Considérations générales sur les "stats"

Au risque d'enfoncer sottement une porte ouverte, il me faut vous rappeler en préambule que les statistiques macroéconomiques ont un impact important sur les marchés financiers. Par quelle magie ? Eh bien parce qu'elles permettent aux investisseurs d'affiner leurs prédictions sur l'avenir de façon à faire les choix les moins aléatoires possibles. Notre bon ami Christophe Barraud, l'un des tous meilleurs économistes du monde quand il n'est pas derrière la caméra avec Mimie Mathy, utilise par exemple l'agrégation secrète d'une palanquée d'indicateurs macro pour pondre des prédictions qui le classent parmi les meilleurs prévisionnistes du monde (bon ok, Christophe n'est pas réalisateur, mais son homonyme si).

Le marché a ses chouchous...

Alors bien sûr, tous les indicateurs macroéconomiques ne se valent pas. Sans faire injure à personne, des études universitaires convergentes ont démontré que le climat des affaires à Brison Saint-Innocent n'a eu que peu d'effets sur la politique monétaire de la Réserve Fédérale sous Alan Greenspan. Aux Etats-Unis, si vous interrogez des professionnels de la finance sur leurs indicateurs qu'ils jugent fondamentaux, il est probable qu'une majorité citera les chiffres trimestriels du PIB et les chiffres mensuels de l'inflation, du marché du travail, des vente de détail et de la confiance des consommateurs, en plus des jalons posés par la Fed (décisions de politique monétaire et comptes-rendus des réunions ayant conduit à ces décisions). Mais aucun ne négligera les autres : chiffres de la production, prix de l'immobilier, balance commerciale, stocks, construction, etc. Les modèles précités comme ceux qu'a bâtis Christophe sont composés de dizaines d'entrées qui, mises bout-à-bout, permettent de produire des indicateurs synthétiques prédictifs relativement fiables.

Indicateurs

... qui peuvent varier au fil du temps

Il y a aussi une variable liée à l'actualité dans la popularité d'une statistique. Par exemple, en période de croissance économique assez linéaire, les investisseurs auront tendance à regarder d'un œil plus distrait les données macroéconomiques, juste pour s'assurer que tout va bien. Quand quelque chose cloche, ils se montrent en revanche plus attentifs aux indicateurs qui peuvent leur permettre de mieux cerner le problème. Par exemple, quand la pandémie a semé le chaos dans les chaînes d'approvisionnement, les statistiques sur le prix du fret ou sur les engorgements des grands ports à porte-conteneurs sont devenus furieusement tendance. C'est d'autant plus vrai quand le chaos économique pointe son nez. En 2022, les financiers ne savent plus où donner de la tête et ont du mal à interpréter l'interaction entre les différentes statistiques. Ils cherchent un fil rouge qui n'existe d'ailleurs peut-être pas. Tout à coup, tout devient important et source de volatilité : l'inflation, l'emploi, les taux, les prix de l'énergie, etc.

Retour vers le futur

Nous avons vu que les statistiques n'ont pas toutes une valeur de base identique et que leur importance peut nettement varier en fonction du contexte économique. Il me faut ajouter que certaines parlent au passé, d'autres au futur. Par exemple, le PIB trimestriel est généralement publié à la fin du mois qui suit la fin du trimestre. En France, l'Insee a publié sa première estimation du PIB du troisième trimestre 2022 (juillet à septembre) le 28 octobre 2022. Ce PIB dépeint donc une situation terminée depuis près d'un mois. Les Américains appellent ça un "lagging indicator", un "indicateur retardé". C'est aussi le cas de l'inflation par exemple, qui est publiée le mois suivant (ou en toute fin du mois concerné pour certains pays, comme l'Allemagne). Cela n'empêche pas ces données de fournir des indications sur l'avenir, mais disons qu'elles portent sur une période bien définie. L'autre catégorie s'apparente à des indicateurs avancés, ou "leading indicators", parce qu'elle est censée fournir de bons indices de ce qui va se passer dans un futur plus ou moins proche.

Les PMI, des indicateurs avancés

C'est dans cette catégorie "leading" qu'il faut ranger les indicateurs PMI. C'est quoi les PMI ? Philips Morris International ? La protection maternelle et infantile ? Les petites et moyennes industries ? Pulvérise moi l'inflation ? PMI en l'occurrence, c'est Purchase Manager Index, soit indice des directeurs d'achats en bon français. Les indicateurs PMI sont les statistiques les plus suivies du monde. C'est en tout cas ce qu'affirme leur promoteur, IHS Markit, désormais propriété de Standard & Poor's. C'est assez vrai, même si ponctuellement le centre d'intérêt de la planète finance se déplace sur d'autres points chauds, en l'occurrence la politique monétaire depuis quelques temps.

Attardons-nous quand même sur les spécificités des PMI, qui sont de très bons outils d'anticipation. Tous les mois et dans chaque grande économie, S&P interroge des responsables d'achats dans l'industrie manufacturière et dans les services en leur demandant si ça va mieux, pareil ou moins bien que le mois d'avant. Le sentiment est établi sur une échelle de 0 à 100. 50 étant synonyme de statu quo. Illustration : "Eh dis donc Maurice, ça va mieux depuis le mois dernier à la quincaillerie ou c'est la cata ? Ben c'est toujours pareil Simone, ni mieux, ni pire. OK Maurice, je te note à 50". Les questions portent sur les commandes nouvelles, la production, l'emploi, les délais de livraison et les stocks. En compilant toutes les réponses de tous les secteurs, tadaaam, on se retrouve avec des bilans du genre "L'indice PMI Manufacturier de la France a progressé de 447,2 points en octobre à 49,1 points en novembre". Traduction ? Les directeurs d'achat de l'industrie française étaient, en moyenne, plutôt moroses en octobre (l'indicateur est inférieur à 50) et le sont, en moyenne, un peu moins en novembre (toujours inférieur à 50 mais moins éloigné qu'en octobre). Du coup, ça doit pas être la fiesta pour l'économie hexagonale dans les semaines à venir parce que les gens en charge des achats ont le pied sur le frein.

