"Selon vous nous dénotons un véritable retour de la confiance sur les marchés financiers justifié par deux grands facteurs exceptionnels. Quels sont-ils ?
Le premier facteur a trait au redémarrage du cycle des affaires au niveau mondial à la fin du deuxième trimestre 2016. Ce cycle est reparti quasiment partout dans le monde. Sur les 190 pays sur lesquels le FMI fait des prévisions, seule une dizaine de pays dont le plus important est le Venezuela devrait connaitre une récession. Nous aurions ainsi le plus bas taux de récession depuis 2005-2007.

Un deuxième déterminant clé de ce retour de la confiance est la renaissance de la zone euro. Le processus a été extrêmement long mais est en train d’aboutir.
Il a débuté avec le célèbre discours de Mario Draghi en juillet 2012, le fameux « whatever it takes » qui a mis en lumière l’implication de la Banque centrale européenne dans la défense de l’euro. S’en sont suivies la conduite d’une politique monétaire plus agressive de la BCE, l’atténuation de l’austérité budgétaire de la part de certains Etats membres, une dévaluation interne de certains autres pour diminuer leur divergence de compétitivité.
Ces trois phénomènes associés ont permis la régénération d’une reprise de la croissance économique en 2013. Initialement cette reprise concernait peu de pays, essentiellement l’Allemagne et l’Espagne et peu de secteurs, principalement l’automobile. Depuis 2016, elle s’est diffusée plus largement, notamment en France et en Italie, perçues comme les pays « malades » de la région. Alors qu’à l’été 2016, la prévision de croissance pour 2017 était de 1,2%, elle est désormais à 1,7%. La révision à la hausse pourrait aller jusqu’à 2%. Nous devrions être sur un même rythme de progression en 2018.

Concomitamment à l’embellie de la toile de fond macroéconomique, la zone euro a été sujette à une diminution du risque politique. L’élection d’Emmanuel Macron à la tête de la France est un changement extrêmement important. Elle n’est pas seulement synonyme d’un vote anti Frexit, elle est aussi un risque politique qui se transforme en chance politique pour reconstruire une zone euro plus unie, plus résiliente, mieux gouvernée.

Cette nouvelle configuration est porteuse d’un nouvel élan. Les enquêtes auprès des entreprises françaises montrent un niveau d’optimisme semblable à celui qui prévaut en Allemagne. Les commandes à l’industrie en Italie ont fortement augmenté, à un plus haut depuis 2007. Les secteurs clés de la construction et de l’immobilier sont également impactés par ce nouveau souffle. De même le secteur financier, banques et assurances.

Diriez-vous que le risque systémique a baissé au sein de la zone euro ?

Absolument. Cela fait plusieurs années que la zone euro est vue par les investisseurs internationaux comme candidate à provoquer un accident majeur dans le système.
Cette appréhension s’est énormément atténuée.

L’Italie, demeure un mur à gravir pour que l’on parle de véritable rétablissement de la zone euro ?

C’est là un des points noirs de la zone euro qui est aussi en train de s’éclaircir.
Les créances douteuses des banques italiennes ont touché un pic en 2015. Un fléchissement a ensuite été observé à compter de 2016. Le chiffre de 2017 devrait rendre compte d’une situation comparable à celle de 2011-2012 sous l’impulsion d’une amélioration de la conjoncture et d’une plus forte capacité des banques à revendre leurs créances douteuses aux grands fonds américains qui avaient soulagé les banques espagnoles il y a quatre ans.

Il est vrai qu’une incertitude significative demeure en Italie sur le front politique. D’après l’enquête réalisée par la Commission européenne c’est dans ce pays que l’euroscepticisme est le plus fort.
Pour l’heure la date des prochaines élections italiennes n’est pas encore connue. Nous devrions voir plus claire d’ici le printemps 2018.
Mais dernièrement, les élections municipales ont marqué un recul dans le mouvement populiste 5 étoiles. Le contexte étant diamétralement différent de celui de 2013, où l’Italie était en récession, cela donne quelque peu l’espoir de voir une issue plus constructive à l’échelon national.

Une réanimation de la crise de la dette souveraine du fait de l’Italie est-elle vraisemblable ?

Ce scénario est peu probable et sa probabilité a tendance a diminuer. Je n’ai pas une vision pessimiste. Il y a un retournement de la situation italienne d’un point de vue économique et financier. L’amélioration en cours est durable et forte.

Qu’attendez-vous sur le marché des actions européen pour le second semestre de l’année ?
Les fondamentaux des actions sont le niveau de la croissance et le niveau des taux. Or la combinaison, dynamique économique suffisante et taux réels négatifs devrait, à notre sens, conduire à un retour de la prospérité des entreprises, à la faveur des marchés actions.

Quel regard portez-vous sur la faiblesse de la volatilité ?

Je suis assez étonné de voir beaucoup de gens s’émouvoir de la faible volatilité.
Le niveau de la volatilité actuel n’est pas anormal. Ce niveau ne nous donne aucune information. Il est arrivé que nous restions sur un niveau de volatilité faible pendant plusieurs années tant qu’il n’y a pas de choc économique ou monétaire.
Ce n’est pas du tout pour moi un signe de complaisance.

En outre, il n’y a pas un enthousiasme indiscriminé de la part des investisseurs. Ces derniers n’achètent pas n’importe quoi.

Qu’escomptez-vous du côté de la variation des profits ?

