Near a pour objectif, comme pour beaucoup d’autres blockchains, d’atteindre et d’offrir les trois grandes fonctions qui proposent des conditions d’utilisation optimales pour les applications décentralisées (Dapps) : scalabilité, sécurité et décentralisation (retrouvez mon article qui explore ces trois fonctions : le trilemme des blockchains et les dépenses opérationnelles).

Au même titre qu’Ethereum, Near est un logiciel libre d’accès (open source) qui utilise des contrats intelligents pour faire fonctionner l’ensemble des opérations sur sa blockchain. En revanche, elle a déjà adopté le mécanisme de consensus de preuve d’enjeu (Proof-of-Stake) pour valider et sécuriser les transactions. Un modèle bien moins énergivore et plus évolutif que la preuve de travail (Proof-of-Work) qu’a d’ailleurs adopté Ethereum dès 2015, même si elle devrait, elle aussi, migrer de la preuve de travail à la preuve d’enjeu le 19 septembre 2022. Un événement, appelé “The Merge”, qui est très attendu par les crypto-investisseurs.

Mais alors concrètement, quelle plus-value Near propose-t-elle aux utilisateurs ? 

Near adopte la technologie du NightShade

Cette technologie a pour but d’augmenter la scalabilité de la blockchain et donc d’augmenter le débit des transactions tout en garantissant des coûts limités pour les développeurs et les utilisateurs finaux des Dapps. Autrement dit, elle représente le Graal 3.0. Concrètement, cette solution de mise à l’échelle voit des ensembles de validateurs traiter des transactions en parallèle sur plusieurs chaînes fragmentées afin d’améliorer la capacité de charge globale des transactions sur la blockchain.

Objectivement, au lieu d'exécuter une blockchain bloc après bloc en une seule ligne, comme nous le connaissons avec Bitcoin, Near va exécuter en même temps plusieurs chaînes (fragments) qui auront leur propre ensemble de validateurs. Si les validateurs (nœuds) opérant sur le réseau peuvent diviser les opérations, imaginons en 4, alors Near pourra traiter quatre fois plus de transactions. Le débit à travers le système augmentera d'un facteur de 4 × 4 = 16

Infographie : sharding de la blockchain principale en quatre
Source : Medium

Jusqu’ici, nous comprenons que Near a divisé sa blockchain en plusieurs shards (fragments de chaîne) qui possèdent leur propre ensemble de validateurs. Cependant, si nous nous arrêtons ici, cette division de la blockchain principale est inutile si les quatre chaînes ne peuvent pas communiquer entre elles. Cela ne vaudrait pas mieux que quatre blockchains indépendantes. 

Prenons un exemple :Si l'on souhaite transférer de l'argent d'un compte à un autre au sein du même shard (fragment de chaine), la transaction peut être entièrement traitée par les validateurs de ce shard. Si, cependant, Tommy qui réside sur le shard #1 veut envoyer de l'argent à Etienne qui réside sur le shard #2, ni les validateurs sur le shard #1 (ils ne pourront pas créditer le compte de Etienne) ni les validateurs sur le shard #2 (ils ne pourront pas débiter le compte de Tommy) peuvent traiter l'intégralité de la transaction. 

Mais dans le cas de Near, contrairement à des blockchains indépendantes qui ont chacune des propriétés uniques ainsi que des normes algorithmiques et d’interopérabilité différentes, les développeurs ont construit chaque shard (fragment) de manière à ce qu’ils puissent communiquer entre eux.

Communication inter-chaînes (inter-shard)
Near.Explorer

Ici, la structure de bloc et le consensus sont les mêmes entre les fragments, et il existe une chaîne de balises qui peut être utilisée afin d’assurer la coordination entre les shards. Si cette fragmentation permet d’améliorer la capacité de Near à traiter des transactions, elle soulève certains défis. Notamment celui de la sécurité. 

Une sécurité vulnérable ? 

Commençons par un exemple pour planter le décor.

