par Tangi Salaün

PARIS, 17 octobre (Reuters) - Un individu jeune avec un passé de petit délinquant qui avait échappé aux radars des services de renseignement luttant contre la radicalisation islamiste: le portrait de l'auteur présumé de la décapitation d'un professeur de collège vendredi à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) rappelle celui d'autres auteurs d'attaques d'inspiration djihadiste ces dernières années en France.

Âgé de 18 ans, le meurtrier présumé, lui-même tué par la police après son acte, était né à Moscou de parents tchétchènes, selon des sources policières. Il vivait avec sa famille à Evreux, dans l'Eure, à près d'une centaine de kilomètres du lieu de l'attaque.

Il était connu des services de sécurité pour des faits de droit commun mais il n'avait pas de casier judiciaire et n'était pas fiché S pour radicalisation, d'après ces mêmes sources.

Ses parents, son petit frère et un de ses grands-parents ont été interpellés vendredi soir et placés en garde à vue, a-t-on précisé de source judiciaire. Les enquêteurs veulent savoir s'ils étaient au courant de son projet et s'il avait des complices.

Cinq autres personnes ont été placées en garde à vue samedi, dont deux parents d'élèves du collège du Bois d'Aulne de Conflans-Sainte-Honorine, qui avaient pris à partie le professeur d'histoire-géographie ces derniers jours sur les réseaux sociaux.

Les enquêteurs cherchent à vérifier si c'est l'assassin présumé qui a publié sur Twitter une photo du professeur décapité, accompagnée d'un message dans lequel il présente sa victime, Samuel Paty, comme celui qui a "osé rabaisser (le prophète) Muhammad" et dans lequel il menace le président Emmanuel Macron, "dirigeant des infidèles".

Le compte en question, appartenant à un certain @Tchetchene_270 et nommé Al Ansâr, un mot arabe qui désigne les compagnons du prophète Mahomet, a été rapidement suspendu par Twitter.

Le profil du meurtrier rappelle celui du ressortissant pakistanais de 25 ans qui a blessé deux personnes à coups de hachoir le mois dernier devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, en plein Paris, pour "venger le prophète" après la republication par le journal satirique des caricatures de 2006, en plein procès des complices présumés de l'attentat des frères Kouachi en janvier 2015.

"AUTONOMISATION DE LA VIOLENCE"

Ces assaillants dont la radicalisation a échappé aux services de renseignement sont souvent présentés comme des "loups solitaires", un concept contesté par la plupart des experts qui insistent sur le rôle de la propagande islamiste sur internet et les réseaux sociaux.

"Le terme de 'loup solitaire' nous pousse dans une mauvaise direction", estime le politologue Asiem El Difraoui, spécialiste du djihadisme. "Il y a toujours derrière ces attaques une forme de terreau. Il peut être purement virtuel, alimenté par l'idée d'une conspiration contre l'islam, mais c'est plutôt rare. La plupart du temps, les assaillants sont entourés de gens qui partagent leur vision très violente inspirée au moins en partie de l'idéologie djihadiste. Ce genre d'attaques se produit sur un terrain où il y a eu un vrai travail d'endoctrinement."

Cet avis est partagé par Abdallah Zekri, président de l'Observatoire de lutte contre l'islamophobie, selon lequel l'auteur de l'attaque à Conflans-Sainte-Honorine n'a pas pu "commettre cet acte seul". "Il a dû avoir des renseignements sur ce professeur, ce professeur a dû être suivi pour qu'on puisse le tuer comme ça lâchement", a-t-il déclaré sur BFM-TV.

Pour Asiem El Difraoui, l'attaque illustre néanmoins une "autonomisation de la violence" qui va en parallèle avec "une dissémination de l'idéologie djihadiste au niveau mondial".

"Cette idéologie est tellement enracinée chez certains qu'il n'y a plus besoin d'organisations comme l'Etat islamique pour la mettre en oeuvre", a déclaré le politologue à Reuters.

Le grand flou qui entoure la communauté tchétchène dont l'auteur présumé serait issu est une difficulté supplémentaire, relève Asiem El Difraoui.

"On ne sait pas trop ce qui se passe dans la diaspora tchétchène, parce qu'il y a peu de gens qui en parlent la langue dans les services de renseignement. C'est une communauté qui a une structure très clanique et patriarcale et qui baigne depuis longtemps dans une atmosphère de violence en raison de la répression qu'elle a subie."

"Ce problème a été trop longtemps négligé", regrette le politologue, en rappelant que l'auteur de l'attaque au couteau qui avait fait un mort et quatre blessés en mai 2018 près de l'Opéra de Paris était aussi un Tchétchène de 20 ans sans antécédent judiciaire mais radicalisé.

Selon des chiffres de la DGSI repris à l'époque dans un rapport du Centre d'analyse du terrorisme (CAT), "7 à 8% des Français impliqués dans les filières djihadistes vers la Syrie et l'Irak (velléitaires, soutiens ou combattants sur zone) sont d'origine tchétchène". (Edité par Bertrand Boucey)