Pour rappel le terme “metaverse” est une contraction des mots “méta” (qui fait référence à une vision d’ensemble) et “vers” pour “univers”. Le mot désigne des espaces numériques bien plus poussés que la réalité virtuelle (VR) ou la réalité augmentée. Il s’agit d’étendre notre réalité dans des espaces virtuels partagés, qui sont modélisés dans un environnement 3D. L'idée de base du metaverse n'est pas compliquée. En termes simples, le métaverse comprend toute expérience numérique sur Internet qui est persistante, immersive, tridimensionnelle et virtuelle. Si le rebranding de Facebook en Meta nous vient automatiquement sur le bout de nos lèvres lorsqu’on parle de ce nouvel univers, les sociétés chinoises et gouvernements locaux du pays s’activent pour contre-attaquer l’offensive américaine. 

Les gouvernements locaux chinois entrent dans le metaverse

Les autorités municipales des villes de Wuhan et de Hefei se sont toutes deux engagées à stimuler la dynamique du metaverse au cours des prochaines années. Pour Wuhan, la volonté est d'intégrer le metaverse, le big data, le cloud computing et la blockchain à "l'économie réelle”, alors que de son côté Hefei a déclaré qu’elle favoriserait les entreprises des “domaines de pointe” dont le metaverse. Comme nous allons le voir plus bas, un certain nombre de sociétés de la tech en Chine souhaitent se lancer dans cet univers alors que dans un même temps, les organes de presse d’Etat soufflent sur le feu pour calmer la spéculation liée de près ou de loin au metaverse. 

“Tout le monde doit rester rationnel pour comprendre la manie actuelle du metaverse”, Le Quotidien du Peuple, le porte-parole du Parti communiste. D’autres journaux, dont l’Economic Daily, géré par l’Etat, ont mis en garde contre les transactions spéculatives du secteur. L’incitation est d’éviter d’investir à la hâte dans le concept “immature” comme le métaverse.

Malgré ces mises en garde, d’autres villes développent elles aussi des initiatives metaverse. Probablement pour attirer de nouvelles sociétés du domaine. Zhangjiajie, dans la province de Hunan, a lancé un centre de recherche basé sur le metaverse afin d’aider la ville à développer son industrie touristique. Shanghai a déclaré que, dans les cinq prochaines années, elle renforcerait la R&D des technologies sous-jacentes au metaverse, notamment pour des applications commerciales et industrielles. Enfin c’est la ville de Hangzhou qui abrite le siège social du géant du e-commerce Alibaba qui aurait mis en place un “comité metaverse” qui serait composé de représentants d’entreprises et d’universitaires. 

Si les villes chinoises se lancent dans ce nouveau monde virtuel, vous vous en doutez bien, les sociétés elles aussi ne comptent pas rester à la traîne. 

Tour d’horizon des sociétés chinoises à la sauce Metaverse

Tencent, l’ogre asiatique

Commençons par le géant de l'industrie du jeu et du divertissement Tencent. Evidemment la société chinoise ne peut pas se permettre de laisser ses concurrents américains prendre une longueur d’avance sur une potentielle technologie révolutionnaire. Il faut noter que la société à tout de même un pied sur le continent américain en possédant 40% du studio de développement de jeux vidéo : Epic Games et elle a également signé un partenariat stratégique avec Roblox, une plateforme qui permet aux utilisateurs de créer des mondes virtuels. Le PDG de Tencent, Ma Huateng, a déclaré auprès de nombreux analystes lors d’une conférence que : 

Le méta-univers est une chose passionnante, mais c'est aussi une chose conceptuelle. Nous sommes à un stade relativement élevé pour regarder le metaverse, qui consiste à rendre le monde virtuel plus réel et le monde réel plus riche. Tencent a plusieurs modules techniques, y compris la base de l'interaction et des médias sociaux, l'IA et la capacité de créer une plateforme de jeu communautaire, peuvent créer un metaverse comme des blocs de construction”.

