L’idée d’écrire sur ce sujet m’est venue en lisant un article très intéressant de Jemima Kelly intitulé “There is a moral case against crypto” (il y a un cas moral contre la crypto) publié par le célèbre quotidien économique et financier : Financial Times. Certains éléments avancés par la rédactrice ne peuvent être que partagés, notamment concernant la consommation énergétique croissante du Bitcoin et par rapport à l'inquiétante spéculation financière qui entoure les actifs numériques. En revanche, d'autres points me semblent vraiment discutables. Parmi ceux-ci, les mentions de “structure pyramidale de la crypto” mais aussi, lorsqu’elle parle des acteurs de la cryptosphère, d’éviter de “continuer de croire à ces mensonges et de perpétuer leurs stratagèmes malhonnêtes” ou encore de “recruter de nouveaux membres avec de fausses promesses sur la façon dont le bitcoin est l’avenir de l’argent” méritent d’être débattues.

Ici, je me focalise sur les trois dernières mentions précédemment décrites. Pour l'aspect consommation énergétique du Bitcoin, j’ai écrit un article qui explore le sujet : Le Web 3.0, Bitcoin entre gaspillage et surconsommation d’énergie

La structure pyramidale de la crypto

En tant que fil conducteur, je m’appuie dans cet article sur les préconisations de la SEC pour détecter les signes avant-coureurs des structures pyramidales de Ponzi. Pour commencer, voici comment la Securities and Exchange Commission définit un système de Ponzi :

“Un système de Ponzi est une fraude à l'investissement qui paie les investisseurs existants avec des fonds collectés auprès de nouveaux investisseurs. Les organisateurs de schémas de Ponzi promettent souvent d'investir votre argent et de générer des rendements élevés avec peu ou pas de risque. Mais dans de nombreux systèmes de Ponzi, les fraudeurs n'investissent pas l'argent. Au lieu de cela, ils l'utilisent pour payer ceux qui ont investi plus tôt et peuvent en garder une partie pour eux-mêmes.

Avec peu ou pas de revenus légitimes, les stratagèmes de Ponzi nécessitent un flux constant d'argent frais pour survivre. Lorsqu'il devient difficile de recruter de nouveaux investisseurs, ou lorsqu'un grand nombre d'investisseurs existants encaissent, ces stratagèmes ont tendance à s'effondrer."

Pour lutter contre la mise en place de ces systèmes qui nuisent à l’investisseur, plusieurs points de vigilance ont été mentionnés par la SEC afin de détecter des signes annonciateurs de tels stratagèmes :

  • Des rendements élevés avec peu ou pas de risques

Tout investissement comporte inévitablement un certain niveau de risque. De toute évidence, les investissements qui génèrent des rendements plus élevés impliquent généralement un plus haut niveau de risque. Dans ce cadre, la SEC met en garde contre toute opportunité “d’investissement garantie”.

Bitcoin : Satoshi Nakamoto, le créateur du Bitcoin, n’a à aucun moment promis de retour sur investissement dans ses écrits, et encore moins d’une “garantie”. Ce sont des individus malveillants, post création du réseau Bitcoin, qui ont profité de l’engouement autour des cryptomonnaies et qui ont eux-mêmes créé leur propre système de Ponzi à côté de Bitcoin (par exemple, BitConnect). Et ceci dit, la cryptosphère n’a pas inventé les systèmes de Ponzi. Les premiers pas de ce stratagème, du nom de Charles Ponzi, datent de 1920 en dupant les investisseurs avec une fourberie de spéculation sur les timbres-poste.

Dans le White Paper de Bitcoin, autrement dit les écrits de Satoshi Nakamoto décrivant le réseau Bitcoin, l’aspect financier n’est quasiment jamais évoqué. Les aspects techniques de la technologie de la blockchain, sa vision libertarienne et les problèmes liés au système bancaire moderne sont principalement mentionnés.  

