Commençons par jeter un coup d'œil au bilan boursier 2018 de l'automobile européenne. Si l'on excepte Peugeot et son parcours tout à fait atypique, et dans une moindre mesure la bonne tenue des actifs de la famille Agnelli (Fiat Chrysler et le holding Exor), le tableau n'est pas bien enthousiasmant chez les grandes valeurs. L'ex-star Valeo a perdu près de 40%, lourdement sanctionnée alors que tous les analystes voyaient en elle la grande gagnante de la mue sectorielle vers le véhicule plus électrique et plus intelligent. Ce scénario n'est pas invalidé, mais sa réalisation promet d'être plus longue à se mettre en place, d'où la punition. Faurecia, en dépit de très bonnes ventes des constructeurs français et d'un relèvement d'objectif estival, fait partie des dossiers les plus affectés : -18% depuis le 1er janvier. Pour le reste, les groupes allemands du secteur sont clairement sous pression : -32% pour Continental, -21% pour Daimler, -16% pour Porsche et -9% pour BMW.
 

Classement des performances 2018 (Source Zonebourse - Cliquer pour agrandir)
 
De nouvelles normes sous-estimées
 
Les avertissements allemands ont été largement commentés depuis que Daimler a abaissé ses prévisions. La maison-mère de Mercedes a tourné autour du pot, en invoquant plusieurs facteurs, dont les tensions commerciales issues de l'application de la doctrine Trump. Mais le nœud du problème est plus certainement à chercher du côté de la nouvelle norme WLTP, née du scandale des émissions polluantes, qui constitue un enjeu aussi ardu pour les industriels qu'il est salvateur pour l'environnement.
 
Cette norme constitue un double pallier et c'est bien le problème : il a été démontré que de nombreux véhicules ne respectaient déjà par la norme antérieure (NEDC), qui offrait une vision trop théorique des émissions polluantes, en tout cas inadaptée à l'utilisation réelle d'un véhicule. Non seulement certains constructeurs ont dû revenir dans les clous du NEDC, mais encore leur faut-il désormais aller plus loin pour respecter un cadre encore plus strict, entré en vigueur le 1er septembre dernier. Compliqué et surtout coûteux.
 
Il n'est pas étonnant que les ventes de véhicules en Europe se soient envolées en août, un mois habituellement fort calme pour les immatriculations. "Les dirigeants de l'industrie automobile ont sous-estimé l'impact du WLTP, qui se traduit aujourd'hui par un net recul des volumes, alors que les ventes et les immatriculations de voitures avaient été étonnamment élevées jusqu'en août de cette année, en particulier en Europe", abonde l'analyste Hans-Peter Wodniok. "Comme tous les constructeurs automobiles ont essayé de vider leurs stocks à n'importe quel prix jusqu'au mois dernier, les prix de ces véhicules ont été soumis à de fortes pressions", poursuit-il. De quoi expliquer en partie la baisse de production décidée par BMW, à la source de l'avertissement du 25 septembre.
 
C'est une tendance de fond à ne pas sous-estimer. A priori, elle frappe de plein-fouet les constructeurs mais aura nécessairement des répercussions importantes sur leurs sous-traitants, même si elles sont décalées dans le temps. Nous avons déjà abordé la problématique du WLTP dans un précédent éclairage sur Peugeot, qui apparaît, et ce n'est sans doute pas sans relation avec la surperformance du titre, comme le plus vertueux des industriels du secteur. C'est en tout cas le seul qui, à notre connaissance, a pu se vanter d'avoir une gamme totalement "WLTP-Friendly" dès le mois de septembre 2018. Le silence de la concurrence en est une preuve supplémentaire.
 
Haro sur le diesel
 
Dans le prolongement de la problématique des émissions, impossible de faire l'impasse sur l'incertitude actuelle concernant l'avenir des moteurs diesel. Porsche a planté cette semaine une nouvelle banderille : la filiale de Volkswagen renonce à l'avenir à la propulsion diesel sur ses modèles. Le constructeur de bolides peut sans doute se permettre plus facilement que d'autres cette orientation stratégique : à peine 12% des Porsche écoulées en 2017 l'étaient en diesel. Chez Mercedes et BMW, cette proportion était en revanche supérieure à 70% en Europe l'année dernière. Globalement sur le vieux continent, la part de marché du diesel était encore de 45% en 2017 pour les véhicules particuliers, selon les données publiées par l'ACEA (Association des constructeurs européens d'automobiles). Mais elle ne cesse de reculer et pourrait même se réduire comme peau de chagrin d'ici la fin de la prochaine décennie. Dans un rapport largement médiatisé en juillet, la firme AlixPartners pronostiquait une part de marché autour de 25% en 2020 et un recul à 5% à l'horizon 2030.

Parts de marché 2017 dans l'UE15 par motorisation (Source ACEA, AAA - Cliquer pour agrandir)
 
Précisions à ce stade que cette prophétie ne concerne que les véhicules particuliers et que la part de marché du diesel dans les utilitaires moyens et lourds sera largement supérieure, mais c'est un autre sujet. Et ajoutons que la vision simpliste "le diesel c'est mal, l'essence c'est moins pire, l'électrique c'est bien" est erronée. Pour s'en persuader, rappelons quelques constantes. L'essence émet plus de CO2 que le diesel (le dieselgate a contribué l'année dernière à la première hausse des émissions de CO2 du parc automobile en Europe depuis 23 ans). Le diesel émet plus de particules fines que l'essence. Le véhicule électrique est le plus polluant à fabriquer et nécessite des métaux rares pour ses batteries. Nous n'en énumérerons pas plus mais il existe beaucoup d'arguments pour et contre chaque motorisation, même si l'intuition générale est, qu'à terme, les progrès techniques permettront au véhicule électrique de surmonter une partie de ses contradictions.
 

Emissions moyennes par gamme de constructeur en 2017 (Source Novethic - Cliquer pour agrandir)
 
Des perspectives 2019 sous surveillance

Les conséquences immédiates pour l'écosystème de la mise au ban du diesel sont plus terre à terre. Confrontés à ce nouvel environnement, les constructeurs ont dû accélérer leurs dépenses environnementales et relancer des projets qui n'étaient pas prioritaires jusque-là : le dynamisme du cycle de marché depuis la fin de la crise financière les avait sans doute conduits se reposer sur leurs lauriers. Il n'y a pas grand risque à affirmer que les dépenses vont s'accroître dans l'automobile et que la trajectoire des marges va en pâtir, elle qui a remarquablement progressé ces dernières années avec la restructuration des entreprises, en particulier des Françaises.
 
La période qui s'ouvre est incertaine. Impact des nouvelles réglementations, rotation technologique et aléas sur les droits de douane seront au programme de toutes les prochaines publications des entreprises du secteur automobile. Les regards se tournent déjà vers 2019 : le cycle automobile exceptionnel de ces dernières années est-il en fin de course ? C'est Faurecia qui va essuyer les plâtres des grandes entreprises européennes en annonçant dès le 11 octobre prochain son chiffre d'affaires du 3ème trimestre 2018. Il ne fait aucun doute que les investisseurs seront très attentifs au discours de la filiale de Peugeot.