La Commission envisage de mettre fin à plusieurs accords nationaux qui permettent aux banques situées en dehors de l'UE de vendre des services au sein de l'Union, selon le Financial Times. L’objectif étant bien sûr de rapatrier les entreprises de ce secteur stratégique de Londres à Paris, quelques mois après l’entrée en vigueur effective du Brexit.

Cette mesure, qui doit encore être approuvée par le Parlement et le Conseil européens, mettrait fin à la quasi-totalité des ventes transfrontalières effectuées à partir de pays non membres de l'UE sur le marché unique de l'Union, et donc pas seulement au Royaume-Uni.

Déjà, en janvier 2021, la négociation des actions libellées en euros a été transférée de Londres à Amsterdam et Paris, en raison du règlement sur les marchés d'instruments financiers (MiFIR). Il exige que les actions cotées dans l'UE ne soient négociées que par des acteurs du marché de l'UE sur des places réglementées par l'UE ou sur des infrastructures de pays tiers considérées comme "équivalentes" par la Commission. Toutefois, en ce qui concerne les produits dérivés de gré à gré (OTC), « la redistribution des échanges a été moins nette, les négociants déplaçant certaines activités vers des places de négociation de l'UE et d'autres vers des places américaines, ces dernières ayant des accords d'équivalence avec l'UE et le Royaume-Uni », a déclaré Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE, à la troisième conférence annuelle conjointe de la Deutsche Bundesbank, de la Banque centrale européenne et de la Federal Reserve Bank of Chicago sur la gestion du risque de contrepartie centrale, qui a eu lieu en mars dernier.

Un secteur stratégique, oublié de l’accord du Brexit

Il faut reconnaitre que la relocalisation massive espérée des banques vers l'Europe n’a pas vraiment eu lieu après le Brexit, notamment car celles-ci ont utilisés ces arrangements nationaux et des dérogations pour mener des activités transfrontalières, mais aussi car la place londonienne reste un centre financier de premier plan au niveau international: une grosse part de l’activité des banques reste localisée dans la City.

Mais l’Union Européenne ne compte pas laisser la perfide Albion continuer à jouer le rôle de place financière de l’Europe qu’elle avait jusqu’ici. Toujours selon le Financial Times, ces nouvelles propositions de Bruxelles vont renforcer les exigences prévues par les règles européennes existantes, selon lesquelles les banques non européennes doivent avoir soit une succursale, soit une entité juridique, dans un État membre où elles souhaitent exercer leurs activités.

C'est aussi l'occasion de régler en partie la question des services financiers, qui a été complètement omise de l’accord sur le Brexit. Jusqu’ici, la Commission européenne n’a accordé qu’une seule équivalence de 18 mois au Royaume-Uni sur les chambres de compensation, chargées de vérifier notamment que l’acheteur possède les fonds nécessaires et que le vendeur est propriétaire en bonne et due forme. Il faut dire que la Commission n’a pas eu le choix, la City dominant très largement le marché dans ce domaine.

Mais là encore, le mouvement de rapatriement s’accélère, avec l’annonce d’Euronext il y a quelques jours d’utiliser d'ici 2024 la plateforme de Borsa Italiana, dont le rachat a été finalisé en avril dernier, pour la compensation de toutes ses transactions. Exit la chambre londonienne LCH, filiale parisienne du britannique LCH Group, affilié au London Stock Exchange.

« Euronext est, jusqu'à présent, la seule infrastructure de marché qui ne gère pas directement ses activités de compensation pour ses marchés de produits dérivés cotés », explique Stéphane Boujnah, président du directoire d’Euronext. Depuis 2003, Euronext s'est appuyé sur LCH SA pour la compensation de la plupart des flux de négociation au comptant et de dérivés sur ses marchés, avec un accord de partage des revenus. « Euronext a proposé à plusieurs reprises de prendre le contrôle de LCH SA, sans succès », note M. Boujnah.

Londres résiste

Lors du rachat de Borsa Italiana, l'opérateur a ainsi acquis la chambre de compensation CC&G, et est donc en mesure de gérer directement cette activité. Euronext fera évoluer CC&G vers Euronext Clearing, et l’utilisera pour ses marchés d'actions au comptant, de dérivés cotés et de matières premières.

La Commission compte elle aussi s'attaquer au monopole des clearing house londoniennes. Le 10 novembre dernier, Mairead McGuinness, commissaire chargée des services financiers, de la stabilité financière et de l'Union des marchés de capitaux, a annoncé la couleur. Elle estime que la "dépendance excessive" à l'égard des chambres basées au Royaume-Uni pour certaines activités de compensation est une source de risque pour la stabilité financière à moyen terme, et compte poursuivre ses efforts pour développer la capacité des chambres basées dans l'UE afin de réduire cette dépendance.

« Avant le Brexit, la City de Londres est devenue le principal centre financier pour la négociation et la compensation des produits dérivés dans l'Union européenne. Le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne a été un événement fragmentant, avec des conséquences en termes de stabilité financière. Les contreparties centrales basées au Royaume-Uni opèrent désormais en dehors du marché unique et du cadre réglementaire de l'UE, et une dépendance excessive vis-à-vis de ces contreparties centrales implique des risques pour la stabilité financière, notamment en cas de tensions. Par conséquent, la capacité de compensation propre à l'UE doit être étendue », a-t-elle déclaré devant les membres du Parlement.

Pour rendre les CCP basées dans l'UE plus attrayantes pour les participants au marché, la Commission prévoit « d’étudier les moyens de renforcer la liquidité des contreparties centrales de l'UE et d'élargir la gamme des solutions de compensation proposées par les infrastructures de l'UE ». Elle propose également de renforcer le cadre de surveillance de l'UE pour les contreparties centrales, y compris un rôle plus important pour la surveillance au niveau de l'UE. Mais la tâche n’est pas aisée: elle prendra du temps. C’est pourquoi la Commission n’a d’autre choix que d’étendre l’équivalence accordée aux chambres de compensation de la City au-delà de juin 2022. Bref, pas encore de quoi faire trembler Londres…