Francfort (awp/afp) - La présidente de la Banque centrale européenne (BCE) Christine Lagarde devra peser chaque mot jeudi à l'issue de sa première réunion de politique monétaire, dans un contexte périlleux fait de morosité économique et de tensions internes.

Ce rendez-vous "sera davantage consacré à la manière dont Mme Lagarde va dresser son étal de présidente de la BCE qu'aux décisions politiques", estime Chiara Zangarelli, économiste chez Nomura.

Sauf énorme surprise, les gardiens de l'euro devraient maintenir les taux directeurs au plus bas et poursuivre les rachats d'actifs à raison de 20 milliards d'euros par mois, comme principale arme de soutien à l'économie annoncée en septembre et réactivée début novembre.

L'enjeu sera ailleurs: Christine Lagarde, première dirigeante de la BCE sans formation d'économiste ni expérience directe des banques centrales, a elle-même prévenu lundi dernier devant le Parlement européen qu'elle était en "phase d'apprentissage accéléré".

"J'essaie d'apprendre l'allemand, mais j'essaie aussi d'apprendre le langage des banques centrales, pour ne pas décevoir ceux qui pensent que chaque mot porte le poids de cent ans de politique monétaire", avait averti l'ancienne directrice du Fonds monétaire international, qui a succédé début novembre à Mario Draghi pour un mandat de huit ans.

Série de questions

Si cet aveu d'humilité glissé dans un sourire porte la marque du style Lagarde, avocate de métier connue pour sa communication habile, elle l'avait accompagné d'une demande: "Accordez-moi un peu de patience, ne surinterprétez pas. J'aurai ma propre manière de traiter certaines questions clés".

Or le rituel de la conférence de presse de politique monétaire, à 14H30 tapantes (13H30 GMT), consiste à peser chaque mot pour s'adresser aux marchés: dans le moindre adjectif qualifiant la conjoncture ou les risques économiques, les habitués voient l'annonce de futures décisions de la banque centrale.

Dans un contexte toujours marqué par les tensions commerciales, la BCE ne devrait pas toucher aux mesures dévoilées en septembre par Mario Draghi, mais pourrait abaisser sa prévision de croissance pour l'année 2020, alors qu'elle livrera un jeu de prévisions prolongé à l'horizon 2022.

Aussi, Mme Lagarde devrait être questionnée "sur l'adéquation de la politique monétaire avec le ralentissement de la conjoncture", prédit Gilles Moec, économiste chez Axa, joint par l'AFP.

Sur ce point, la présidente de la BCE pourrait marquer "un changement immédiat" dans sa communication, en conditionnant de nouvelles mesures "à une évaluation des éventuels effets secondaires de la politique", estime de son côté Mark Wall, économiste chez Deutsche Bank.

Revue stratégique

Une autre série de questions devrait porter sur l'avenir du taux négatif sur les dépôts des banques, déjà abaissé de -0,40 à -0,50% en septembre: il revient à taxer les banques sur les liquidités qu'elles laissent au guichet de la BCE au lieu de les prêter, mais commence à avoir des répercussions sur les ménages.

En Allemagne, certaines banques n'hésitent plus à taxer dès le premier centime d'euro déposé sur un nouveau compte d'épargne, en l'affectant d'un taux négatif très impopulaire dans un pays où l'on prépare sa retraite en épargnant plutôt qu'en achetant son logement.

Mme Lagarde a comme autre priorité de resserrer les rangs au sein d'un conseil des gouverneurs divisé comme jamais à la fin de l'ère Draghi, et qui avait publiquement étalé ses divergences.

Pour marquer le changement de régime, elle devrait officiellement lancer jeudi une revue d'ensemble des objectifs et instruments de la BCE, soit une réflexion sur sa stratégie intégrant notamment l'impératif de protection du climat.

Enfin, l'ancienne ministre française de l'Economie devra plus que jamais déployer ses talents politiques pour "convaincre les dirigeants européens d'assouplir leurs finances publiques nationales, de mettre en place un outil budgétaire commun et d'accélérer l'Union bancaire et des capitaux", fait remarquer M. Wall.

Mme Lagarde devrait réitérer jeudi ses appels à l'Europe à innover et investir face aux défis économiques et climatiques, une des clés selon elle pour aider la BCE à gagner son pari sur la croissance et l'évolution des prix.

afp/al