PMI Historique
Ce graphique montre bien les creux d'activité liés aux crises des 15 dernières années

En version sérieuse, S&P recueille des données auprès d'un panel représentatif comprenant des entreprises de l’industrie manufacturière et du secteur des services (750 environ en ce qui concerne la France). Il y a trois grandes étapes dans le processus :

  • La soumission du questionnaire : c'est un document standard remis à chaque responsable d'entreprise, avec des questions portant sur la production, la demande, les prix et l'emploi. Concrètement, voilà à quoi ressemble les questions-types (ici pour le PMI manufacturier) : "Le niveau de production de votre unité (en volume) est-il supérieur, identique ou inférieur à celui d'il y a un mois ?". Deux précisions importantes :
    • Les entreprises ont la possibilité de donner si elles le souhaitent de la granularité à leur réponse par un commentaire libre.
    • Les données sont généralement collectées au cours des deux semaines du milieu du mois, de sorte que les entreprises comparent le milieu du mois actuel avec le milieu du mois précédent.
  • Les réponses : elles font simplement état d'une augmentation, d'une stabilité ou d'une diminution des niveaux par rapport au mois précédent.
  • La collecte et le traitement : les données sont collectées auprès de panels structurés de façon à représenter avec fidélité la structure économique concernée.
    • Le PMI de l'industrie manufacturière est une moyenne pondérée des cinq indices suivants : Nouvelles commandes (30%), Production (25%), Emploi (20%), Délais de livraison des fournisseurs (15%) et Stocks d'achats (10%).
    • Le PMI des services est calculé à partir d'une question portant sur l'évolution du volume de l'activité commerciale par rapport au mois précédent.
    • Les PMI de la construction et du commerce de détail (moins populaires) suivent l'évolution du volume d'activité des deux secteurs.
Pays
Pays couverts par l'enquête (40 pays, 86% du PIB Mondial (Source S&P)

La publication des PMI

Les indicateurs PMI pertinents sont publiés en deux fois :

  • Une estimation "flash" qui sort autour du 20 du mois en cours à partir d'un pourcentage d'au moins 85% du nombre définitif de réponses à l’enquête PMI. Elle comprend le PMI Flash Composite, le PMI Flash des Services, le PMI Flash de la Production Manufacturière et le PMI Flash de l'Industrie Manufacturière.
  • Une estimation finale, qui est publiée en deux fois. Le 1er jour jour non-férié du mois suivant pour le PMI Manufacturier. Et le 3e jour non-fériée du mois pour le PMI des Services et Composite.

Pourquoi c'est un indice qu'il est bien pour anticiper l'avenir économique ?

Si l'on parle d'indicateur avancés, c'est parce qu'ils sondent d'importants décideurs sur leurs perspectives d'activité en temps réel, avec une grande réactivité puisque l'estimation Flash est produite quelques jours à peine après que lesdits décideurs eurent été interrogés. En ce sens, les PMI suivent de très près les mouvements économiques. En outre, ils sont en mesure de fournir une lecture affinée sur ses cinq composantes (commandes, production, emploi, délais, stocks). La publication est accompagnée d'une explication textuelle d'économiste. Exemple avec la livraison du PMI Manufacturier français de novembre 2022, avec au commentaire Chris Williamson, Chief Business Economist de S&P Global Market Intelligence :

"Les dernières données PMI mettent en évidence un ralentissement de la contraction du secteur manufacturier de la zone euro en novembre, tendance laissant espérer un repli de l’activité industrielle moins sévère que celui initialement anticipé au cours de la période hivernale. Toutefois, l’indice de la production a de nouveau affiché l’un de ses plus faibles niveaux des dix dernières années, les rythmes de contraction enregistrés ces derniers mois suggérant une baisse annuelle de la production industrielle très soutenue, de l’ordre de 4 %. Si les données officielles ont été plus positives, mais aussi plus volatiles, ces derniers mois, la publication de données PMI si faibles a, historiquement, toujours précédé des replis d’ampleur similaire des statistiques officielles".

Dans cette illustration extraite du dernier bulletin mensuel des PMI de S&P, on peut facilement comparer la situation manufacturière de plusieurs grandes économies et la tendance qu'elles traversent.

PMI Globaux Mondiaux

Quels sont ses concurrents ?

Aux Etats-Unis, deux autres indices de ce type sont produits. Le premier est très populaire, c'est l'ISM Purchasing Managers Index, compilé par l'Institute of Supply Management. S&P juge son propre indice supérieur et propose des études montrant dans quelle mesure il a "surpassé l'enquête de l'ISM en fournissant des indications plus précises sur les tendances réelles de l'industrie manufacturière ces dernières années, très probablement en raison des différences dans la structure du panel et la conception du questionnaire". L'autre indice PMI américain suivi par le marché est l'indice PMI de Chicago, qui comme son nom l'indique est un sondage régional, qui repose aussi sur les membres de l'Institute for Supply Management. 

Les indicateurs PMI sont largement utilisés sur les marchés financiers et dans les sphères économiques. Ce sont de solides statistiques pour prendre le pouls de l'activité dans plusieurs secteurs, avec un niveau de détail que peu d'autres indicateurs sont capables de fournir. Comme ce sont des indicateurs avancés, ils permettent d'anticiper les évolutions économiques probables à court / moyen terme. 

Les liens à connaître :