par Matthias Williams

KIEV, 21 avril (Reuters) - Les électeurs ukrainiens ont commencé à se rendre aux urnes ce dimanche pour le second tour de la présidentielle, qui, à en croire les sondages, devrait propulser à la tête du pays un comédien de 41 ans sans expérience politique, Volodimir Zelenski.

Celui-ci, qui doit une bonne part de sa popularité à la série télévisée à succès "Serviteur du peuple", dans laquelle il incarne un professeur d'histoire devenu chef de l'Etat qui se joue des bassesses de politiciens corrompus et d'hommes d'affaires véreux, a obtenu deux fois plus de voix que le sortant, Petro Porochenko, le 31 mars au premier tour.

Un sondage de l'institut KIIS, publié mardi les crédite respectivement de 72% et 25% des voix au second tour.

Les deux hommes se sont retrouvés vendredi soir pour un débat de fin de campagne, qui les a vu échanger accusations et insultes dans un stade de football de Kiev, en présence de milliers de leurs partisans.

Interrogé avant le premier tour sur ce qui le distingue des autres candidats en lice, Volodimir Zelenski a répondu :"Ça !", en désignant son visage. "C'est une nouvelle tête. Je n'ai jamais fait de politique. Je n'ai déçu personne. On s'identifie à moi parce que je suis ouvert, parce que je suis vulnérable, parce que je m'énerve. Je ne cache pas mes émotions, je ne cherche à passer pour ce que je ne suis pas (...) Si j'ignore quelque chose, je le reconnais."

Le "dégagisme" sur lequel il surfe évoque celui qui a conduit à l'émergence des contestataires du Mouvement 5 Etoiles en Italie ou même à l'élection de Donald Trump, autre star de la télévision reconvertie en politique, mais le rejet des élites semble encore plus intense en Ukraine.

Selon un sondage Gallup publié en mars, la cote de confiance du gouvernement n'est que de 9%, un "record" mondial. En 2018, la moyenne planétaire était de 56%. En ce qui concerne le processus électoral, 12% des Ukrainiens le jugent équitable. Quant à la corruption, 91% parlent d'un phénomène généralisé.

UN PROGRAMME FLOU

Le scrutin est suivi de près par les chancelleries occidentales, qui ont pris fait et cause pour l'Ukraine dans son conflit avec Moscou. L'hypothèse d'un retour dans le giron russe semble écartée mais, ignorant tout de Zelenski, elles redoutent d'avoir affaire à une personnalité imprévisible.

"Au-delà de la lutte contre la corruption et de l'ancrage occidental, le programme politique de M. Zelenski reste flou", souligne Agnese Ortolani, membre de l'Economist Intelligence Unit.

Outre la lutte contre la corruption, Volodimir Zelenski a promis de relancer des pourparlers de paix au point mort avec les séparatistes prorusses qui tiennent la région du Donbass et de respecter les engagements pris vis-à-vis du Fonds monétaire international, qui a octroyé sous conditions plusieurs milliards de dollars à l'Ukraine.

Petro Porochenko a été élu en 2014, peu après l'annexion russe de la Crimée et le soulèvement des séparatistes proches de Moscou qui a fait 13.000 morts, un bilan qui continue à s'alourdir.

Pour ses partisans, le chef de l'Etat, qui se rend fréquemment sur le front en tenue camouflage, a su limiter le conflit tout en tenant tête à la Russie. D'autres lui reprochent d'avoir capitulé face à la corruption et à la pauvreté.

Peuplée de 42 millions d'habitants, l'Ukraine demeure l'un des pays les plus pauvres d'Europe, près de 30 ans après son accession à l'indépendance sur les décombres de l'URSS.

L'augmentation du prix de l'essence due aux exigences des bailleurs internationaux a valu au président Porochenko un profond mécontentement et beaucoup jugent qu'il na pas répondu aux attentes suscitées par le soulèvement pro-européen de Maïdan, fin 2013 et début 2014.

"Porochenko n'a pas réussi à instaurer cette justice à la base de Maïdan et mon principal reproche, c'est qu'il ait renoncé à gouverner différemment", a déploré Aivaras Abromavicius, ancien ministre de l'Economie devenu conseiller de Zelenski. (Jean-Philippe Lefief et Eric Faye pour le service français)