L'implosion de Wirecard est survenue des années après les premières allégations de fraude par certains investisseurs et journalistes et l'attention se porte maintenant sur la manière dont les régulateurs ont supervisé une société qui cachait un trou de 1,9 Md€ dans ses comptes.

En 2017, les responsables de l'autorité allemande de régulation financière (BaFin) et de la banque centrale du pays (Bundesbank), ont envisagé de placer Wirecard sur une liste de sociétés financières à superviser mais ont décidé de ne pas le faire, a déclaré la personne en question. Au second semestre de 2019, des discussions ont eu lieu pendant plusieurs mois, impliquant la Banque centrale européenne (BCE), sur la possibilité de mettre Wirecard sur une liste de surveillance afin de donner aux autorités plus de pouvoir pour enquêter. Mais les discussions se sont prolongées jusqu'en 2020 et n'ont pas été concluantes. Puis elles ont été "dépassées par les événements", même si des sources anonymes avaient donné aux autorités des informations sur les irrégularités de la société, a ajouté la source.

La BCE, l'autorité supérieure de la zone euro en matière de contrôle bancaire, et la Bundesbank, ont refusé de commenter. La BaFin a déclaré qu'elle avait demandé au FREP, l'organisme privé allemand de surveillance de la comptabilité, en février 2019, d'examiner les comptes de Wirecard, mais qu'elle n'avait pas encore reçu de rapport.

Wirecard, une société hybride qui traite des paiements électroniques et qui possède également une banque, était jusqu'à une date récente l'une des entreprises de technologie financière, ou fintech, les plus en vogue en Europe, avec une valorisation de 28 Mds$ à son apogée. Elle a déposé son bilan jeudi dernier et doit près de 4 Mds$ à ses créanciers. Son auditeur, EY, a déclaré que le trou financier massif dans les comptes était le résultat d'une fraude mondiale élaborée et sophistiquée.

Une lenteur coupable

On ne sait pas très bien pourquoi les régulateurs n'ont pas renforcé la surveillance de Wirecard, bien qu'une deuxième source ayant connaissance de la question ait déclaré qu'une telle décision aurait soulevé des questions juridiques complexes quant à savoir si l'ensemble de la société pouvait être définie comme une banque. En tant que société de technologie financière, bien que possédant une banque, Wirecard a longtemps été considérée comme se trouvant dans une zone grise en matière de contrôle bancaire traditionnel Alors que la BaFin réglementait la banque de Wirecard, l'inscription de la société sur une liste de sociétés financières l'aurait placée sous le contrôle total de l'autorité allemande de régulation financière. La seconde source a également déclaré que le fait d'amener les différentes autorités à se mettre d'accord sur la supervision de Wirecard était un processus long.

Néanmoins, cette lenteur risque d'intensifier les critiques visant la BaFin, qui a déjà été attaquée pour avoir enquêté sur les investisseurs et les journalistes qui ont mis en doute les comptes de Wirecard - plutôt que sur la société elle-même. "Les événements entourant Wirecard sont scandaleux", a déclaré Frank Schaeffler, un parlementaire allemand de l'opposition qui siège au conseil de surveillance de la BaFin, ajoutant que le ministère des finances, qui supervise la BaFin, en portait la responsabilité ultime.

Détourner le regard

Wirecard a commencé en s'occupent des paiements de sites de jeux d'argent et pour adultes, avant devenir une institution qui traite aussi les paiements de sociétés comme Visa et Mastercard. Certains des plus grands investisseurs du monde détenaient ses actions avant qu'un lanceur d'alerte n'affirme qu'elle devait son succès à un réseau de transactions fictives. "Les régulateurs ont ignoré les questions soulevées, préférant poursuivre ceux qui avaient mis en garde contre cette fraude majeure", a déclaré Fraser Perring, qui a parié sur une chute des actions de Wirecard et a co-rédigé un rapport de 2016 qui alléguait une fraude. Suite à ses déclarations, la BaFin a lancé une enquête sur Perring qui a finalement abouti à une enquête pénale soutenue par le parquet sur de la manipulation boursière.

Jan Pieter Krahnen, expert financier à l'université Goethe de Francfort, a déclaré que cette affaire montrait que l'approche légère de l'Allemagne en matière de contrôle des entreprises était un échec. "Nous aimons l'autorégulation en Allemagne", a-t-il déclaré. "Mais c'est seulement quelque chose qui fonctionne dans les bons moments. La surveillance des marchés de capitaux n'est pas une priorité pour l'Allemagne".