AKKA, c’est l’histoire d’une croissance à marche forcée sur le secteur du conseil en technologie. Introduite en Bourse en 2005 autour de 5€, la société a connu une ascension fulgurante en prenant des parts de marché en organique et par acquisition sur la décennie 2010-2020. Le management a fait preuve d’une très bonne capacité à acquérir par endettement de nombreuses sociétés en restructurations, de taille parfois très significative. Une gageure dans ce secteur où le capital humain et la culture d’entreprise sont clé. Cette décennie gagnante (le titre est passé de 5 à 60€) s’est achevée par l'OPA finalisée début 2020 sur l'acteur norvégien Data Respons. Une acquisition d’envergure, au prix fort compte tenu de la forte croissance de cette cible bien portante. Pertinente d'un point de vue stratégique, cette opération, en venant s’ajouter à celle de PDS Tech aux USA en 2018, a fragilisé le bilan d’AKKA à la veille d’une crise sanitaire qui a touché le Groupe de plein fouet compte tenu de positionnement majoritaire sur l’automobile et surtout l’aéronautique. L'exercice 2020 s’est soldé ainsi par une décroissance organique de 25%, une marge opérationnelle de seulement 1,3% (contre 8% avant la crise) et de lourdes pertes (RNPG -169M€). De vastes plans de restructurations ont dû être engagés dans l'aéronautique en France et en Allemagne. Surendettée, la société a dû passer par la case augmentation de capital très dilutive compte tenu de la division par 4 de sa valeur Boursière (de 60€ à 15€) début 2020. Adepte des décisions radicales, que la capacité historique du Groupe à réduire les coûts et faire entrer du cash illustre bien, les frères Ricci, fondateurs du Groupe en 1984, ont mouillé le maillot en participant largement à une augmentation de capital de 200 M€ en octobre dernier. L’opération, soutenue par le belge CNP (Albert Frère), avait permis à la famille Ricci de se reluer de façon aussi opportuniste que fair-play puisque le prix de souscription des nouvelles actions était de 22,50€, soit une prime de 43% par rapport au dernier cours et de 33% sur le cours moyen pondéré des 30 derniers jours de Bourse. Le cours s’est d’ailleurs maintenu autour de ce niveau depuis 9 mois, preuve que les investisseurs considéraient la société bien valorisée alors que les valeurs du secteur se sont très bien tenues depuis la fin 2020.

Une prime record et une issue surprenante pour AKKA

En se jetant dans les bras d’Adecco, c’est une décision surprenante et radicale qu’a pris Maurice Ricci, tout juste 60 ans. 60% du capital (famille+CNP) seront apportés à 49€, soit une prime de 115% par rapport au cours de l'action de 22,82 € du 23 juillet 2021, et une prime de 108% par rapport au cours moyen pondéré en fonction du volume des trois derniers mois. Le montant de la transaction, qui s'élève à 2Md€ en valeur d'entreprise, valorise 100% des Capitaux Propres 1,5Md€ en tenant compte de la dette financière nette d'AKKA à la fin juin 2021. Le prix d'achat convenu représente un multiple de 1,3x le CA 2021e et 10,6x l’Ebitda 2022e attendu par les analystes. L’importance de l’endettement (levier financier) explique que malgré la prime, les ratios n’apparaissent pas excessifs. La fragilité du bilan et les craintes sur le rythme de reprise de l’activité dans l’aéronautique expliquent la stagnation du cours ces derniers mois. En rachetant AKKA, le suisse Adecco, qui réalise ici la plus grosse acquisition de son histoire, donne au dossier les moyens financiers de profiter de la forte reprise du secteur (6 à 8% de croissance organique du marché attendue) et de dégager des synergies importantes avec sa filiale Modis (2.1Md€ de CA contre 1.5Md€ pour AKKA). Adecco, qui entend mettre la main sur 100% des actions à 49€ et retirer AKKA de la cote, attend en effet plus de 200M€ de synergies commerciales et 65 M€ de synergies de coûts de la création du « numéro 2 du marché mondial de la R&D en ingénierie ».

Le titre Adecco accueil froidement la nouvelle en milieu de séance (-8%) alors qu’AKKA approche le prix d’offre, à 47€ (+91%).

Evolution des cours des 3 sociétés visées par une OPA, Source : Zonebourse.com

 

Un rapprochement confirmé entre l’intérim et les services numériques

Après Manpower et Randstad (qui avait mis la main sur Ausy, une ETI cotée de grande qualité acquise en 2016 pour 420M€ soit 10x son RO attendu) ou encore Synergie, cette opération montre que les spécialistes du travail temporaire continuent donc à s'intéresser aux ESN et sont prêts à payer des primes significatives pour se renforcer sur ces secteurs où la croissance et les niveaux de marge sont supérieurs.

