par Stephen Kalin

BAGDAD, 19 juin (Reuters) - Les autorités irakiennes sont débordées par l'afflux de civils fuyant Falloudja, où l'armée régulière et les milices chiites combattent les djihadistes de l'Etat islamique.

Le Premier ministre Haïdar al Abadi a proclamé vendredi la victoire des troupes irakiennes, qui ont atteint le centre-ville et hissé le drapeau national sur la mairie après quatre semaines d'assaut appuyé par des frappes aériennes américaines.

Mais des explosions, attentats suicides et pilonnages au mortier continuent de rythmer le quotidien des habitants et les quartiers nord étaient toujours le théâtre d'affrontements dimanche.

Depuis le début de l'offensive gouvernementale, plus de 82.000 civils ont évacué Falloudja, qui est située à une heure de route à l'ouest de Bagdad, et jusqu'à 25.000 autres devraient suivre, selon les estimations des Nations unies.

Les camps sont déjà saturés d'habitants épuisés qui ont parcouru des kilomètres en évitant les balles des snipers de l'Etat islamique et les mines posées par le groupe djihadiste, par une chaleur éprouvante, pour s'apercevoir qu'il n'y a pas une seule zone d'ombre.

"Ils n'ont rien et ont besoin de tout", résume Lise Grande, coordinatrice des affaires humanitaires de l'Onu pour l'Irak.

L'exode a pris de court le gouvernement et les agences humanitaires.

Haïdar al Abadi a ordonné samedi des mesures d'urgence pour venir en aide à ces déplacés et la mise en place de dix nouveaux camps, mais les autorités ne parviennent même pas à estimer leur nombre car beaucoup d'entre eux ne sont pas dans les camps ou s'entassent à plusieurs familles sous la même tente.

Un site abritant quelque 1.800 personnes ne dispose que d'un seul lieu d'aisance, souligne le Norwegian Refugee Council.

"Nous implorons le gouvernement irakien de faire face à ce désastre humanitaire qui se déroule sous nos yeux", déclare le directeur pour l'Irak de cette ONG, Nasr Mouflahi.

"ON VEUT NOS HOMMES"

En manque d'argent, le gouvernement Abadi peine à répondre aux besoins de première nécessité des quelque 3,4 millions d'Irakiens déplacés par la guerre. Il s'en remet aux bailleurs de fonds internationaux et s'appuie localement sur des réseaux religieux pour fournir une aide.

Mais contrairement à d'autres batailles, où de nombreux civils ont pu trouver refuge dans les villes voisines ou dans la capitale, les habitants de Falloudja n'ont pas accès à Bagdad, à 60 km de là, et les responsables chargés de l'aide observent un manque de mobilisation de leurs compatriotes.

Beaucoup d'Irakiens considèrent Falloudja comme un bastion irréductible de l'activisme sunnite et voient derrière chaque habitant n'ayant pas fui avant l'offensive de l'armée un sympathisant de l'Etat islamique.

Bastion de l'insurrection sunnite après l'invasion du pays par les Américains en 2003, Falloudja est soupçonnée de servir de base logistique aux kamikazes qui sèment la terreur à Bagdad.

Les forces gouvernementales interrogent les hommes fuyant la ville pour s'assurer qu'ils ne sont pas des djihadistes se faisant passer pour des civils.

Des milliers d'entre eux ont été relâchés, beaucoup d'autres ont été renvoyés devant des tribunaux mais un grand nombre sont toujours portés disparus, selon des sources proches des services de sécurité.

Dans un camp situé à Amiriyat Falloudja, Fatima Khalifa disait jeudi n'avoir aucune nouvelle de son mari ni de leur fils de 19 ans depuis deux semaines, ajoutant: "On ne veut pas de riz ou d'huile. On veut juste nos hommes." (Jean-Stéphane Brosse pour le service français)