L'Essentiel :

  • Identifier les charges non-récurrentes pouvant affecter le résultat d'une entreprise, biaisant ainsi la comparaison avec ses paires.
  • Traiter les éléments non-récurrents afin de réajuster les différents seuils intermédiaires de gestion (EBITDA, EBIT, résultat net…)
  • Considérer l'impact fiscal de ces ajustements et les particularités propres à certaines industries.
  • À l’issue de ce guide, vous serez en mesure de comparer des entreprises à la manière des meilleurs analystes financiers

Le compte de résultat est un état financier regroupant l’ensemble des charges et des produits d’une entreprise pour une période donnée, appelée exercice comptable. Les produits viennent créer de la richesse lorsque les charges viennent en détruire. Pour vulgariser, les produits sont des revenus quand les charges sont des dépenses.

Il existe deux grandes catégories d'éléments - ensemble de charges et de produits. Les éléments récurrents, propres au cycle d’exploitation, et les éléments non-récurrents. Ces deux notions sont très importantes à connaître si vous devez analyser une entreprise.

  • Les éléments récurrents → Produits et charges susceptibles de se poursuivre
  • Les éléments non-récurrents → Produits et charges ponctuels peu susceptibles de se poursuivre

En d’autres termes, les éléments récurrents appartiennent au cycle opérationnel de l’entreprise - aux activités de son cœur de métier. Quant aux éléments non-récurrents, ils se veulent comme leurs noms l’indiquent, exceptionnels. Prenons un exemple pour bien comprendre.

Exemple :

L’activité opérationnelle d’un restaurant est de vendre à ses clients des plats. Pour simplifier, un restaurant achète des ingrédients (charges : coûts des biens vendus), embauche des cuisiniers (charges : charges de personnels), puis vend ses plats en appliquant une certaine marge (produits). Maintenant, si ce même restaurant revend un four dont-il n’a plus besoin plus cher qu’il ne l’a acheté. Est-ce un élément récurrent ? Non. Le cœur de métier du restaurant n’est pas de vendre des fours. Même si le gérant du restaurant à reçu de l’argent - produit - pour la vente de cet actif, et a donc augmenté son résultat, il n’y a - normalement - pas de raison à ce que des ventes de fours se répètent lors de chaque exercice. Dans notre exemple, l'élément non-récurrent est une cession d’actifs.

Prenons l’exemple de McDonald’s. Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le groupe américain de restauration rapide a décidé de céder ses activités présentes en Russie. Ce qui équivaut à environ 850 restaurants employant 62.000 salariés. Le groupe voit donc son résultat consolidé diminué de 36 % (30 % à taux de change constant). Ces résultats incluent des charges de 1,2 milliard de dollars liées à la vente de l'activité de la société en Russie. Ce qui représente une charge non-récurrente qu’il est nécessaire d’ajuster afin d’avoir une idée plus précise de l’évolution des activités du groupe.

McDonald’s Results Q2 2022

Second exemple. Dans la nuit du 9 au 10 mars 2021, un incendie s’est déclaré dans l’un des 4 centres de données d’OVHcloud à Strasbourg. Ce qui, en plus d’un impact sur le chiffre d’affaires du groupe, a entraîné de nombreuses charges non récurrentes liées au démantèlement du centre qui est devenu inexploitable.

L’incendie a eu les impacts suivants sur les comptes clos au 31 août 2021 :

OVH - Etats Financiers Consolidés au 31 Août 2021

Il convient donc de réajuster ces charges qui n’ont pas vocation à se reproduire. Dans le cas précis d’OVH, il pourrait même être de mise de prendre le chiffre d’affaires du groupe réajuster des bons d’achats octroyés aux clients (ceux-ci venants en diminution du CA). Mais c’est ici un autre sujet.

 

Exemples d’éléments non-récurrents

Mais ne vous méprenez pas, il existe bien plus d’éléments récurrents que les simples cessions d’actifs. Voici quelques exemples - listes non exhaustives :

  • Frais de restructuration : Les entreprises en cours de restructuration engagent des frais substantiels auprès de groupes consultatifs, de consultants en redressement ou des frais de justice. 
  • ​​Frais de contentieux : Les frais juridiques engagés par l’entreprise dans le cadre de ses litiges en cours.
  • Dépréciations (réductions de valeur/suppressions) : Les actifs tels que les stocks et les immobilisations corporelles peuvent être considérés comme dépréciés, ce qui entraîne l'enregistrement d'une réduction de valeur ou d'une radiation.
  • Indemnités de départ des employés : Les entreprises peu performantes (ou en difficulté) peuvent réduire leurs coûts en procédant à des licenciements massifs, ce qui implique des coûts.
  • Produits / (charges) des activités abandonnées : Les produits ou les charges d'une division abandonnée peuvent être présentés dans les états financiers.
  • Frais de fusions et acquisitions (M&A) : Les entreprises qui procèdent à des fusions et acquisitions font appel à des intermédiaires comme des banques d'investissement.
  • Modifications de la politique comptable : Les changements de méthodes comptables doivent être ajustés afin d'éviter toute erreur d'appréciation causée par la comparaison de données financières non ajustées d'une année sur l'autre (YoY).

