Confinement ou pas, il n’était pas question pour l’énergique (et télégénique) Nicolas d’Hueppe d’attendre pour venir chercher des capitaux en Bourse. Chez Alchimie, c’est l’audience que l’on compte transformer en or, avec « turn your contents into golden subscriptions » pour vocation. Pour 4,99€ TTC par mois et par chaîne, cette plateforme de chaines SVOD thématiques offre aux passionnés des vidéos réalisées ou conseillées soit par un passionné talentueux, soit par un groupe de médias thématiques comme Reworld Media (Sciences & Vie, Guerres et Histoire…). Pour un talent comme l’éditeur de Poisson Fécond « nous sommes complémentaires de Youtube qui permet de se créer une audience » mais qui ne permet pas de la monétiser correctement a expliqué Nicolas Dueppe, PDG fondateur de la plateforme OTT (over the top), lors d’une réunion d’IPO virtuelle.   

Ce modèle de web TV par abonnement serait en train de remplacer la TV par câble, satellite et les box TV. En complément des américains Netflix, Apple TV, etc. ou encore des français Molotov et Salto aux offres généralistes, Alchimie rapproche une multitude d’audiences de niche d’une part et des producteurs audiovisuels passionnés par une thématique d’autre part. Alchimie vend un abonnement mensuel de quelques euros aux premiers qu’il partagera avec les ayants droits et les talents à qui il permet de distribuer des contenus propriétaires et des contenus sur catalogue afin de générer de nouveaux revenus sur les plateformes digitales. 

Avec 23 M€ investis en trois ans, Alchimie compte 55 « Netflix thématiques » et un portefeuille de 300.000 abonnés à travers un réseau de distribution international (>60 plateformes). Objectif fin 2022 : 210 chaînes, 1,2 million d’abonnés pour un CA de 58 M€ (vs. 27 M€ estimés en 2020e) permettant l’atteinte de l’équilibre opérationnel au T4 2022.L’horizon bénéficiaire serait pour 2023 : 87,8M€ de CA et 4,7M€ de bénéfices. Le graal serait pour l’année suivante : 600 chaînes, 3 millions d’abonnés, 150 M€ de CA et plus de 20% de marge opérationnelle…

Un pipeline de chaînes bien fourni (source : Alchimie)

Le nombre d’abonnés par chaîne thématique étant limité à quelques milliers, l’enjeu actuel consiste à lancer un maximum de chaînes (compter 8 semaines pour lancer une nouvelle chaîne) pour couvrir des coûts « fixes » annuels en croissance limitée d’environ 10 M€/an. En effet, sur les 4,2€ HT d’abonnement mensuel pour une chaîne, une fois les ayants droit rémunérés (60 000 heures de contenus thématiques en catalogue), il reste pour Alchimie 2,8€ à se partager à 50/50 l’animateur de la chaîne (une personnalité médiatique comme Jacques Attali, un youtubeur influant comme AstronoGeek ou un éditeur de magazine comme Prisma Media).

Un positionnement qui permet un partage gagnant-gagnant des revenus d’abonnement (source : Alchimie)

En venant réaliser en Bourse une augmentation de capital de 20 M€ au moment où la crise sanitaire génère une nouvelle clientèle (le CA a progressé de 56% au S1 2020), le fonds majoritaire à 70% HLD Europe (holding mené par Jean-Bernard Lafonta avec pour actionnaires Claude Bébéar, Norbert Dentressangle, Jean-Charles Decaux…) donnerait à Nicolas d’Hueppe, actionnaire à 18%, les moyens d’accélérer.

Mais la concurrence sera rude et même si les plateformes Molotov (SVOD freemium) et Salto n’ont ni le même positionnement ni montré la pérennité de leur modèle économique, leurs actionnaires (Xavier Niel notamment pour Molotov - TF1, France TV et M6 pour Salto) ont les moyens de faire évoluer leur offre dans le temps et de mettre en valeur intelligemment leurs catalogues de contenus selon des thématiques précises. Le bilan d’Alchimie à la mi-année 2020 affichait 6 M€ de capitaux propres et 4 M€ de dette nette, sachant que la société pointait à -6M€ de ROP rien qu’au S1.

Pour ceux qui voudraient participer à l’aventure de cette start-up ambitieuse, l’opération se déroule jusqu’au 23 novembre avec une émission à un prix situé entre 15,50 et 20,96€ par action (soit 68 M€ à 92 M€ de capitalisation boursière après opération).

Autre introduction en Bourse à venir, le breton Winfarm. On retrouve dans ce dossier, pourtant positionné sur un tout autre débouché, les agriculteurs, des caractéristiques semblables à celles d’Alchimie. Tout d’abord un PDG fondateur, Patrice Etienne, qui vient chercher en Bourse les moyens d’accélérer sur une thématique porteuse dans la crise actuelle (disruption par le digital d’un secteur traditionnel). Ensuite, une société en forte croissance qui réalise déjà plusieurs dizaines de millions d’euros de CA (87 M€ en 2019, 97 M€ en 2020e) mais qui ne gagne pas encore d’argent (attention à la marge d’ebitda ajustée sur laquelle communique la société) et qui s’appuie sur une situation bilantielle fragile. Enfin, un business plan très ambitieux (objectif de doublement du CA en 5 ans, soit 200 ME en 2025) qui passe par de la croissance externe et une internationalisation pour justifier une valorisation qui manque d’éléments tangibles. A noter que les modalités de l’opération ne sont pas encore connues.

Le parcours de Winfarm

Bref historique de la société Winfarm (source : document d’enregistrement)

En conclusion, ces deux dossiers disruptifs portés par des managers fondateurs ambitieux ont beau être enthousiasmants, ils s’adressent à des investisseurs avertis et leur place en Bourse pose quelques questions. Les fonds de capital risque, qui ne manquent pas de capitaux à investir, ne seraient-ils pas plus légitimes pour financer cette étape du cycle de développement de l’entreprise ? Mais ne boudons pas notre plaisir de voir la cote se renouveler, quitte à se contenter d’une position d’observateur !

Bilan au 18 novembre des IPO 2020 à la Bourse de Paris (source Portzamparc)