Tencent détient également la super application de réseautage social WeChat qui permet de discuter, faire du shopping, commander de la nourriture, ou encore réserver un taxi. Une application indispensable au milliard de chinois. Si Tencent prépare en coulisse une entrée fracassante dans le metaverse, elle pourra, grâce à son empire commercial tentaculaire, faire partie des acteurs favorisant l’adoption de masse de ce nouvel univers. Dans ce sens, Tencent a déposé en septembre dernier une demande d’enregistrement pour une centaine de marques liées au metaverse, dont “QQ metaverse”, “QQ Music metaverse” ou encore “Kings metaverse”. 

Baidu, le Google chinois

Le groupe chinois a présenté le mois dernier un univers parallèle intitulé Xi Rang ("Terre d’espoir" en français). Comme l’ambitionne les différents metaverses, la plateforme proposée par le patron du groupe, Robin Li, permettra à ses utilisateurs d'interagir avec d’autres individus évoluant dans cette Terre d’espoir. Jouer, se divertir, apprendre, faire du shopping, afficher des publicités, assister à des conférences sont autant d’activités qui seront, d’après la société, possibles dans le metaverse.

Le chantier reste encore immense pour proposer aux utilisateurs une expérience metaverse de qualité. Une navigation fluide, intuitive et ergonomique devra être mise en place pour qu’une adoption massive éclate. Mais il faudra prendre son mal en patience avant de voir une plateforme opérationnelle, puisque Baidu estime qu’il lui faudra au moins six années avant de pouvoir proposer une solution optimale. Le monde virtuel est disponible sur plusieurs supports : casque AR/VR, ordinateur, smartphone, ce qui aidera à toucher une large base d’utilisateurs. Pour l’instant la société n’a pas communiqué sur le modèle économique qui sera appliqué pour le metaverse. Affaire à suivre dans les prochains mois. 

ByteDance se paye Pico

A la fin de l’été 2021, la société chinoise a acquis le fabricant de logiciels et de matériels VR Pico. Celle-ci a été fondée en 2015 par Zhou Hongwei, qui était auparavant vice-président de Goertek (la fonderie exclusive d’Oculus de Meta). Autrement dit, Monsieur Hongwei a de la bouteille, ou devrais-je dire, du casque. Pico détient plus de 300 brevets couvrant les domaines technologiques de base de la réalité virtuelle comme l’imagerie, l’optique, l’acoustique, la conception matérielle et le positionnement spatial entre autres. 

Le modèle Goblin 2 de Pico
Source : Pico

ByteDance, qui détient l’application en vogue TikTok, compte bien absorber ces technologies dans l’espoir de pouvoir offrir un jour des ressources basées sur la réalité augmentée à sa base d’utilisateurs. Mais ce n’est pas tout. ByteDance a investi 100 millions de yuans dans Qiankun, un développeur de jeux mobiles au concept Metaverse. Une sorte de Roblox à la sauce chinoise. ByteDance semble rentrer dans la samba Metaverse. 

La triplette d’Alibaba

Le géant du e-commerce chinoise a récemment enregistré une nouvelle société nommée Yuanjing Shengsheng à Pékin afin d’explorer les possibilités du "gaming-metaverse''. De plus, la société a déposé la version chinoise des marques “Ali Metaverse”, “Taobao Metaverse” et “DingDing Metaverse”. Avec ces différentes initiatives, Jack Ma a probablement plusieurs idées en tête pour venir concurrencer les Big tech américaines et leurs projets metaverse.

NetEase : une île dédiée au metaverse

La société chinoise fait partie des leaders du développement et de l’édition de jeux vidéo. Inévitablement, NetEase se doit de faire partie de la tendance metaverse, et pour ce faire, elle ne lésine pas sur les moyens. Elle a signé un accord de coopération stratégique avec le gouvernement municipal de Sanya le mois dernier. Cet accord prévoit d’installer le siège social de la société à Hainan et de construire un projet de base industrielle basé sur le metaverse dans la capitale de la province de l'île du sud de Sanya. 

