Presse et Information

Cour de justice de l'Union européenne

COMMUNIQUE DE PRESSE n° 153/20

Luxembourg, le 3 décembre 2020

Conclusions de l'avocate générale dans l'affaire C-337/19 P Commission/Belgique et Magnetrol International NV

Tax rulings : selon l'avocate générale Kokott, la Commission a considéré à juste titre que la pratique des autorités belges d'ajustement négatif des bénéfices des entreprises faisant partie d'un groupe multinational constitue un régime d'aides

Selon l'avocate générale Kokott, l'arrêt contraire du Tribunal devrait être annulé et le Tribunal devrait se prononcer à nouveau sur les recours formés par la Belgique et Magnetrol International

De 2004 à 2014, l'administration fiscale belge a procédé à des ajustements négatifs du bénéfice imposable de, au total, 55 entreprises nationales appartenant à des groupes internationaux par le biais de décisions anticipées en matière fiscale (tax rulings), pratique également désignée par exonération des bénéfices excédentaires. L'administration fiscale belge s'est fondée, à cet égard, sur une disposition du code des impôts sur les revenus, prévoyant que, conformément au principe de pleine concurrence, reconnu de manière générale au niveau international, les bénéfices entre deux sociétés liées peuvent être ajustés si les conditions convenues entre les deux sociétés avaient été celles qui auraient été convenues entre des entreprises indépendantes.

Selon la Commission, les rémunérations versées en contrepartie de prestations entre deux entreprises liées n'étaient cependant pas réévaluées en application du critère de pleine concurrence, comme le prévoit le code des impôts sur les revenus, mais les autorités fiscales belges comparaient, indépendamment de telles prestations, le bénéfice d'une entreprise faisant partie d'un « groupe transfrontalier » avec le bénéfice hypothétique d'une entreprise non intégrée dans un groupe. À cette occasion, était évalué le bénéfice moyen hypothétique qu'aurait réalisé une entreprise autonome exerçant une activité comparable dans une situation comparable. Ce montant était ensuite déduit du bénéfice effectivement réalisé par l'entreprise belge appartenant à un groupe international. La différence constituait le bénéfice excédentaire exonéré qui pouvait être garanti au moyen d'une décision anticipée.

Pour obtenir une décision anticipée, il suffisait que le bénéfice en soit sollicité et que les bénéfices soient liés à une situation nouvelle, telle qu'une réorganisation entraînant la relocalisation de l'entrepreneur central en Belgique, la création d'emplois ou des investissements. Les autorités belges faisaient même la promotion de la possibilité d'obtenir cette exonération des bénéfices excédentaires.

Par décision du 11 janvier 2016 1, la Commission a constaté que cette pratique de l'administration fiscale belge constitue un régime d'aides 2 qui est incompatible avec le marché intérieur et qui a, en outre, été appliqué de manière illicite, car ce régime ne lui a pas été notifié. La Commission a donc ordonné la récupération des aides ainsi octroyées auprès des bénéficiaires, dont la liste définitive devait être ultérieurement établie par la Belgique 3.

1 Décision (UE) 2016/1699 de la Commission, du 11 janvier 2016, relative au régime d'aides d'État concernant l'exonération des bénéfices excédentaires SA.37667 (2015/C) (ex 2015/NN) mis en œuvre par la Belgique (JO 2016, L 260, p. 61). (2)

2 Au sens de l'article 1er, sous d), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d'application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (JO 2015, L 248, p. 9).

3 Dans l'annexe de la décision figurent cependant déjà 55 destinataires, parmi lesquels Magnetrol International NV, Soudal BV, Esko-Graphics BVBA, Flir Systems Trading Belgium BVBA, Anheuser-Busch InBev SA/NV, Ampar BVBA, Wabco Europe BVBA, Atlas Copco Airpower NV, Atlas Copco AB et Celio International NV.

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Sur les recours de la Belgique et de Magnetrol International, le Tribunal de l'Union européenne a annulé la décision de la Commission par arrêt du 14 février 2019 4. Il a jugé que la Commission a constaté, à tort, l'existence d'un régime d'aides. Il a notamment indiqué que la Commission n'a pas examiné toutes les décisions anticipées en matière fiscale mais uniquement un échantillon de ces décisions. Ce faisant, la Commission n'a cependant pas prouvé, selon lui, que les autorités fiscales belges suivaient une ligne systématique de conduite dans toutes les décisions anticipées en matière fiscale.

