"LA « GUERRE COMMERCIALE », FACILE À GAGNER SELON LE PRÉSIDENT D. TRUMP, EST AU CENTRE DES PRÉOCCUPATIONS DES MARCHÉS DEPUIS LE DÉBUT DU MOIS DE MARS. EST-CE SURPRENANT ?
La thématique « America First » a repris une place centrale dans la rhétorique du président Trump depuis le début du mois de mars, après une année centrée sur la réforme fiscale. Alimentée, comme on commence à en avoir l’habitude, par des tweets agressifs, elle a provoqué une poussée d’aversion au risque sur les marchés, remettant en cause la croissance attendue des bénéfices des entreprises.

EST-CE UNIQUEMENT UNE GUERRE CONTRE LA CHINE QUI A DÉBUTÉ EN MARS ?

Dans un premier temps, les discussions sur les accords commerciaux ne visaient pas la Chine puisqu’elles étaient centrées sur la renégociation de l’ALENA, accord entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique que le président Trump souhaitait tout bonnement rompre. La renégociation, qui a débuté courant 2017, pourrait aboutir dans les prochaines semaines, avec finalement des conséquences limitées
pour les pays partenaires. Dans un deuxième temps, le gouvernement Trump s’en est pris, en janvier 2018, aux pays exportateurs de machines à laver et de panneaux solaires, avant de s’attaquer au commerce de l’acier et de l’aluminium
début mars, deux marchés sur lesquels la Chine n’est pas le pays en première ligne, à la différence de l’Europe, du Japon, du Canada ou de la Corée. Les exemptions accordées pour certains pays arrivent d’ailleurs à échéance le 1er mai et les négociations bilatérales n’ont pour l’instant pas abouti.

MAIS LES DERNIÈRES MESURES SONT BIEN PLUS CIBLÉES, AVEC POUR CIBLE LA RÉDUCTION DU DÉFICIT COMMERCIAL AVEC LA CHINE !

En effet, les autorités chinoises ont souhaité dans un premier temps répondre aux menaces américaines et ont annoncé des mesures concernant 3 Mds $ d’exportations américaines. Les Etats-Unis ont répliqué en ciblant 46 mds d’exportations chinoises, à la suite de quoi la Chine a ciblé 106 produits, dont le soja, pour un montant de 50 Mds $. Quelques jours plus tard, Donald Trump a exigé de son gouvernement une réplique portant sur 100 Mds $ d’importations chinoises ! Comme on peut le voir, une véritable escalade s’est enclenchée, ce qui a perturbé les marchés. Une bonne partie de ces mesures ne sont pas encore détaillées, et donc – bien évidemment – pas appliquées, mais la volonté  américaine est clairement à la réduction de leur défi cit commercial avec la Chine, qui se situe actuellement aux alentours de 380 Mds $.
Ces mesures n’affecteront pas uniquement la Chine, mais également les différents fournisseurs de celle-ci. En effet, selon l’OCDE, 40 % des exportations chinoises vers les Etats-Unis viennent d’un pays tiers. Le gouvernement américain a dans son viseur avant tout la protection des droits de propriété intellectuelle, peu assurée en Chine, et a, à ce sujet, déposé une plainte auprès de l’Organisation mondiale du Commerce, en mars, plainte soutenue par l’Union européenne.

QUELS SONT LES EFFETS DIRECTS D’UNE « GUERRE COMMERCIALE » SUR L’ÉCONOMIE ?

Les coûts d’une « guerre commerciale » sont diffi ciles à évaluer, compte tenu de l’incertitude sur son périmètre.
En revanche, on peut à titre d’information se rattacher à certaines évaluations de grandes institutions.

Citons notamment les travaux des économistes de la BCE mis en avant par Benoît Coeuré. Ces derniers, partant d’une hypothèse d’augmentation de 10 points de pourcentage des droits de douane sur l’ensemble des importations américaines de biens, suivi d’une riposte de même ampleur par les partenaires commerciaux des Etats-Unis, évaluent l’impact à 2,5 points de croissance en moins aux Etats-Unis
dès la première année, l’impact étant plus modéré pour la zone euro.

La dernière enveloppe d’exportations chinoises touchées par des hausses de droits de douane qui a été mentionnée (150 Mds $) représente effectivement 0,8 point de PIB américain et 1,2 point de PIB chinois. L’impact sur la demande des produits ciblés n’est pas forcément négatif ; des pays tiers sont souvent présents sur les mêmes marchés et se substitueront à la Chine. Dans le cas contraire, la demande ne se tarira pas nécessairement et se traduira plutôt par une hausse des coûts, donc de l’inflation aux Etats-Unis.

Si les mesures protectionnistes venaient à toucher les 450 Mds $ d’exportations chinoises vers les Etats-Unis, cela aurait un impact sur 3,6 points de PIB chinois, un poids important certes, mais qui reste largement gérable.
L’impact positif sur l’infl ation américaine serait certes de l’ordre de 0,5 point, pour autant la fonction de réaction de la Réserve fédérale ne serait pas nécessairement modifiée compte tenu de la nature temporaire de cet effet.

S’AGIT-IL DES SEULS CANAUX DE TRANSMISSION ?

Il nous semble que le premier canal affecté est celui de la confiance des investisseurs, et passe donc par une réaction négative des marchés. Notamment, une forte réaction des marchés d’actions pourrait provoquer un ralentissement
de la croissance mondiale. Ainsi, dans les pays émergents, comme on a pu le voir au cours des dernières semaines, les actions, qui avaient plutôt bien résisté depuis le début de l’année en particulier dans la phase de retour des craintes inflationnistes, ont largement baissé avec ces craintes de de guerre commerciale.

Nous continuons de penser, dans notre scénario central, que la période de négociations entre les Etats-Unis et ses principaux partenaires commerciaux va se prolonger pendant les prochains mois, et que la plupart des annonces n’iront pas jusqu’à leur application totale. Les bonnes intentions du président Xi annoncées lors du forum de Boao sont un des éléments plaidant pour un apaisement.
Pour autant, il convient de rester vigilant sur l’évolution des discussions, notamment en raison du caractère imprévisible du président Trump.
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