(Actualisation : commentaires supplémentaires de Jean-Dominique Senard sur les objectifs du changement de gouvernance, contexte du départ de Thierry Bolloré)

PARIS (Agefi-Dow Jones)--Le président de Renault, Jean-Dominique Senard, a invoqué vendredi le besoin de créer "un nouveau souffle" chez Renault pour justifier l'éviction de Thierry Bolloré, assurant n'avoir subi aucune pression de l'Etat ni de son partenaire Nissan.

Il est parfois "utile" pour une entreprise de s'accorder un "nouveau souffle", a déclaré le président de Renault lors d'une conférence de presse, ajoutant que le limogeage du directeur général du constructeur automobile n'avait "rien de personnel". "Le nouveau souffle nécessitait un nouveau patron", a-t-il affirmé. Thierry Bolloré avait été nommé directeur général de Renault en janvier, dans la foulée de la démission de l'ex-PDG Carlos Ghosn, dont l'arrestation fin 2018 avait ébranlé l'alliance entre Renault et son partenaire Nissan.

Interrogé sur une éventuelle volonté de Bercy de pousser Thierry Bolloré vers la sortie, Jean-Dominique Senard a assuré que "personne n'[avait] exercé de pressions" sur le conseil d'administration. Le président de l'industriel a également affirmé que cette décision n'avait "pas de lien" avec la nouvelle gouvernance de son partenaire Nissan, qui a nommé mardi un directeur général et un directeur des opérations.

Jean-Dominique Senard a expliqué qu'il était au Japon mardi, lorsque Nissan a procédé à son changement de gouvernance. "A aucun moment", les responsables de Nissan n'ont exercé de pressions visant à évincer Thierry Bolloré, a-t-il insisté. La direction de Nissan fait preuve d'un caractère "extraordinairement pro-alliance", a souligné Jean-Dominique Senard.

De même, le président de Renault a balayé d'un revers de main l'hypothèse selon laquelle le départ de Thierry Bolloré serait lié aux récentes performances du groupe. Ce sujet n'a pas été "sur la table", a-t-il assuré.

Jean-Dominique Senard a également affirmé qu'il aurait préféré que Thierry Bolloré démissionne plutôt que le conseil d'administration soit contraint de le limoger.

"Apaisement" et "sérénité" requis pendant l'intérim

Le conseil de Renault a décidé vendredi matin de mettre fin au mandat de Thierry Bolloré qui sera remplacé à titre intérimaire par la directrice financière, Clotilde Delbos, le temps pour le groupe de choisir un nouveau directeur général. Clotilde Delbos remplacera aussi Thierry Bolloré au sein du conseil opérationnel de l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, a indiqué Jean-Dominique Senard.

Lors de sa conférence de presse, le président de Renault a expliqué avoir confié "deux missions" à Clotilde Delbos : "tout faire" pour associer l'Alliance à ce "nouveau souffle" et assurer une transition managériale "dans l'apaisement et la sérénité". Jean-Dominique Senard s'est dit "extraordinairement optimiste" dans la capacité de l'Alliance à "réaliser tout son potentiel".

Interrogée sur son éventuelle volonté de succéder à Thierry Bolloré au delà de sa période d'intérim, Clotilde Delbos a botté en touche : "nous allons prendre les choses l'une après l'autre", s'est contenté de répondre la responsable.

Clotilde Delbos a rejoint Renault en 2012 en tant que directeur performance et contrôle du groupe. La responsable occupait ses fonctions de directrice financière et de présidente du conseil d'administration de RCI Banque depuis 2016. Elle est membre du comité exécutif du groupe Renault.

Pour épauler Clotilde Delbos, le conseil d'administration a désigné Olivier Murguet et José Vicente de los Mozos, en qualité de directeurs généraux adjoints. Ces deux responsables sont respectivement directeur commercial et directeur de la fabrication et de la logistique du groupe.

Jean-Dominique Senard a jugé que le futur directeur général devra nécessairement cerner le "caractère impératif de l'Alliance". Ce responsable devra également se montrer capable de "briser les silos" au sein de Renault.

