d'équilibrer l'Ebitda en 2019. 
 
Des signaux négatifs sur l'IPO 

En juillet dernier, les marchés financiers commençaient déjà à donner quelques signes de lassitude après dix ans de hausse. Chez Zonebourse, l'IPO de Navya suscitait quelques interrogations, hormis du côté d'un stagiaire enthousiaste qui officiait à l'époque chez nous. J'avais dû tempérer un peu ses ardeurs juste avant l'introduction, en lui expliquant que le dossier pouvait paraître séduisant mais que certains signaux ne trompaient pas : la fourchette de l'opération abaissée de "12 à 9 EUR" à "9 à 7 EUR" ou l'extension de deux jours de la période de souscription par exemple. Je lui avais aussi conseillé de creuser un peu la note d'opération, notamment la partie financement. Il avait pu constater qu'à la date du visa de l'AMF (5 juin 2018), la société ne disposait plus de liquidités que jusqu'au 31 août 2018, soit une visibilité de trois mois. L'IPO était par conséquent nécessaire pour que de nouveaux investisseurs apportent de l'argent frais, sans quoi les anciens actionnaires auraient dû remettre la main à la poche et/ou trouver des sources alternatives (cela s'est concrétisé en août avec le prêt de la BEI) ou se préparer à cesser l'activité. 

Le grand ménage d'hiver

Navya n'est pas la seule entreprise à hâter son entrée sur le marché pour des questions de besoins en financement, c'est même l'un des intérêts d'une IPO. Pour autant, le profil de la société est plus adapté à un investisseur anglo-saxon qu'européen. Question de philosophie. Si Navya était une entreprise américaine proche d'entrer sur le Nasdaq, elle aurait sans doute insisté sur le marché énorme en passe d'être adressé, en mettant au second plan la perspective d'équilibrer les comptes à court terme (Si Elon Musk avait cherché à équilibrer les résultats de ses sociétés en 5 ans, Tesla ou SpaceX n'existeraient sans doute pas). La fuite en avant ne sied pas à l'investisseur européen, qui veut du concret, rapidement. Lors de son IPO, Navya a communiqué sur des objectifs précis et chiffrés à quelques mois, comme le veut la tradition européenne. Objectifs qui ne seront vraisemblablement pas tenus, mais qu'il est sans doute absurde d'avoir à fixer compte tenu du stade de développement de l'entreprise.  

L'avertissement du 7 décembre dernier n'étonnera donc personne, à l'inverse du grand chambardement annoncé ce matin. Précisément, le conseil de surveillance a démis de ses fonctions le président du directoire Christophe Sapet, remplacé provisoirement par le directeur financier Frank Maccary, promu au directoire le temps de trouver un nouveau patron. La conduite opérationnelle est assurée par Jérôme Rigaud, actuel directeur général délégué et seul autre membre du directoire. Le conseil de surveillance a enregistré les démissions de Marie Laure Sauty de Chalon, Pascaline Peugeot de Dreuzy, de la société Valeo, Laurent Kocher (administrateur indépendant mais dirigeant de Keolis). Keolis et Valeo ont précisé qu'ils continuent les projets opérationnels ou techniques menés avec Navya malgré ces départs. Le conseil de surveillance ne comprend plus que cinq membres, dont le président Charles Beigbeder, Dominique Rencurel et Fausto Boni (360 Capital Partner), Francesca Fiore et Christiane Marcellier. 

On n'en saura pas plus pour l'instant sur les tenants et les aboutissants de ce grand ménage. Mais on sait qu'il sera nécessaire d'offrir plus de visibilité au marché pour qu'il souscrive au véhicule autonome "Made in France". Souhaitons donc que Navya se remette de sa sortie de route et qu'elle prenne de bonnes résolutions de transparence pour l'année 2019.