A la clôture, l'action du groupe au losange perd 2,82% à 40,66 euros après avoir touché, à 40,16 euros, son plus bas niveau depuis sept ans; elle accuse la plus forte baisse du CAC 40, qui a terminé en repli symbolique de 0,02%.

La capitalisation boursière du groupe français est ainsi ramenée à 12,0 milliards d'euros.

De hauts dirigeants de Nissan ont accéléré des préparatifs secrets à l'éventualité d'un divorce d'avec Renault dans le sillage de l'affaire Carlos Ghosn, écrit le Financial Times dans un article publié dimanche. Selon le journal britannique, une séparation totale des activités d'ingénierie et de production des deux membres de l'alliance serait même à l'étude.

L'arrestation en novembre 2018 de l'homme fort et architecte de l'alliance pour des malversations financières qu'il dément a ravivé les tensions qui existent de longue date au sein de l'attelage franco-japonais fondé en 1999.

"Nous pensons fermement que la relation entre (Renault et Nissan), et donc l'alliance, est brisée, et probablement au-delà du stade où elle est réparable", commentent Arndt Elinghorst et Chris McNally, analystes d'EvercoreISI, dans une note. Leur recommandation sur l'action Renault est à "sous-performer".

Renault a refusé de commenter ces informations tandis que Nissan n'était pas disponible dans l'immédiat pour faire un commentaire au Japon, où lundi est férié.

GHOSN DÉNONCE "UNE ALLIANCE DE MASCARADE"

Carlos Ghosn a fui fin décembre le Japon, où il était placé depuis avril dernier en résidence surveillée et devait être jugé.

S'exprimant publiquement pour la première fois depuis son arrivée au Liban, pays où il a passé son enfance, l'ancien patron de Renault et Nissan a déclaré mercredi qu'il était victime d'un complot et dénoncé les conditions dans lesquelles il avait été détenu puis assigné à résidence au Japon.

Il a également critiqué "une alliance de mascarade".

"Ils disaient qu'ils voulaient tourner la page Ghosn. Et bien ils ont eu beaucoup de succès. Ils ont tourné la mauvaise page parce qu'il n'y a plus de profit, plus de croissance, plus d'initiative stratégique, plus de technologie. Plus d'alliance", a lancé le PDG déchu.

En Bourse, Renault et Nissan ont perdu environ 40% de leur valeur depuis l'arrestation de Carlos Ghosn. Longtemps soutenues par l'espoir d'une plus grande intégration entre les deux groupes, les deux valeurs ont aussi souffert de plusieurs avertissements sur chiffre d'affaires et sur résultats de Nissan et Renault, de la dégradation des marchés automobiles mondiaux ainsi que du défi que représente le durcissement des normes d'émission en Europe.

Malgré ces vents contraires, la nouvelle direction de Renault - Jean-Dominique Senard, nommé président en janvier, et Clotilde Delbos, directrice générale par intérim depuis octobre - tente de donner un nouveau souffle à l'alliance.

"Le plan au-delà de 2024 est en cours de construction", a indiqué un ingénieur haut placé chez Renault, faisant référence à des futures plates-formes communes électriques et hybrides pour l'Europe et à des nouveau projets low-cost à vocation mondiale. "Il faut laisser un peu de temps."

RECONSTRUCTION EN COURS ?

Une autre source proche de Renault souligne pour sa part que la nomination récente d'un nouveau secrétaire général de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, qui rendra compte au nouveau conseil opérationnel mis en place pour remplacer la structure néerlandaise RNBV controversée, prouve que le travail de reconstruction est en cours.

De nouvelles initiatives communes pourraient être dévoilées dans les semaines à venir, ajoute-t-elle.

Renault recherche également un nouveau directeur général, après avoir écarté en octobre Thierry Bolloré afin de relancer l'alliance avec Nissan. Ce dernier est quant à lui désormais dirigé par Makoto Uchida, connu pour ses liens étroits avec le partenaire français.

La convergence déjà engagée continue de produire des résultats, comme le prouvera l'arrivée très prochaine d'un crossover électrique de Nissan - basé sur le concept-car Ariya - qui inaugurera la toute nouvelle plate-forme électrique de l'alliance. Le véhicule devrait être suivi l'an prochain de son cousin Renault.

"Ces programmes ont été initiés il y a déjà longtemps", précise cependant un bon connaisseur du groupe. "Le problème est qu'aujourd'hui on ne voit rien de concret pour prendre la suite, aucun objectif."

"De ce point de vue-là, je partage le diagnostic de Carlos Ghosn", ajoute-t-il. "Mais ce qu'il oublie de dire, c'est que les choses ont commencé à se dégrader bien avant son arrestation."

Si la disgrâce de Carlos Ghosn, qui incarnait à lui seul l'alliance, a bien provoqué un coup d'arrêt dans plusieurs cycles de décision, mais dès 2015, la question du partage à parité des coûts de R&D pour les nouvelles technologies et les nouveaux produits était déjà un sujet de friction, ont dit deux sources proches de Nissan.

Cette stratégie "ne rémunérait pas correctement le travail de Nissan: la productivité de l'ingénierie de Nissan est de 40% supérieure (...) et dans certains cas, le double de celle de Renault", a indiqué une des sources.

L'année suivante, l'alliance toujours dirigée par l'ancien PDG avait également écarté Alain Raposo, alors en charge du rapprochement des moteurs et des boîtes de vitesse des deux groupes. Des sources à l'époque y avaient vu la conséquence d'une guerre de tranchée entre les ingénieries françaises et japonaises et une preuve de l'incapacité de Carlos Ghosn à y mettre bon ordre.

Alain Raposo est aujourd'hui chez PSA.

La difficulté à rapprocher techniquement les deux groupes s'est également illustrée dans les petites voitures - Clio et Micra sont fabriquées au même endroit, mais sur des architectures différentes, les électriques Zoé et Leaf ont deux conceptions totalement distinctes - ou encore dans les batteries et la connectivité des véhicules.

(Avec Josephine Mason à Londres et Sarah White à Paris, édité par Patrick Vignal et Marc Angrand)

par Gilles Guillaume et Norihiko Shirouzu