"Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM, nous a livré son analyse du marché des actions et plus précisément dans sa dimension européenne. Selon lui, les actions du Vieux Continent ont de beaux jours devant elles.

Pouvez-vous nous faire un panorama global des marchés actions ?

Nous avons été très positifs sur les actions jusqu’à fin janvier. Ensuite, nous avons eu tendance à réduire notre risque à cause de plusieurs facteurs dont certains sont toujours présents et qui nous conduisent à penser qu’il y a encore des risques de baisse sur les actions. Début janvier le sentiment de marché était très positif ce qui n’est plus le cas. Il y a deux événements majeurs. Le premier, ce sont les chiffres d’inflation plutôt forts aux Etats-Unis qui vont probablement entraîner la Fed à faire preuve de plus de sévérité. Chez Pictet, nous prévoyons quatre hausses de taux pour 2018 alors que le marché est plutôt sur une prévision de trois. Il y plusieurs tendances qui montrent que l’inflation se renforce aux USA. Par exemple, si vous regardez les délais de livraison, qui constituent un très bon indicateur, vous constatez qu’ils ont tendance à s’accroître depuis un an et cela montre bien que la demande est forte et renforce ainsi l’idée d’une forte inflation. En dehors de cela, vous avez un taux de chômage plutôt faible, des hausses de salaire assez solides même si elles sont un peu décevantes. Tout ceci indique que le risque inflationniste aux Etats-Unis est plus élevé que le marché veut bien le croire. Cependant, nous n’anticipons pas non plus un dérapage massif de l’inflation. Il y a tout de même un ajustement. Le deuxième risque qui nous paraît non-négligeable concerne le ralentissement en Chine. Nous voyons une baisse assez forte de la création de crédit, orchestrée par la banque centrale chinoise. Ce resserrement de politique monétaire a pour but de réduire les investissements des entreprises qui sont trop élevés afin d’assainir l’économie. A moyen-terme, c’est positif. Cela signifie que la Chine se dirige vers un modèle plus rentable. Le problème, c’est que la baisse de production de crédit aura évidemment un impact négatif sur la croissance. Ce ralentissement commence aujourd’hui à se voir même s’il n’a pas été totalement assimilé par les marchés. Ce tableau nous incite à faire preuve de prudence sur les marchés actions mondiaux et européens bien que la situation est loin d’être alarmante. Nous sommes sur une position neutre. Pourquoi ne sommes-nous pas vendeurs ? Tout simplement car la croissance bénéficiaire est tout même solide, supérieure à 10% cette année au niveau mondial. De plus les taux sont encore aujourd’hui très bas. Nous pensons qu’il faudra bientôt revenir sur les actions.

Et concernant les actions européennes ?

Elles sont, avec les actions japonaises, nos préférées. Selon nous, le risque est essentiellement sur les actions américaines. Tout d’abord, leur valorisation est plus modeste que celle des actions outre-Atlantique. Il nous semble également que le potentiel de croissance bénéficiaire est plus important. Certes, en 2018, la croissance bénéficiaire des actions américaines sera supérieure à celle de l’Europe grâce notamment aux baisses de taxes et à la vigueur de la croissance aux Etats-Unis. Mais si vous réfléchissez à moyen terme, il convient de rappeler que nous sommes plutôt en début de cycle en Europe. Cela nous dit deux choses. Premièrement, que le nombre d’années durant lesquelles on va bénéficier d’une croissance bénéficiaire sera plus important. Deuxièmement, les marges sont plutôt resserrées en Europe et elles vont évoluer positivement grâce à la croissance. La situation nous semble donc plus prometteuse qu’aux Etats-Unis. De l’autre côté de l’Atlantique nous sommes plus proche de la fin de cycle et les entreprises vont faire face à une double contrainte sur leurs marges : des taux et des salaires plus hauts. En Europe, on en est pas là. Les marges vont augmenter car les taux montent peu et les salaires évoluent peu au contraire de l’activité qui est en train de le faire assez solidement. Autre point important, le taux de dividende en Europe est de l’ordre de 3% alors que les taux obligataires en vigueur sont sur des niveaux proches de 1%. Aux Etats-Unis, les taux obligataires ont dépassé les taux de dividendes. Globalement, les raisons qui nous poussent à croire que la croissance européenne est solide sont les suivantes : reprise du crédit, tout de même une amélioration de l’emploi, utilisation des capacités élevée et reprise des investissements.