Dans le cadre de l’accord, NetEase a noté qu’elle disposait de “réserves complètes dans la technologie, les talents et la réglementation liés au métaverse.” Par exemple, NetEase possède des capacités techniques de pointe dans des domaines tels que la réalité virtuelle/réalité augmentée, l'intelligence artificielle, la robotique, les jeux cloud et la blockchain. Le géant de la technologie a également mis en œuvre des produits conceptuels métavers tels que le système immersif «Yaotai», un hôte virtuel IA et «planet blockchain», une plateforme de partage de valeur basée sur la blockchain. Si un China-verse émerge, la société fera très probablement partie des acteurs phares du domaine. 

Un Chinaverse contradictoire

Alors que l’Etat chinois n’a pas tardé à verser un peu d’eau froide sur les initiatives metaverse en mettant en garde contre le “caractère indésirable” et de la “spéculation à chaud” sur ce nouvel univers, les sociétés du pays se lancent à corps perdu dans ce monde virtuel :

Nombre de marques déposées en Chine liées au metaverse
Source : Quartz.com

Le seul hic pour ces entreprises est que le gouvernement chinois ne partage peut-être pas l'enthousiasme de Zuckerberg quant à la perspective d'un univers immersif et en temps réel de mondes virtuels. 

Ces derniers mois, le gouvernement de Xi Jinping a pris une série de mesures pour tenter de réduire le rôle des médias sociaux et d’internet dans la vie des citoyens chinois. Le régulateur national des jeux vidéo a récemment resserré ses règles déjà strictes, exigeant que toute personne de moins de 18 ans ne soit autorisée à jouer à des jeux en ligne qu'une heure par nuit entre vendredi et dimanche. Nous pouvons entrevoir une sorte de contradiction entre les initiatives privées et la volonté du gouvernement. D’un côté des sociétés qui développent des solutions 100% numériques dans un monde virtuel immersif, et de l’autre, un gouvernement qui souhaite limiter l’exposition des individus aux contenus numériques. 

Dans un même temps, la Chine est l’un des pays les plus avancés sur le développement des monnaies numériques de banques centrales (MNBC). A titre d’exemple, au 30 juin 2021, près de 70 millions de wallets avaient été ouverts avec lesquels plus de 70 millions de transactions ont été effectuées pour une valeur de 35 milliards de yuans (environ 5,3 milliards de dollars). Quatre mois plus tard, le nombre de wallets numériques a doublé et la valeur des transactions frôle les 10 milliards de dollars. Il est donc désormais possible pour les chinois de pouvoir transformer leurs yuan papier en e-yuan. Un développement bien plus important qu’aux Etats-Unis, qui eux, se posent encore la question de la réelle nécessité et utilité de la mise en place d’une MNBC. 

En définitive, les sociétés chinoises n’ont pas de quoi rougir face aux initiatives metaverse américaines. Tencent, Baidu, NetEase, ByteDance, Alibaba entre autres, ont toutes les compétences, les technologies et, force est de constater, l’ambition pour développer des solutions metaverse. Le grand point d’interrogation provient de l’Etat chinois qui, lui, semble prendre des pincettes, et voir même mettre des battons dans les roues de ces sociétés pour se jeter corps et âmes dans ce monde numérique. Même si les gouvernements locaux, comme nous l’avons vu, semblent eux aussi sur la même longueur d’onde que les sociétés privées, nous ne sommes pas à l’abri d’un coup de massue de l’Etat dans la fourmilière metaverse chinoise. Ce qui permettrait aux sociétés américaines d’avoir le champ libre. Le malheur des uns fait le bonheur des  autres… 

Comptez sur moi pour réaliser des focus réguliers sur les sociétés chinoises, américaines et nos pépites européennes concernant les avancées sur le metaverse. Qui sait, peut-être que dans un avenir proche je vous proposerai des articles interactifs dans le metaverse Zonebourse. Une sorte de collaboration immersive.