Renault ne s'est pas fixé de calendrier spécifique pour sélectionner son futur directeur général, a indiqué Jean-Dominique Senard, ajoutant que cette recherche serait effectuée en interne comme en externe.

Tensions avec Nissan et résultats décevants

Jean-Dominique Senard a précisé que le conseil d'administration de Renault n'avait pas encore statué sur les indemnités de départ de Thierry Bolloré. "Nous avons la capacité de prendre notre temps sur ce sujet", a-t-il expliqué.

Thierry Bolloré a été démis de ses fonctions alors que cet été, le constructeur a dû revoir à la baisse son objectif de chiffre d'affaires pour 2019 dans un contexte de ralentissement généralisé du marché de l'automobile. Les relations du groupe avec son partenaire Nissan restent par ailleurs délicates depuis l'arrestation en novembre 2018 de Carlos Ghosn, accusé de malversations.

Avant l'annonce de son départ, des dirigeants de Nissan estimaient que Thierry Bolloré avait rechigné à aider le constructeur automobile japonais dans son enquête sur le mandat de son ex-président, ont indiqué des sources proches du dossier. Carlos Ghosn a été démis de ses fonctions à la tête de Nissan après son arrestation au Japon.

Thierry Bolloré n'est pas non plus parvenu à résoudre des tensions plus profondes, liées notamment au souhait de Nissan que les participations croisées entre le groupe et son partenaire Renault soient rééquilibrées. Dans le cadre de l'alliance entre les deux groupes, Renault détient 43% du capital de Nissan, alors que le japonais ne possède que 15% des actions Renault, sans droits de vote.

En juillet, Renault avait abaissé son objectif de chiffre d'affaires, face à l'érosion de la demande et à un marché automobile mondial attendu en baisse de l'ordre 3% en 2019 par le constructeur automobile. Le groupe table sur un chiffre d'affaires 2019 "proche" de celui de 2018, à taux de change et périmètre constants, alors qu'il anticipait auparavant une hausse annuelle sur cette même base. Au premier semestre, le free cash-flow opérationnel de l'automobile s'est inscrit à -716 millions d'euros, contre un flux positif de 418 millions d'euros un an auparavant.

Alors que la presse s'était fait l'écho de son limogeage imminent, Thierry Bolloré avait dénoncé dans un interview publiée sur le site des Echos jeudi soir, "un coup de force stupéfiant". "La seule chose que l'on me reproche peut-être, c'est d'avoir été nommé directeur général adjoint début 2018, sur proposition de Carlos Ghosn, à l'unanimité du conseil", a dénoncé le dirigeant.

Nissan a aussi remanié sa direction

Les changements à la direction de Renault interviennent quelques jours seulement après que Nissan a annoncé un remaniement de sa gouvernance avec la nomination de Makoto Uchida au poste de directeur général. Il succède à Yasuhiro Yamauchi, qui avait été nommé en septembre pour assurer l'intérim à la direction générale après la démission de Hiroto Saikawa.

La décision du groupe français de procéder à un changement similaire reflète la volonté de Renault de resserrer ses liens avec son partenaire japonais au plus vite. Renault a manifestement le souhait d'approfondir l'alliance mais également d'y intégrer de nouveaux membres afin de s'adapter à une conjoncture dégradée.

En début d'année, le groupe a mené des discussions en vue d'un rapprochement avec Fiat Chrysler, mais les deux constructeurs n'ont pas obtenu l'accord explicite de Nissan pour leur projet. Les négociations étaient menées par Jean-Dominique Senard, qui a pris la présidence du conseil d'administration de Renault en janvier.

La reprise des négociations avec Fiat Chrysler "n'est pas sur la table", a assuré Jean-Dominique Senard au cours de sa conférence de presse de ce vendredi.

-Julien Marion, Agefi-Dow Jones; +33 (0)1 41 27 47 94; jmarion@agefi.fr ed: ECH - VLV

(Nick Kostov, The Wall Journal, et François Schott, Agefi-Dow Jones ont contribué à cet article)

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