"Quel constat faites-vous de l’évolution des marchés financiers cet été ?
Trois faits marquants ressortent de cette évolution.

Un premier fait concerne l’accentuation des turbulences dans les actifs émergents qui résultent d’un effet de contagion des tourmentes vécus en Argentine, en Turquie, en Afrique du sud.
Nous sommes d’avis que pour l’instant le risque émergent reste un risque spécifique à certains pays à cause d’une mauvaise gestion de leurs comptes publics ou de leur politique monétaire. Les répercussions observées au sein des économies présentant des fondamentaux solides sont modérées.

Certains observateurs relativisent les perturbations rencontrées dans les actifs émergents en évoquant une certaine inertie sur le segment des CDS. Qu’en pensez-vous ?
Il y a lieu d’être prudent avec cet indicateur. 85% de la dette de l’Etat brésilien est en réal. Si le Brésil rencontre une sérieuse difficulté de refinancement, la Banque centrale du Brésil pourra faire fonctionner sa planche à billet. Cela sera certes négatif pour les investisseurs qui se retrouveront face à une perte de valeur de leur placement. Cependant le pays ne fera pas défaut.
Or ce qui est pricé sur le segment des CDS c’est justement la probabilité qu’un Etat se retrouve dans une situation de faillite.

Quel regard portez-vous sur la menace d’un dérapage de ces crises localisées ?

Cette menace a pris de l’ampleur. Nous voyons des flux sortants abondants des produits adossés à des indices émergents de la part des investisseurs internationaux.
Par ailleurs, il n’est pas exclu que la Fed remonte ses taux plus rapidement qu’attendu. Si tel s’avérait être le cas, les pressions sur les actifs émergents seraient accrues.

Trois signaux seront à suivre pour apprécier l’évolution de cet épisode de tourmente pour les actifs émergents ?

Le mouvement des flux, les annonces faites par la Fed et à plus court terme la variation des devises.

Quel est pour vous le deuxième point marquant de cet été ?

Le développement du dossier italien qui a renforcé la défiance des investisseurs à l’égard de l’Italie et un élargissement significatif du spread entre les taux dix ans italiens et les taux dix ans allemands.
Le marché est dans l’attente de la publication du budget le 27 septembre. De là devraient s’ouvrir des discussions au sein du Parlement afin de voter le projet de Loi de finance.
La dette italienne déjà très élevée comparativement au PIB national risque de ne plus être soutenable. Les dernières déclarations vont dans le sens d’une certaine raison gardée. Il est cependant compliqué de savoir à l’avance ce qui va se passer précisément.

Depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, en mai, on remarque que nous n’avons absolument pas eu de glissement du déficit de l’Etat italien à fin août. C’est une donnée tangible qui laisse à penser que le premier ministre italien a transmis des consignes très strictes à ses ministres et que ces derniers les ont suivies.

Nous devrions être fixés sur ce sujet d’ici la fin de l’année.

Le dernier point à avoir à l’esprit est relatif à la prudence excessive affichée par les investisseurs sur les marchés ?

Lorsque l’on considère les agrégats, les grands indices européens semblent ne pas avoir bougé cet été. En réalité, à regarder de plus près, on s’aperçoit qu’il y a eu une forte rotation sectorielle et de style. Les titres « stable growth » ont très bien performé sur ces dernières semaines. Cela témoigne d’une crainte importante des investisseurs vis-à-vis de l’évolution du cycle. A contrario, les titres « value » ont sensiblement corrigé.

Pensez-vous que cette tendance a vocation à perdurer ?

Cela serait étonnant. La toile de fond macroéconomique est bonne. Les résultats des entreprises sont positifs. De nombreux risques-guerre commerciale, Italie, Brexit- sont pricés dans les valorisations.

Quel pourrait être le catalyste ?

Le caractère très bon marché des titres value. Le décalage entre le cours de bourse et la valeur fondamentale devrait finir par reprendre le dessus. La prochaine publication des résultats pourrait servir de déclencheur.

Pensez-vous que l’élection des Démocrates au sein de la Chambre des représentants américaine pourrait aboutir à un soulagement, avec l’idée sous-jacente que la montée du protectionnisme de Donald Trump se retrouverait enrayée ?

Les derniers sondages donnent effectivement les Démocrates largement vainqueurs au sein de la Chambre des représentants, avec une probabilité élevée.
Un tel événement pourrait s’avérer positif. Historiquement la politique commerciale des Etats-Unis a été définie avec l’appui du Congrès, en particulier à travers la validation des accords commerciaux. Nous pouvons espérer que la marge de manœuvre de Donald Trump se retrouve restreinte.

