PARIS (Reuters) - La filière nucléaire française aura besoin d'un "plan Marshall" pour mener à bien de nouveaux projets, a prévenu mercredi l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui appelle également la France à réexaminer la fermeture programmée de 12 réacteurs et alerte sur une gestion de plus en plus fragile des combustibles usés du parc d'EDF.

Après l'annonce par Emmanuel Macron en novembre de la relance de la construction de réacteurs en France, un projet sur lequel le chef de l'Etat n'a fourni aucune précision, l'ASN a souligné mercredi que la filière, pour faire face aux nouveaux projets, aux opérations de démantèlement et aux travaux sur le parc actuel, devrait recruter près de 4.000 ingénieurs par an dans les années à venir.

"Si le nucléaire fait partie des choix pour assurer un mix énergétique décarboné et robuste à l'horizon 2050, la filière devra mettre en place un véritable plan Marshall pour rendre industriellement soutenable cette perspective et disposer des compétences lui permettant de faire face à l'ampleur des projets et à leur durée", a prévenu le président de l'ASN, Bernard Doroszczuk, lors d'une présentation de ses voeux à la presse.

Tout en jugeant que la sûreté des installations nucléaires en France s'est maintenue à un niveau "satisfaisant" en 2021, l'ASN a également rappelé mercredi que le système électrique du pays ne disposait plus de marges en matière de production, en particulier dans le contexte de l'arrêt de cinq réacteurs pour un problème "sérieux" de corrosion sur des circuits de sécurité.

Bernard Doroszczuk a ainsi une nouvelle fois appelé les pouvoirs publics à faire preuve d'anticipation en estimant que, dans les cinq ans à venir, le choix affiché d'arrêt définitif de 12 réacteurs supplémentaires d'ici 2035 devrait être "dûment pesé" au regard de perspectives "réalistes" de mise en service de nouveaux moyens de production à la même échéance.

"REMETTRE SUR LA TABLE" LES FERMETURES DE RÉACTEURS

"Il faut que le maintien des marges soit dans l'esprit des décideurs et, à cet égard, il faut remettre sur la table cette décision (...) pour s'assurer qu'elle ne sera pas contraire aux besoins exprimés de capacités de production au regard de l'électrification des usages", a dit Bernard Doroszczuk.

"Faut-il les fermer ? En aura-t-on besoin ? (Et) en même temps (...) y a-t-il des raisons de sûreté pour les fermer ? C'est ça que nous voulons anticiper."

EDF devra par ailleurs s'interroger et justifier sa capacité à prolonger au-delà de 50 ans l'exploitation de ses réacteurs les plus anciens, a aussi souligné l'ASN.

Une série d'événements fragilise en outre aujourd'hui l'ensemble de la chaîne du cycle du combustible en France, avec en premier lieu le retard dans le lancement par EDF de la construction d'une piscine d'entreposage centralisé pour faire face à la saturation prévisible des équipements de La Hague à l'horizon 2030.

Outre ce retard, l'ASN a pointé une aggravation des difficultés de fonctionnement de l'usine de recyclage Orano Melox, à Marcoule (Gard), qui induisent "une saturation dès 2022 des capacités d'entreposage des matières plutonifères".

Ces problèmes, combinés à une corrosion plus rapide que prévue de certains équipements de La Hague, risquent par ricochet de "fragiliser le fonctionnement des centrales nucléaires dans la mesure où elles ne pourraient plus évacuer leurs combustibles".

(Reportage Benjamin Mallet, édité par Jean-Stéphane Brosse)