Brasserie du Mont Blanc, Pietra, Ninkasi, Brasserie Thiriez...ces noms, qui vous sont forcément apparus dans les épiceries, les restaurants ou sur les marchés, disposent désormais d’étals dédiés dans la plupart des supermarchés. Ces bières locales et artisanales sont devenues incontournables dans le paysage français, mais également en Europe, en Asie et en Amérique du Nord. 

La (re)naissance 

Alors que la consommation de bière était en recul mondial jusqu’en 2014, et qu’elle poussait les mastodontes du secteur à se regrouper, elle a trouvé un second souffle dans la redécouverte d’une production plus locale, plus modérée, plus originale. 

Entre 2005 et 2015, la tendance était en effet au mariage chez les brasseurs. A l’image du rachat du britannique SABMiller par le belgo-brésilien AB-InBev en 2015 (pour 112 milliards d’euros), l’ensemble du secteur se consolidait et les 5 principales entreprises du secteur représentaient à elles-seules 56% du marché mondial de la bulle maltée.  

Simultanément, aux quatre coins du globe, une autre tendance naissante allait pourtant donner le ton des années suivantes et largement chambouler le secteur : la renaissance de la brasserie artisanale et indépendante. 

Certains ont flairé ce retournement de paradigme. Au lieu de se tourner, comme son principal concurrent Asahi, vers le rachat de grandes marques établies (Peroni, Grolsch), le japonais Kirin, dès 2016, allait miser sur la production artisanale en prenant 25% du capital du groupe américain Brooklyn Brewery. Il souhaitait alors profiter du nouvel engouement observé outre-Atlantique pour les craft beers. 

Les facteurs

Cet engouement s’est diffusé dans le monde à la faveur de plusieurs facteurs. Le manger mieux, d’abord, en promettant des bières locales, bio, sans gluten, sans colle toxique apposée aux dos des étiquettes. Le circuit court, ensuite : les petits producteurs, en favorisant l’écologie et le maintien des emplois régionaux, ont rapidement gagné le cœur des consommateurs. 

Les microbrasseries ont également contribué à anoblir le produit. Aujourd’hui, en offrant une réelle diversité de goût, de mariages et de déclinaisons, la lager insipide est sortie du frigo des aficionados du foot pour (re)devenir un produit complexe et authentique qui se déguste. En mettant en avant les matières premières typiques issues des terroirs (marrons en Ardèche, blé noir en Bretagne, génépi en Savoie, chicorée dans le Nord…), les producteurs ont élevé la boisson au rang de spécialité régionale. Enfin, en cherchant l’originalité des saveurs, les brasseurs ont séduit les palais les plus réticents (ceux des femmes notamment) et gagné de nouveaux consommateurs. 

L’explosion 

C’est ainsi qu’en France comme dans le monde, les territoires ruraux se sont jonchés de micro-producteurs. Dans l'hexagone, on dénombrerait aujourd’hui pas moins de 2000 brasseries artisanales (contre seulement 200 en 2007) qui produisent en moyenne 800 hl par an, et 10 000 références de bières. En comptant les productions industrielles, 70% des bières consommées en France sont produites sur notre territoire. 

Bien que la France soit le dernier consommateur de bières de l’Union Européenne (avec 33 l/an/habitant), elle est devenue le 1er pays européen en nombre de brasseries, et le  8ème pays producteur de bières en Europe. Si les régions Rhône-Alpes et Nouvelle Aquitaine comptabilisent le plus grand nombre de maisons, c’est le grand Est qui écoule les plus gros volumes.

Le secteur de la mousse s’est naturellement professionnalisé en se dotant d'une instance représentative : le Syndicat National des Brasseurs Indépendants (SNBI), qui comptait 440 adhérents à l’été 2019. Ce dernier estime que le marché de la brasserie indépendante croît de 16% (contre 20% pour le cabinet d’études Xerfi) et compte 5 créations d’entreprise par semaine. 

Les emplois 

La croissance de la filière agroalimentaire brassicole a une incidence directe sur l'emploi. En France, on estime que pour un emploi direct en brasserie, 17 emplois indirects ( semencier, céréalier, malteur, collecteur, brasseur, levurier, distributeur, restaurateur) sont créés dans l’écosystème. Avec près de 8000 brasseurs indépendants salariés, 130 000 personnes dépendraient donc de la production de bière artisanale française.  

 

Brasserie indépendante

Image par cerdadebbie 

Aujourd’hui, si elle gagne les grandes surfaces, la distribution des crafts beers est encore très largement basée sur la vente directe et les circuits courts. Enfin, avec 90% des sites de production ouverts au public, la filière développe aussi une nouvelle forme de tourisme : le tourisme brassicole.

Le relai de croissance

Les mastodontes du brassage industriel ont pris conscience de l’opportunité commerciale que représentent désormais les bières artisanales et cherchent dans les craft beers un nouveau marché, aux marges plus importantes. 

Cette semaine, Kirin a pris une participation de 30 millions de dollars dans Bira 91, un producteur indépendant indien de bière premium. L’an dernier, avec sa filiale australienne Lion Little World Beverage, le japonais s'emparait de New Belgium Brewing, le quatrième brasseur artisanal des Etats-Unis. Quelques mois plus tôt, il prenait possession de Fourpure Brewing et Magic Rock Brewing, deux brasseurs artisanaux britanniques. 

Et quand ils ne s’insèrent pas dans ce marché via des acquisitions, les industriels tentent d’en copier les codes esthétiques, marketing ou s’inspirent de leurs recettes. 

 

Y a t-il un revers de médaille pour les indépendants de la bière ? En accroissant leur taille, leur production et leur distribution, les artisans prennent le risque de s’éloigner de leurs objectifs premiers et de leur cible si précieuse. En 2016, Pietra, la célèbre bière corse, se dotait d’une ligne de production massive : un bâtiment de 1000 m2 abritant des lignes pouvant débiter 10 000  bouteilles de 25 cl à l’heure, pour une production quotidienne atteignant 100 000  hl. On est loin du petit brasseur de campagne.