La Commission a formé un pourvoi devant la Cour contre l'arrêt du Tribunal. La Belgique a formé un pourvoi incident dans lequel elle fait grief au Tribunal d'avoir conclu à l'absence d'ingérence dans sa compétence fiscale.

Dans ses conclusions présentées ce jour, l'avocate générale Juliane Kokott propose à la Cour d'annuler l'arrêt du Tribunal, car, contrairement aux constatations du Tribunal, la Commission a exposé à suffisance de droit dans sa décision que la pratique des autorités fiscales belges d'ajustement négatif des bénéfices des entreprises faisant partie d'un groupe multinational remplit les conditions d'un « régime d'aides ».

  • titre liminaire, l'avocate générale indique que le présent pourvoi ne porte pas sur le point de savoir si les décisions litigieuses anticipées en matière fiscale constituent effectivement, comme l'a constaté la Commission, des aides prohibées. Au contraire, la seule question qui se pose est celle de savoir si, et, dans l'affirmative, à quelles conditions, la Commission peut contester « en un seul bloc » un grand nombre de décisions anticipées en matière fiscale de ce type, en tant que régime d'aides. La grande importance pratique de cette question ressort notamment du fait que la présente procédure est une procédure pilote, 28 recours à l'encontre d'autres bénéficiaires des aides présumées étant suspendus devant le Tribunal.

En ce qui concerne la première des trois conditions requises pour établir l'existence d'un régime d'aides, à savoir qu'il s'agisse d'un régime, le Tribunal n'a, contrairement aux affirmations de la Commission, toutefois pas exclu qu'une pratique administrative constante puisse constituer un tel régime. Au contraire, il a uniquement constaté que la Commission n'a pas prouvé l'existence d'une pratique administrative constante. Le Tribunal a cependant fixé de manière trop stricte les exigences légales quant à la preuve suffisante.

Selon l'avocate générale, la Commission peut également se fonder sur un échantillon de décisions pour établir l'existence d'une pratique administrative constante. Contrairement à ce qu'a considéré le Tribunal, la Commission a exposé, dans sa décision, à suffisance de droit que son échantillon est globalement représentatif et qu'il est donc suffisant pour apporter la preuve d'une pratique administrative constante. De même, c'est à tort que le Tribunal a considéré que les deux autres conditions requises pour établir l'existence d'un régime d'aides (à savoir qu'aucune mesure d'application supplémentaire ne soit nécessaire et que les bénéficiaires soient définis de manière générale et abstraite) n'étaient pas remplies.

L'avocate générale Kokott propose de renvoyer l'affaire devant le Tribunal. En effet, le Tribunal doit encore apprécier si les décisions anticipées en matière fiscale concernant l'ajustement négatif des bénéfices constituent réellement des aides d'État et si la récupération des aides alléguées est contraire aux principes de légalité et de protection de la confiance légitime.

L'avocate générale considère le pourvoi incident formé par la Belgique comme irrecevable, car celle-ci n'a pas d'intérêt à agir à cet égard. En effet, soit le pourvoi formé par la Commission est rejeté et l'annulation de la décision litigieuse devient ainsi, conformément aux conclusions de la Belgique, définitive, soit la Cour renvoie l'affaire devant le Tribunal. S'agissant des considérations du Tribunal, relatives à la compétence fiscale des États membres, la Cour ne se prononcerait sur cet aspect que dans le cadre d'un autre pourvoi.

4 Arrêt du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission, T-131/16etT-263/16 ; voir également communiqué de presse no14/19).

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RAPPEL : Les conclusions de l'avocate générale ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l'affaire dont ils sont chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette affaire. L'arrêt sera rendu à une date ultérieure.

RAPPEL : La Cour de justice peut être saisie d'un pourvoi, limité aux questions de droit, contre un arrêt ou une ordonnance du Tribunal. En principe, le pourvoi n'a pas d'effet suspensif. S'il est recevable et fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Dans le cas où l'affaire est en état d'être jugée, la Cour peut trancher elle-même définitivement le litige. Dans le cas contraire, elle renvoie l'affaire au Tribunal, qui est lié par la décision rendue par la Cour dans le cadre du pourvoi.

Document non officiel à l'usage des médias, qui n'engage pas la Cour de justice.

Le texte intégraldes conclusions est publié sur le site CURIA le jour de la lecture.

Contact presse : Antoine Briand (+352) 4303 3205.

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La Sté Union européenne a publié ce contenu, le 03 décembre 2020, et est seule responsable des informations qui y sont renfermées.
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Document originalhttps://curia.europa.eu/jcms/jcms/p1_3348057

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