Toutefois, cette vision est à considérer avec prudence. Nous ne sommes pas l’abri que voyant le Congrès revenir entre les mains des Démocrates, Donald Trump décide de se montrer plus agressif dans l’expectative de renouveler son mandat.

Quel regard portez-vous sur l’aplatissement de la courbe des taux américains ?

Depuis le début de l’année, le taux à dix ans américain est d’une stabilité remarquable alors que le marché a repricé à plusieurs reprises le nombre de hausses de taux de la Fed.
Il y a deux manières d’interpréter cet aplatissement. Une première lecture consiste à se dire que l’aplatissement de la courbe des taux est anticipatrice d’une récession prochaine aux Etats-Unis. Les taux longs ne dépassent pas le seuil des 3% car le marché prévoient qu’à brève échéance la Fed va devoir à nouveau rebaisser ses taux directeurs.
Une deuxième lecture consiste à soutenir que la variation du taux à dix ans américain n’est pas étroitement liée à ce que fait la Fed mais à un cumul de paramètres internationaux : notamment le Bund à dix ans à 0,5%, une Banque centrale du Japon encore ultra accommodante…
Nous sommes plutôt d’avis que le taux à dix ans américain est maintenu artificiellement en raison de certaines caractéristiques exogènes majeures de l’environnement dans lequel il évolue.
En témoigne le fait que depuis que la Fed a commencé à remonter ses taux directeurs, les conditions financières aux Etats-Unis ont eu tendance à s’améliorer, ce qui est totalement inédit et peut paraitre assez irrationnel.

Cette situation vous semble-t-elle pérenne ?

Pas nécessairement. Les achats par les investisseurs étrangers de taux américains ont considérablement baissé. Le niveau est quasiment à 0 si l’on prend la période 2012 à aujourd’hui. Or entre 2000 et 2012 ces mêmes investisseurs étrangers avaient acquis 45% des émissions.
Le gouvernement va devoir se tourner vers d’autres acheteurs, naturellement les fonds de pension et les banques américaines. La renationalisation du financement du déficit des Etats-Unis est de nature à amener la Fed à reprendre pleinement le contrôle de la variation de ses taux longs.

Depuis le début de l’année, les actions américaines ont le vent en poupe. Un phénomène massif qui vous parait préoccupant en l’état actuel des choses outre Atlantique est relatif aux rachats d’actions par les entreprises. Pourquoi ?

Le phénomène massif de rachats d’actions par les entreprises américaines est à considérer avec une grande vigilance. Certaines sociétés affichent un niveau de dette brut important. Il était coutume de relativiser cette variable fondamentale par le cash généré en parallèle. Le problème est que lorsque ce cash est utilisé pour réaliser des rachats d’actions, ce surplus de trésorerie vient alimenter la dette brute. Les entreprises concernées se retrouvent avec un effet de levier de plus en plus significatif.
Cette nouvelle configuration peut paraitre inquiétante pour de multiples raisons : la liquidité sur le marché de la dette s’est raréfiée, la qualité des émissions s’est dégradée- la proportion de titres notés BBB dans le segment Investment grade est à son plus haut historique. Les obligations émises sans ou avec peu de clauses protectrices sont de moins en plus nombreuses. Cela est typique d’un univers d’investissement qui est en surchauffe.

Une telle configuration m’amène à penser que le marché du crédit américain est une bombe à retardement. Ce n’est pas forcément ce qui va exploser en plein vol. Cependant lorsqu’un problème apparaitra, il pourra avoir un effet amplificateur considérable.

A quelle allocation actuelle ces différents points marquants vous ont-ils conduit ?

La persistance de la croissance associée à une certaine visibilité dans les résultats des entreprises nous pousse à rester positionnés sur les actifs risqués.
Cependant, nous avons des aléas politiques qui sont difficiles à pricer avec exactitude. De ce fait, nous faisons preuve de prudence.

Nous sommes légèrement surpondérés actions, avec une dominante sur les valeurs cycliques.

Nous mettons davantage l’accent sur l’Europe que sur les Etats-Unis pour des raisons de calendrier. L’issue des élections de mi-mandat peut renforcer les doutes du marché et entrainer un surcroit de volatilité momentané. Nous avons conservé des positions sur l’Italie. Il y une possibilité que les actions italiennes, notamment les valeurs bancaires, sortent par le haut.

Nous affichons une réticence à l’égard des actions britanniques en raison du dossier du Brexit qui est loin d’être réglé.



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