La progression des bénéfices est à son plus haut dans ce cycle si l'on exclut l’effet temporaire de la dévaluation de l’euro en 2015.
Actuellement la hausse des profits par action est de 13% en moyenne au sein de la zone euro. 60% des sociétés cotées au sein de la région ont un résultat qui augmente de plus de 10%.
Même si les attentes sont plus élevées qu’en début d’année, je pense que nous pourrions être surpris positivement par l’ampleur de la croissance des bénéfices cette année. Nous pourrions monter à 20%.
Ceci devrait très probablement se répéter l’année prochaine.

Quelle vision avez-vous des valorisations ?

Elles sont tendues. Le niveau des PER sur le SP 500 est revenu au niveau de 1999-2000, autour de 18. En Europe, sur l’Eurostoxx 300 le niveau n’a pas encore dépassé celui qui a fait suite à l’entrée massive des flux après l’enthousiasme lié à l’annonce du quantitative easing de la BCE, mais il n’en est pas loin. Il est de 16,5 contre 17,20. L’écart par rapport à Wall Street est encore d’environ 5%.

Cette cherté est à relativiser...

Il faut considérer cette cherté en relatif. La moyenne historique des PER est plutôt à 15x. La prime de risque par rapport aux obligations reste très élevée. L’écart de rendement entre actions et obligations est très large. Si le marché des actions est cher, celui des obligations l’est bien plus encore. Ce sont les actifs les plus chers dans le monde.

Pour l’instant la dynamique des marchés demeure rationnelle…

Un comportement rationnel se reflète par une surperformance des actions par rapport aux obligations quand le cycle économique va bien et une sous performance quand le cycle ne va pas bien. C’est ce que nous constatons.
Beaucoup de gens pensent que la hausse du marché est due à l’élection de Donald Trump. Tel n’est pas notre diagnostic. Si cette analyse avait été bonne, les marchés seraient beaucoup plus bas aujourd’hui. A notre sens si Hillary Clinton avait été élue, nous aurions eu le même mouvement.
Les marchés ont simplement attendu que l’incertitude politique aux Etats-Unis se lève. Ils ont conclu que Trump allait rapidement devenir impotent et assez insignifiant sur la scène économique en raison des contrepouvoirs qu’il a devant lui. Ils ont alors joué le retour du cycle.

Ainsi ce qui règne en maître des marchés financiers c’est bien le cycle. C’est lui qui influence les allocations.

Si la rationalité domine dans les comportements, nous faisons cependant face à une asymétrie négative sur les marchés…

Les investisseurs présents sur les marchés actions ont des attentes élevées. Il y a plus d’effets négatifs des mauvaises nouvelles que d’effets positifs des bonnes.
Si les sociétés délivrent comme attendu, le marché ne réagira pas significativement. En revanche, si des annonces négatives sont faites, elles auront plus de poids sur le marché.
Cet environnement est plus compliqué à gérer.

Quels principaux risques identifiez-vous d’ici la fin de l’année pour le marché des actions européen ?

La confiance pourrait se transformer en euphorie. Nous pourrions alors devoir composer avec la constitution d’une bulle, qui entraîne une recorrélation des actifs, puis au bout d’un certain temps un krach boursier.

Un deuxième risque est relatif à la remontée des taux longs sur fond d’une amélioration de la croissance mondiale.

Les fluctuations du prix du baril sont-elles une menace ?

Nous tablons sur une stabilité du prix du pétrole autour de 50 dollars. Le cours du baril est déterminé par le producteur marginal que sont les Etats-Unis, ce qui est une très bonne nouvelle pour l’économie mondiale.
Si le prix du pétrole s’écroulait soudainement, cela pourrait poser des questions autour de l’endettement des entreprises américaines évoluant dans ce secteur. A ce stade, une telle tendance ne pourrait être que la conséquence d’un choc de demande. Nous ne tablons pas là-dessus.

Doit-on alimenter une inquiétude à l’égard du comportement de la Réserve fédérale américaine ?

Que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, nous sommes encore loin de l’objectif d’une inflation à 2%. Il y a tout lieu à penser que la Fed n’est pas prête à sacrifier cet objectif. Pour l’instant, le message de la Fed est que la baisse récente de l’inflation aux Etats-Unis est temporaire. Si elle voit qu’elle a tort, elle n’hésitera pas à interrompre son processus de remontée des taux.
Assurément le soutien de la Fed va continuer dans la mesure du nécessaire.

La politique budgétaire américaine est le grand rendez-vous de ce second semestre… De quelle manière l’abordez-vous ?
La logique annoncée est un changement de policy mix aux Etats-Unis avec une politique budgétaire expansionniste. Pour l’heure la situation est peu lisible. Nous n’avons aucune idée de la forme et de l’intensité que prendra le changement de politique budgétaire.
Toutefois, nous sommes d’avis que le Congrès sera enclin à accepter une baisse de la fiscalité et une hausse des dépenses d’infrastructures dans l’optique de l’élection mid-term de 2018. Cela donnera un supplément d’âme à la croissance américaine et donc à la croissance mondiale l’année prochaine. Il est peu probable que les retombées soient spectaculaires. Cela ne pose pas problème. Nous avons besoin d’un cycle qui dure et non d’une grande accélération.

In fine, quels principaux biais présentent votre allocation d’actifs ?

Nous avons une pondération plus prononcée sur les nouveaux secteurs embarqués par la reprise économique : les dépenses de construction qui sont encore très faibles et qui devraient croitre sur une longue période, et la finance qui devrait jouir d’un rerating sur une durée un peu plus brève. Les valorisations sont peu chères.

Nous avons, par ailleurs, une préférence pour les petites et moyennes valeurs. Sans surprise, c’est l’univers des sociétés qui tire le plus avantage du retour de la prospérité bénéficiaire.


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