PARIS, 21 novembre (Reuters) - Plusieurs manifestations sont prévues ce samedi en France contre la proposition de loi dite de "sécurité globale" dont un de ses articles concentre de très vives critiques de la part des rédactions françaises qui y voient un risque d'entrave à la liberté d'informer.

Cet article 24 interdit de filmer des membres des forces de l'ordre dans l'intention de nuire à leur intégrité "physique ou psychique".

A Paris, un rassemblement est prévu à 14h30 sur la place du Trocadéro à l'appel de syndicats de journalistes, de sociétés de rédacteurs et d'associations la Ligue des droits de l'homme et Amnesty France. D'autres manifestations sont également prévues à Marseille, Lille, ou bien encore Montpellier, Rennes et Saint-Étienne. Le Syndicat national des journalistes (SNJ) en a recensé une vingtaine.

Une première manifestation, mardi soir aux abords de l'Assemblée nationale, a donné lieu à des affrontements avec les forces de l'ordre et deux journalistes ont été interpellés et placés en garde à vue.

La proposition de loi, présentée par des députés La République en marche dont Christophe Castaner et Yaël Braun-Pivet, la présidente de la commission des lois de l'Assemblée, a été adoptée vendredi en première lecture par les députés.

Son article 24 prévoit de punir d'un an de prison et 45.000 euros d'amende la diffusion "de l’image du visage ou tout autre élément d’identification" d'un policier ou d'un gendarme "dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique".

Un amendement déposé par le gouvernement et adopté par les députés a modifié cet article controversé en introduisant en préalable à sa formulation l'expression "Sans préjudice du droit d’informer".

Le Premier ministre, Jean Castex, avait annoncé jeudi soir l'introduction de cet amendement gouvernemental afin "de préserver l’équilibre du texte et de lever toute ambiguïté sur son intention de garantir le respect des libertés publiques, notamment la liberté de la presse et la liberté d’expression, tout en protégeant mieux celles et ceux, policiers et gendarmes, qui assurent la protection de la population".

RISQUE D'ENTRAVE

Lors des débats, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a assuré vendredi soir que cet article 24 "ne contrevient en aucun cas à la liberté de la presse et à la liberté d'informer".

"Un journaliste ou un citoyen qui filme une opération de police pourra bien sûr continuer de le faire. En revanche, ceux qui accompagnent leurs images d’un appel à la violence, en diffusant les noms et les adresses de nos policiers, ne pourront plus le faire", a-t-il dit.

L'argument n'a pas apaisé les craintes.

"Maintenir cet article 24 est une entreprise de dissuasion massive d'exercer ces libertés fondamentales pour chaque citoyen car il permet de procéder à des interpellations et des gardes à vue préalable sans fondement", a dénoncé le député Ugo Bernalicis, spécialiste des questions de sécurité à La France insoumise.

Une quarantaine de rédactions françaises reprochent pareillement au ministre de l'Intérieur de vouloir porter atteinte à la liberté de la presse par le biais de cette proposition de loi mais aussi via le nouveau Schéma national du maintien de l’ordre présenté en septembre.

"La volonté exprimée d’assurer la protection des journalistes revient à encadrer et contrôler leur travail. Ce dispositif s’inscrit dans un contexte particulièrement inquiétant avec la proposition de loi sur la sécurité globale qui prévoit la restriction de la diffusion des images de policiers et de gendarmes", déplorent les signataires (1) de la tribune publiée vendredi.

"Les journalistes n’ont pas à se rapprocher de la préfecture de police pour couvrir une manifestation. Il n’y a pas d’accréditation à avoir pour exercer librement notre métier sur la voie publique. Nous refuserons, pour cette raison, d’accréditer nos journalistes pour couvrir les manifestations", ajoutent-ils.

L'organisation Reporters sans Frontières (RSF) juge pour sa part que "si le risque de condamnation de journalistes sur le fondement de ce texte (de loi) est faible, les policiers pourraient procéder, sur le terrain, à l’arrestation d’un journaliste en train de filmer leurs opérations, ce qui représente une entrave au droit d’informer".

(1) Les signataires sont l'Agence France Presse, BFM TV, Le Canard Enchaîné, Charlie Hebdo, C News, Courrier International, Europe 1, les rédactions de France Télévisions, le HuffPost, La Croix, La Croix hebdo, La Vie, LCI, Le JDD, Les Echos, L'Express, Le Figaro, Le Figaro Magazine, Le Pèlerin, Le Point, Le Monde, Le Parisien/Aujourd'hui en France, Libération, L'Obs, M6, Marianne, Mediapart, Paris Match, Politis, Télérama, les rédactions des antennes de Radio France, RMC, RTL, Slate, TF1 et 20 Minutes. (Jean-Philippe Lefief, Bertrand Boucey et Henri-Pierre André)