Francfort (awp/afp) - Après avoir affiché en juin sa détermination à soutenir l'économie, la Banque centrale européenne devrait au minimum préparer les esprits jeudi à une baisse prochaine de taux, voire la décider selon certains commentateurs.

Rarement une réunion estivale aura été entourée d'un tel suspense, distillé par l'institution monétaire elle-même ces dernières semaines face à une conjoncture morose et plombée par les conflits commerciaux.

Lors du précédent rendez-vous début juin, il fallait "casser la perception dans le marché que la BCE était coincée et n'avait plus d'instruments" pour stimuler l'inflation, alors que "la Réserve fédérale américaine pouvait, elle, agir", décrypte pour l'AFP une source proche de la politique monétaire.

Déjà, le président de la BCE Mario Draghi avait tenu un discours volontariste et mentionné une possible baisse des taux, enfonçant le clou quelques semaines plus tard lors d'un séminaire à Sintra en évoquant "des mesures de relance supplémentaires".

Depuis, la question sur les marchés n'est plus de "savoir quelle surprise négative attendre pour que la BCE réduise ses taux" mais plutôt "quelle surprise positive pourrait l'empêcher de le faire", commente Carsten Brzeski, économiste chez ING Diba.

Préparer septembre

Pour les investisseurs, la cause est donc entendue: le prochain mouvement de l'institut sera bien de baisser le coût du crédit, laissé depuis mars 2016 à son plancher historique, et non de le remonter comme attendu il y a quelques mois encore.

La "voie la plus naturelle" pour la BCE serait de communiquer jeudi son intention de maintenir ses taux à leur niveau "ou à un niveau inférieur", préparant par cette formule codée une décision ultérieure, selon Frederik Ducrozet, stratégiste chez Pictet Wealth Management.

Dès la réunion du 12 septembre, l'institut pourrait alors abaisser son taux de dépôt, par exemple pour le porter à -0,50% contre -0,40% aujourd'hui.

Les banques qui ont un excès de trésorerie peuvent en effet choisir le placer "en sécurité" auprès de la BCE qui les rémunère avec ce taux de dépôt. Lorsqu'il est négatif, il devient coûteux pour elles de laisser leurs liquidités auprès de la banque centrale, ce qui les incite à prêter aux ménages et aux entreprises.

Lors de la même réunion, l'institution pourrait aussi relancer la réflexion amorcée au printemps sur un système de taux négatifs "par paliers" - des taux dégressifs, dont le minimum ne toucherait qu'une fraction des dépôts - déjà en place en Suisse ou en Suède, pour limiter les dégâts sur la rentabilité des banques.

D'autres observateurs, comme Sören Radde chez Goldman Sachs, estiment que la BCE pourrait attendre son nouveau jeu de prévisions économiques en septembre pour tout dévoiler d'un coup: une baisse de taux et une reprise des rachats nets de dette, son vaste programme arrêté fin 2018.

Agir dès maintenant ?

La croissance de la zone euro devrait en effet avoir ralenti d'avril à juin et poursuivre sur un faible rythme durant l'été, emmenée par la France et l'Espagne, tandis que l'Allemagne patine.

A moyen terme, les perspectives de croissance de la zone euro restent orientées "à la baisse" et souffrent de l'impact du bras de fer sino-américain sur l'industrie, devrait répéter l'institut francfortois.

L'inflation en zone euro s'est elle inscrite à 1,3% en juin, contre 1,2% en mai, et devrait se tasser dans les mois à venir en raison de la baisse des prix du pétrole, toujours loin de l'objectif légèrement inférieur à 2% visé par la BCE.

Même si la réaction sur les marchés serait spectaculaire, il reste donc une "chance non négligeable" pour que Mario Draghi tranche dès jeudi sur les taux, car "rien ne justifie d'attendre un mois de plus", estime M. Ducrozet.

L'homme fort de l'euro, qui passera la main fin octobre à la Française Christine Lagarde, pourrait ainsi une nouvelle fois montrer qu'il aime "devancer" le tempo conventionnel de la politique monétaire, renchérit M. Brzeski.

Il est "essentiel" que la banque centrale réagisse "de manière proactive aux chocs susceptibles de retarder la convergence" de l'inflation vers sa cible, soulignait d'ailleurs en juillet Philip Lane, le nouveau chef économiste de la BCE.

afp/al