New Delhi (awp/afp) - Soixante-quinze ans après son indépendance, l'Inde est en passe de devenir le pays le plus peuplé de la planète, fait partie du club des puissances nucléaires et se classe au cinquième rang des économies mondiales, devant son ancienne puissance coloniale britannique.

L'Inde réclame ainsi un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, aux côtés des Etats-Unis, de la Chine, de la Russie, du Royaume-Uni et de la France. Mais New Delhi devra relever de nombreux défis avant de pouvoir occuper une place d'influence sur la scène diplomatique mondiale, selon les analystes.

Démocratie de 1,4 milliard d'habitants, à la croisée de multiples enjeux géopolitiques, l'Inde fait figure de contrepoids potentiel à la Chine de plus en plus autocratique sous Xi Jinping.

C'est le seul pays à la fois membre de l'Organisation de coopération de Shanghai, chapeautée par Moscou et Pékin, et du QUAD, initiative conduite par les Etats-Unis avec le Japon et l'Australie pour contrebalancer l'influence de la Chine dans l'Asie-Pacifique.

L'Inde a également cofondé le groupe des économies émergentes dit des "BRICS" réunissant le Brésil, la Russie, la Chine et l'Afrique du Sud pour contrer l'influence des structures de gouvernance internationales dominées par les Etats-Unis et l'Europe.

Pendant des décennies, l'Inde est restée en marge sur le plan diplomatique, se contentant d'un rôle au sein du Mouvement des non-alignés qui se tenait à distance des deux superpuissances de la guerre froide, tout en entretenant des liens étroits avec Moscou qui reste son principal fournisseur d'armes.

Dans le paysage stratégique mouvant du XXIe siècle, l'Inde "a de plus en plus l'ambition d'être présente et écoutée, d'influencer et de diriger", a déclaré à l'AFP Samir Saran, président de l'Observer Research Foundation, un think tank basé à New Delhi.

Le charbon et la Russie

Toutefois, selon lui, la question est de savoir si l'Inde est "prête à assumer la responsabilité d'un acteur de cette importance". Le pays a un bilan mitigé sur la scène internationale.

Deuxième consommateur de charbon au monde et troisième émetteur de carbone, l'Inde a été blâmée, comme la Chine, pour l'échec de l'engagement "à sortir du charbon", au sommet de la COP26 l'an dernier.

Trois mois après la visite de Vladimir Poutine à Delhi, qui a salué l'Inde comme "une grande puissance, une nation amie et un ami de longue date", ses forces envahissaient l'Ukraine.

Pendant des mois, New Delhi a refusé de sanctionner Moscou et a multiplié par six ses achats de brut russe, portant son commerce bilatéral à un niveau record, selon les chiffres officiels.

"Des pays comme les Etats-Unis, certains pays d'Europe et d'autres pays de la région Asie-Pacifique considèrent l'Inde comme un contrepoids géopolitique à la Chine, une alternative économique ou son contraire démocratique", rappelle Tanvi Madan.

Mais "la grande question", ajoute-t-elle, est de savoir si l'Inde est en mesure "de profiter de cette opportunité à temps".

Les investisseurs se désengagent de la Chine et les entreprises internationales aux prises avec des difficultés économiques et réglementaires croissantes, cherchent à se délocaliser.

Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une activité économique de 6,8% cette année en Inde, soit plus du double de celle de la Chine, et le rythme de croissance le plus rapide du monde en 2023.

"Nous affirmer davantage l'Inde"

Mais le Vietnam, Taïwan et la Thaïlande se révèlent plus attrayants que l'Inde où, malgré un vaste marché intérieur où la langue anglaise est largement répandue, pèsent une bureaucratie et un régime fiscal complexes, un système juridique engorgé et une corruption endémique.

L'Inde et la Chine, en proie à des différends frontaliers, commerciaux et technologiques, ont gelé leurs relations depuis un affrontement militaire frontalier meurtrier en 2020.

Depuis, le président Xi et le Premier ministre indien Narendra Modi ne se sont pas rencontrés, à l'exception d'"échanges de courtoisies" au dernier sommet du G20 en Indonésie.

New Delhi renforce son armée, y compris ses défenses frontalières et son industrie de défense, avec des sous-marins à propulsion nucléaire et d'un premier porte-avions fabriqués en Inde.

Son programme spatial à faible coût a fait d'elle le quatrième pays à envoyer un orbiteur vers Mars, et elle prévoit une mission habitée en orbite.

Mais le pays reste très en retard derrière la Chine qui maîtrise tous ces secteurs depuis longtemps.

L'Inde n'a "probablement jamais été si bien lotie", fait valoir l'ancien diplomate indien Navdeep Suri, mais le statut de "puissance mondiale est fondé sur la force économique et militaire. Nous en sommes encore assez loin".

Pour Samir Saran, l'Inde va devenir "une voix et un acteur plus important et plus influent" dans la poursuite de ses propres intérêts et valeurs.

"Elle ne sera pas soumise à d'autres agendas que les siens", souligne-t-il, "nous serons plus bruyants, plus présents, nous affirmerons davantage l'Inde".

afp/jh