Cette opération confirme les signaux positifs envoyés par le secteur des services technologiques qui aura connu une crise très courte en termes d’activité et très relative en termes de profitabilité compte tenu des mesures du soutien. De plus, le télétravail et la baisse de la CVAE occasionnent des économies de coûts non négligeables. De quoi entretenir la montée des valorisations des acteurs cotées. Alten, Sogeclair, Neurones, SII, Micropole, Devoteam ou encore Sopra Steria sont bien d’ailleurs bien orientées en Bourse ce mercredi.

Elle vient également compléter deux opérations annoncées ces derniers jours sur IGE+XAO (édition de logiciels) et sur Artefact (conseil en valorisation de la data, marketing digital).

Question de prix sur IGE+XAO pour réunir 90% du capital et forcer une sortie de Bourse

La première, l’offre publique lancée par Schneider Electric sur IGE+XAO n’a rien de surprenant si ce n’est la faiblesse de la prime (15%). En tant qu’actionnaire majoritaire depuis son OPA initiée en 2017 à 132€ par action, Schneider Electric souhaite lancer une OPA sur le solde du capital à 260€ afin de « positionner la société comme entité opérationnelle de sa division Energy Management Software ». Sauf que depuis 2017, la cible a publié des chiffres toujours plus qualitatifs, a fait preuve d’une grande résilience au cœur de la crise Covid malgré son exposition au secteur de l’aéronautique civil et qu’elle vient de publier d’excellents chiffres semestriels. D’où la réticence des principaux fonds actionnaires à apporter à l’offre, à commencer par Gay-Lussac Gestion (environ 3,5% du capital) qui a clairement annoncé que ses fonds n’apporteraient pas ses titres au prix envisagé de 260€ par action. Déjà en 2017, la société de gestion n’avait pas apporté faute de prime suffisante. Même intention de ne pas apporter de la part d’ORFIM (famille Picciotto qui a fait fortune aux cotés de Vincent Bolloré) qui pointe à plus de 5% du capital et qui achète même des titres sur le marché actuellement à 260€ d’après un avis AMF du 27 juillet dernier. Dans ces conditions, il serait très étonnant que les fonds d’HMG cèdent à la tentation d’apporter les plus de 3% du capital détenu, faisant capoter l’opération sur cette base de prix qui pourtant fait apparaitre des ratios de valorisation généreux. En instantané.

IGE+XAO : un actionnariat prestigieux (estimations -Zonebourse)

 

Artefact : une prime logique pour cet acteur hors normes du marketing digital

Enfin, le fonds Ardian a annoncé lancer une offre publique d’achat des actions Artefact à 7,8€ l’action, valorisant 100% du capital de cette pépite française du digital 329 M€ sur une base entièrement diluée. L’offre fait ressortir une prime de 42% par rapport au dernier cours de clôture avant l'annonce de l'entrée en négociations exclusives (23 juillet 2021) et de plus de 60% par rapport au cours des trois derniers mois. Le changement de contrôle est peu surprenant car les options accordées au management prévoyaient ce scénario de cession, ce qui est plutôt rare. L’opération a toutes les chances d’aboutir, les Fonds Nobel, Financière Arbevel, Truffle Capital et Otus, ainsi que plusieurs managers et actionnaires minoritaires représentant 52.09% du capital ayant entrés en négociation exclusive avec Ardian sur cette base. Quand au retrait de cote, souhaité par Ardian, il est difficile d’affirmer qu’il aboutira même si la valorisation offerte est là aussi généreuse à 2,7x le CA attendu cette année et 20x le résultat net 2022 visé par le consensus.

Artefact : des conditions de sorties intéressantes mais pas excessives (estimations -Zonebourse)

 

Les valeurs du secteur ont encore une marge de progression

Pour finir, nous vous proposons de reprendre les tableaux de valorisations publiés par Euroland dans son étude mensuelle afin de vous aider à faire votre marché sur ces secteurs décidément très porteurs des services numériques (ESN et marketing digital). Il en ressort clairement que les offres publiques dans le secteur se font sur des ratios supérieurs à la moyenne des ratios observés actuellement sur ces secteurs, quoique ces derniers atteignent déjà des niveaux très élevés par rapport aux moyennes historiques.

Ratios de valorisation des ESN début juillet 2021 (source Euroland Corporate)

 

Ratios de valorisation de quelques acteurs cotés du marketing digital début juillet 2021 (source Euroland Corporate)

 

NB : l’auteur est actionnaire à titre personnel de Devoteam, SII, IGE+XAO, Visiativ et Bilendi