Voici la seule occasion pertinente, d’après mes recherches dans les citations du mystérieux créateur, où la mention de valeur est évoquée :

  • “C'est plus typique d'un métal précieux. Au lieu que l'offre change pour garder la même valeur, l'offre est prédéterminée et la valeur change. À mesure que le nombre d'utilisateurs augmente, la valeur par pièce augmente. Il a le potentiel d'une boucle de rétroaction positive ; à mesure que les utilisateurs augmentent, la valeur augmente, ce qui pourrait inciter davantage d'utilisateurs à profiter de la valeur croissante.”

En revanche, je tiens à préciser le point de vigilance de la SEC que j’ai mis en (1) : "Des rendements élevés avec peu ou pas de risques". Bien évidemment, au vu de la fluctuation du cours de la devise numérique, les rendements peuvent être très élevés et les risques de perte de capital de sont pas à exclure. Mais cette variation du cours est la conséquence du jeu de l’offre et de la demande sur le bitcoin et de prises de positions avec effet de levier sur les marchés financiers. En détenant du bitcoin, il faut avoir conscience que son cours peut fortement varier. Mais il ne s'agit pas d’une entourloupe technique ponzienne codée dans le logiciel open source de Bitcoin. 

  • Des rendements positifs réguliers

La SEC met en garde contre de belles promesses de rendements positifs, quelles que soient les conditions générales du marché. 

Bitcoin : Comme pour le point précédent, aucune allusion à des rendements positifs réguliers et assurés ne sont mentionnés dans les écrits de Bitcoin. Satoshi écrivait comme un programmeur et parfois comme un économiste mais jamais comme un vendeur. 

  • Placements non enregistrés et vendeurs sans licence

Les lois fédérales et étatiques sur les valeurs mobilières aux USA exigent que les professionnels soient agréés ou enregistrés auprès d’un régulateur. La plupart des systèmes pyramidaux impliquent des personnes sans licence ou des entreprises non enregistrées. Pour la plupart de ces stratagèmes malhonnêtes, aucun enregistrement n’est réalisé auprès de la SEC ou des régulateurs américains. Or, il est indispensable qu’il s’effectue afin de permettre aux investisseurs d’accéder à des informations primordiales concernant la gestion des entreprises. 

Bitcoin : au lancement, en 2009, détenir du bitcoin pouvait être considéré comme un investissement non enregistré, mais à l’heure actuelle, il a sa place dans la législation fiscale et les cadres réglementaires d’un bon nombre de pays. La France et les Etats-Unis en font partie. L’autorité des marchés financiers (AMF) a publié et tient à jour la liste des acteurs qui proposent, entre autres, l’investissement via le réseau Bitcoin avec le statut de prestataire de services sur actif numériques (PSAN). Ces sociétés proposent leurs services dans le cadre strict de la régulation européenne et française. En aucun cas, hormis si on remet en cause les compétences de l’AMF, nous pouvons dire que ces sociétés proposent des services non enregistrés ou qu’ils sont considérés comme des vendeurs sans licence.

  • Stratégies secrètes, complexes et énigme administrative

La SEC met en garde contre les investissements dont il est difficile d’obtenir des informations complètes. Il est précisé d’éviter ces investissements si les souscripteurs ne les comprennent pas.

La plupart des stratagèmes de Ponzi reposent sur le secret. Par exemple, les investisseurs du stratagème de Bernie Madoff pensaient qu'ils possédaient une variété d'actifs. En réalité, les sorties antérieures des investisseurs étaient simplement remboursées par les entrées de nouveaux investisseurs, plutôt que par les investissements réels. Les investissements répertoriés sur leurs relevés étaient faux, et pour ces clients, il était presque impossible de vérifier qu'ils étaient falsifiés.

Bitcoin : Le réseau distribué de Bitcoin fonctionne précisément sur l'ensemble de principes opposés. En tant que logiciel open source distribué qui nécessite un consensus majoritaire pour être modifié, chaque ligne de code est connue et aucune autorité centrale ne peut la modifier. En treize années d’existence, Bitcoin s’est révélé inviolable et toujours complètement transparent. Un principe clé de Bitcoin est de vérifier plutôt que de faire confiance. Le logiciel permettant d'exécuter un nœud complet peut être librement téléchargé et exécuté sur un PC. Il est possible d’auditer l'ensemble de la blockchain et l'ensemble de la masse monétaire depuis la création du réseau. Il ne repose sur aucun site Web, aucun centre de données critique et aucune structure d'entreprise. Autrement dit, il est décentralisé, immuable et autovérifiable.