 

Identifier les éléments non-récurrents dans les rapports financiers :

Pour identifier les éléments non-récurrents, il vous faut inspecter les comptes de  résultats des rapports annuels (10-K) aux Etats-Unis ou Document d’Enregistrement Universel en France) ou trimestriels (10-Q). Les éléments non-récurrents y sont souvent enregistrés de manière claire. Mais certains postes sont parfois imbriqués dans d'autres postes, de sorte qu'un examen plus approfondi est nécessaire dans certaines sections. Pour les trouver il vous faudra alors analyser les notes de bas de pages des états financiers. Les éléments non-récurrents y seront détaillés et parfois renommés :

  • Élémentspeu fréquents
  • Élémentsinhabituels
  • Élémentsextraordinaires

Si vous disposez de suffisamment de temps, vous pouvez également consulter les conférences de présentation des résultats, qui apportent parfois plus de précisions sur les raisons et la nature de certains éléments non-récurrents. Mais pas d’inquiétude, dans la plupart des cas, les états financiers complétés par le communiqué de presse sur les résultats et/ou la présentation aux actionnaires sont amplement suffisants pour tout comprendre.

Astuces :

Lorsqu’une entreprise présente un EBITDA ajusté, elle aura tendance à dresser la liste des éléments non-récurrents. Mais attention, si cette mesure ajustée est très utile pour comprendre la nature de certains éléments, je vous déconseille de la prendre en tant que telle. Les mesures ajustées sont des mesures non conformes aux normes comptables internationales et/ou nationales et sont donc souvent présentées sous leur meilleur jour.

 

Effacer les données financières dans l'analyse de rentabilité

Lors de l'analyse de sociétés comparables, l'épuration des données financières des entreprises est essentielle. Si le résultat d’une entreprise est exceptionnellement faible en raison de frais de contentieux occasionnels ou d'importantes indemnités de départ après la cessation d’activités à l’étranger, venant ainsi faire chuter le résultat comptable, il n’est pas correct de comparer cette entreprise avec un de ses pairs n’ayant pas eu à supporter ces coûts non-opérationnels. Les éléments non-récurrents doivent donc être ajustés dans le compte de résultat, car ils ne font pas partie du cycle opérationnel de l’entreprise et ne sont donc pas le reflet exact des performances futures de l’entreprise. Le résultat net se retrouve donc biaisé à la hausse ou à la baisse lorsque des éléments non- récurrents importants sont inscrits dans le compte de résultat. C’est pourquoi le compte de résultat doit être “épuré” lorsque vous menez une analyse financière. Sinon vous comparez des choux et des carottes. Ainsi, les données financières à long terme doivent être épurées des éléments non-récurrents pour obtenir un multiple "propre".

Nota bene :

En ce qui concerne les projections futures des multiples, ceux-ci sont déjà ajustés étant donné que les projections financières des groupes ne prennent pas en compte les éléments non-récurrents. Les analystes qui formulent les prévisions proposent en effet généralement des versions expurgées des éléments non-récurrents. 

Mais attention, pour ajuster les éléments non-récurrents, bien que cela semble simple, une subtilité de taille est de mise : l’ajustement fiscal.

Il existe deux manières de procéder : avant et après impôts.

  • Si les éléments récurrents sont ajustés avant impôts, l'élimination doit être accompagnée d'un ajustement fiscal, étant donné qu’on ne peut éliminer un élément tout en ignorant son impact fiscal.
  • Si les éléments récurrents sont ajustés après impôts, l'élément non-récurrent est simplement ignoré sans ajustement fiscal.

 

Quand ignorer l’impact fiscal ?

Si vous souhaitez ajuster une mesure de flux avant impôt, comme l’EBIT ou l’EBITDA, alors il n’est pas nécessaire de procéder à un ajustement fiscal.

A contrario, si vous ajustez un flux après impôts, comme le résultat net, alors il vous faudra impérativement prendre en considération l’ajustement fiscal.