Comment voyez-vous le calendrier des hausses de taux de la BCE ?

Nous pensons qu’au cours du mois de juin des prévisions seront données quant à la fin du QE. Il devrait se terminer en septembre 2018. Mario Draghi avait parlé d’une période conséquente entre la fin du QE et la première hausse des taux. De notre côté, nous estimons cette période à six mois. Selon nous, les taux européens devraient commencer à remonter à partir de mars 2019. Nous voyons de la progressivité dans cette remontée. Il ne faut pas oublier que le niveau de chômage est encore élevé en Europe ce qui aura une incidence négative sur la montée des salaires. Tout cela nous fait dire que la BCE ne craindra pas de montée de l’inflation avant un bon moment. D’après nous, cette remontée progressive des taux aura un faible impact sur les marchés actions. Cela peut être négatif pour les taux longs. Nous sommes tellement habitués aux politiques monétaires ultra-accommodantes que le marché ne mesure peut-être pas assez la future remontée des taux. Mais c’est le marché obligataire qui sera impacté avant les marchés actions.

Sur quels pays ou secteurs faut-il miser en Europe ?

La plupart des grandes entreprises européennes sont aujourd’hui des entreprises globales. Les choix se font plus au niveau des secteurs que des nations. Nous regardons en particulier les banques européennes. Elles profitent de la croissance économique pour améliorer la qualité de leurs bilans. On a moins de défaut et la future remontée des taux est susceptible d’améliorer la rentabilité. De plus, si vous regardez leurs valorisations par rapport aux niveaux historiques ou en comparaison de leurs semblables outre-Atlantique, vous vous apercevez qu’elles sont encore très dépréciées. A l'heure actuelle, nous sommes encore majoritairement positionnés sur des secteurs cycliques. Ils ont profité du rallye haussier mais nous pensons que nous sommes plutôt en bout de course. D’après notre analyse, il sera bientôt l’heure de revenir sur des secteurs qui ont été délaissés ces derniers temps.

Lesquels par exemple ?

Parmi les secteurs défensifs qui nous semblent les plus prometteurs on peut citer la santé. Premièrement, par rapport à la banque ou à l’automobile, c’est un secteur qui bénéficie de tendances favorables à long terme. Hélas, la population vieillit, l’aggravation des mauvaises habitudes alimentaires se développent dans les pays émergents et provoque une explosion du nombre de maladies chroniques comme le diabète. Tout cela dessine un terrain favorable pour les entreprises du secteur de la santé. De plus, elles ont été délaissées ces derniers mois à cause des très bonnes nouvelles économiques aux Etats-Unis qui ont poussé les investisseurs sur les secteurs cycliques. Si vous prenez le secteur des biotechnologies, les valorisations sont bien en dessous de ce que les bonnes perspectives du secteur laissent envisager.

Quelle est votre vision par rapport au risque politique en Europe ?

Pour nous, l’explosion de l’UE ou de l’euro n’est pas d’actualité. Nous analysons les choses en termes de coordination européenne. Après la réélection d’Angela Merkel ainsi que la formation du nouveau gouvernement allemand et compte-tenu du pouvoir en France, nous estimons au contraire qu’il y a des progrès potentiels au niveau de la cohésion européenne. Cependant, le risque n’est pas négligeable. On constate qu’il est de plus en plus difficile de former un gouvernement en Europe et les partis eurosceptiques prennent de plus en plus d’importance. Nous l’avons vu récemment en Italie. Donc oui, c’est un risque que nous suivons mais nous n’anticipons pas d’explosion de l’euro ou de sortie d’un pays européen comme l’Italie de l’UE. En tout cas, pas sur notre horizon de gestion. Ce n’est pas la première fois que l’Italie se retrouve confrontée à une telle situation. Nous l’avons déjà vu par le passé et cela ne s’est pas soldé par une sortie de l’Union européenne. Un scénario probable est qu’une coalition gouvernementale fragile soit formée, qui débouche bientôt sur de nouvelles élections. Nous avons certes le Brexit mais de notre point vue, cet événement est beaucoup plus impactant pour le Royaume-Uni que pour l’Europe. L’Union européenne représente environ la moitié des échanges commerciaux du Royaume-Uni. L’inverse est loin d’être le cas. Aujourd’hui, il est évident que les conséquences sont beaucoup plus importantes pour le pays qui sort que pour ceux qui restent.

Propos recueillis par Fabien Buzzanca

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