Pour ces raisons, il n y a pas de “difficulté à recevoir des paiements”, en faisant référence à un autre point de vigilance évoqué par la SEC. Les bitcoins ne peuvent être déplacés qu'avec la clé privée associée à une certaine adresse, et si vous utilisez votre clé privée pour déplacer vos bitcoins, personne ne peut vous empêcher de le faire.

Pour les sociétés régulées par l’AMF, elles respectent l’ensemble des règles établies par le régulateur. La “difficulté à recevoir des paiements” ne peut donc pas être remise en cause dans ce cadre. En revanche, ces sociétés détiennent vos clés privées, elles ont donc le contrôle sur le blocage ou l’accès à vos actifs, au même titre qu’une banque, mais comme précédemment évoqué, elles le font dans l’encadrement rigoureux de la législation de la protection des investisseurs.

“continuer de croire à ces mensonges et de perpétuer leurs stratagèmes malhonnêtes” 

Il y a bien sûr des mauvais acteurs dans l'écosystème crypto, comme dans beaucoup de secteurs économiques. Les personnes qui comptent sur d'autres individus pour détenir leurs clés privées (plutôt que de le faire elles-mêmes) ont parfois perdu leurs crypto à cause de mauvais dépositaires, mais pas parce que le logiciel de base Bitcoin a échoué. Les échanges de tiers peuvent également être frauduleux ou piratés. Les stratagèmes de phishing ou autres fraudes peuvent amener les gens à révéler leurs clés privées ou les informations de leur compte ce qui aboutit à un risque de vol des actifs. Néanmoins, ces fraudes ne sont pas associées au Bitcoin lui-même, mais à des acteurs malveillants qui rôdent autour de l’écosystème. Comme pour beaucoup de technologies émergentes, les nouveaux entrants doivent s'assurer qu'ils comprennent comment le système fonctionne pour éviter de tomber dans les escroqueries. Mais utiliser les termes de “continuer à croire à ces mensonges et perpétuer leurs stratagèmes malhonnêtes" sans aucune différenciation entre les actifs de la cryptosphère n’est pas juste. Bitcoin en est le parfait exemple. Il vaut mieux mentionner certains acteurs qui jouent le rôle d’intermédiaires et qui tentent de duper les investisseurs, plutôt que de viser le réseau en lui-même sans faire la distinction entre les deux. 

Ici nous nous sommes focalisés sur le bitcoin. Mais il existe plus de 15 000 cryptomonnaies en circulation, et bien évidemment, un bon nombre d’entre elles regorgent de subtilités techniques obscures, de type Ponzi, qui sont entre les mains d'individus aux intentions perfides. Un investissement dans ce type d’actifs sans avoir connaissance et conscience du risque encouru peut amener les investisseurs à perdre l’entièreté de leur capital. Dans un écosystème naissant, il faut tâtonner, expérimenter, apprendre sur la pointe du pied, ou plutôt du bout des doigts sur son clavier, tout en ayant conscience que ces risques existent. 

Mais à mon sens, il est injustifié et abusif de traiter l’ensemble des réseaux et des acteurs de l’écosystème en les englobant sous la même casquette de “Ponzi”. Associer le terme de “structure pyramidale” à l’ensemble de cette classe d’actifs, sans aucune distinction entre les actifs qui la compose, est trop dommageable pour les non initiés. La conséquence directe pour les néophytes est une méfiance, par défaut, envers l’ensemble de la cryptosphère, alors que force est de constater que pour le réseau infaillible depuis son lancement et leader en termes de capitalisation, le Bitcoin, ne peut absolument pas être considéré comme une structure pyramidale de Ponzi.