Exemple :

Prenons l’entreprise A au compte de résultat suivant :

Les frais de restructuration sont clairement des éléments non-récurrents - qui n’ont pas vocation à se répéter. Si nous souhaitons épurer les comptes, il faut donc les traiter comme il se doit.

Si nous souhaitons ajuster l’EBIT, rien de très compliqué. S’agissant d’un flux avant impôt, il suffit “d’effacer” les éléments non-récurrents. Ainsi, dans notre exemple nous ajoutons 5M€ à notre EBIT au titre des frais de restructuration. Puis nous soustrayons 20M€ au titre des cessions d’actifs. Notre EBIT ajusté des éléments non-récurrents est donc de : 45M€ + 5M€ - 20M€ = 30M€.

Ce nouvel EBIT représente l’EBIT opérationnel de l’entreprise A et est maintenant adapté à une comparaison avec des entreprises identiques- à condition que celles-ci aient aussi un EBIT ajusté.

Maintenant, si nous souhaitons ajuster des éléments non-récurrents le résultat net de A, il va falloir prendre en compte l’ajustement fiscal.

Pour ce faire deux méthodes :

  • Soit calculer le résultat ajusté puis y appliquer le taux d’imposition effectif de l’entreprise A, à savoir 20% afin d’arriver au résultat net.
  • Soit ajouter ou déduire la charge fiscale supplémentaire pour chaque élément non-récurrent traité.

Méthode 1 :

Nous avons vu précédemment comment calculer l’EBIT ajusté. Pour arriver au résultat ajusté il suffit de déduire les intérêts. Ensuite ne reste plus qu'à appliquer au résultat ajusté le taux d’imposition réel de l’entreprise A. Soit : Résultat Ajusté x (1 - Taux IS) = 25 x (1 - 0,20) = 20M€

Attention, nous avons vu précédemment que les charges d'intérêts sont une charge que nous pourrions considérer comme inégale. Pour plus d’informations à ce sujet, je vous redirige vers l’article suivant : PER - Limites d’un ratio phare

Pour le résumer succinctement, considérons que nous pouvons omettre les intérêts dans le calcul du résultat. Soit un Résultat Ajusté de 25M€ + 5M€ = 30M€. Si nous appliquons le même raisonnement que précédemment pour passer au Résultat Net Ajusté, nous arrivons donc à 30M€ x (1 - Taux IS) = 24M€.

Pour rappel, notre résultat net non ajusté des éléments non-récurrents était de 32M€. Correctement ajusté des éléments ne faisant pas partie du cycle d’exploitation et supprimant les effets inégalitaires de la structure du capital, notre nouveau résultat net est inférieur de 25% (8M€) du résultat net non ajusté.

Méthode 2 :

La seconde méthode est plus rapide, mais peut être moins intuitive pour des débutants.

Elle consiste simplement à supprimer les éléments non-récurrents en les ajustant directement de l’impact fiscal. Pour ce faire, il suffit de les multiplier par le taux d’imposition.

Soit, Résultat Net + Sommes des Éléments Non-Récurrents x (1 - Taux IS)

Pour, 

  • Résultat Net = 32M€
  • Frais de Restructuration = -5M€
  • Cession d’Actifs = +20M€

Cela donne ; 32M€ + 5M€ x (1 - 0,20) - 20M€ x (1 - 0,20) = 32M€ - 15M€ (1 - 0,20) = 20M€

Si nous souhaitons corriger notre résultat net de l’impact de la structure du capital, comme dans la méthode 1, nous arrivons à 20M€ + 5M€ (1 x 0,20) = 24M€

Ce qui nous amène, avec et sans correction de l’impact de la structure du capital, au même résultat que la méthode 1.

Dernière subtilité, la connaissance du secteur que vous analysez. En fonction de l'industrie ou du secteur analysé, certaines charges non récurrentes pourraient être catégorisées comme récurrentes. Il existe donc parfois une part de subjectivité importante dans la classification d’éléments comme récurrent ou non lors de l’analyse d’une entreprise. Toujours est-il, si la décision appartient à l’analyste, il se doit d’appliquer la même classification des éléments d’une entreprise à l’autre. Le cas contraire entraînerait une comparaison biaisée.

La semaine prochaine nous verrons une autre subtilité du compte de résultat ; la rémunération en action. Une analyse des rémunérations doit être menée afin d’ajuster comme il se doit cette charge très particulière afin d’uniformiser les comparés. Mais nous détaillerons ce sujet particulièrement technique et dont les répercussions sont parfois importantes sur la valorisation d’entreprise, lors de mon prochain article.

Prochain article : Corporate Finance - Stock-Based Compensation