Disons qu’un système comprend 10 shards (10 fragments de chaîne). Le défi technique à relever est que chaque fragment est désormais 10 fois moins sécurisé que l'ensemble de la chaîne. Ainsi, si une chaîne non fragmentée (blockchain linéaire comme Bitcoin) avec X validateurs décide de se transformer en une chaîne fragmentée (comme Near) et divise X validateurs sur 10 fragments, chaque fragment n'a plus que X/10 validateurs. Ainsi, corrompre un fragment ne nécessite de corrompre que 5,1 % (51 % / 10) du nombre total de valideurs.

Hackers sur Near
Near.org

Continuons notre exemple pour bien comprendre :

Imaginons que le fragment #1 (Shard #1 dans le graphique ci-dessous) est corrompu et un acteur malveillant (détenant 5,1% de la chaîne) produit un bloc B invalide (comme dans le graphique ci-dessous). Supposons que dans ce bloc B, 1000 jetons aient été créés à partir de rien pour le compte d'Etienne. L'acteur malveillant produit alors un bloc C valide (dans le sens où les transactions dans C sont appliquées correctement) au-dessus de B, masquant le bloc B invalide, et initie une transaction entre fragments vers le fragment #2 qui transfère les 1 000 jetons à Tommy. À partir de ce moment, les jetons créés de manière incorrecte résident sur une blockchain par ailleurs complètement valide dans le fragment #2 (Shard #2 dans le graphique ci-dessous).

Corruption du bloc B du Shard #1 
Near.org

Pour lutter contre ce risque de corruption d’un bloc sur un fragment, Near a adopté deux solutions :

  1. Pour relever le défi de la corruption, Near propose un positionnement aléatoire de chaque validateur sur chaque fragment afin que plusieurs validateurs aux intentions obscures ne puissent pas se regrouper sur un fragment de manière intentionnelle. 

  2. De plus, la technologie NightShade modélise le système comme une chaîne de blocs unique, dans laquelle chaque bloc contient logiquement toutes les transactions pour tous les fragments. Cependant, aucun validateur ne télécharge l'état complet du bloc, afin de réduire la charge de stockage. Au lieu de cela, chaque participant du réseau ne maintient que l'état du bloc qui correspond aux fragments pour lesquels il valide les transactions, et la liste de toutes les transactions du bloc est divisée en morceaux - un morceau par fragment. 

Dans des conditions idéales, chaque bloc contient exactement un morceau de chaque shard (fragment). La communication entre les blocs et les fragments est ainsi optimale et le risque de corruption est évincé. Cela permet, en théorie, d’améliorer drastiquement la scalabilité de Near tout en assurant sa sécurité et sa décentralisation. Autrement dit, atteindre ce fameux Graal 3.0. 

N.B : Notons qu’en optant pour ces deux solutions, les développeurs mentionnent qu’il devient “très improbable que des participants puissent contrôler un fragment” afin de compromettre le système (en détenant 5,1% de la chaîne). Notons, et ayons conscience, ici, du critère “très improbable” et non pas “impossible” mentionné par les équipes de Near concernant une corruption d’un bloc au sein du système. Pour l’instant, la blockchain s’est révélée être inviolable mais devra faire ses preuves si elle attire les foules. En attendant, Near se veut être un allié de taille à Ethereum au vu de son hyperconnectivité avec celle-ci.

Vers une hyperconnectivité avec Ethereum 2.0

Rainbow Bridge

Ce pont (bridge) permet à Near et à Ethereum de faire interagir leurs smart contracts entre eux. C’est-à-dire de permettre l’interopérabilité entre les deux protocoles. Concrètement, il permet aux utilisateurs de transférer des jetons ERC-20 (un standard algorithmique pour les cryptomonnaies), des stablecoins et même des NFT entre les blockchains Ethereum et Near. Cela permet aux développeurs et aux utilisateurs de profiter du débit plus élevé et des frais minimes du protocole Near. Pour l’instant, au vu de son utilisation, la blockchain Near a démontré qu’elle était capable de gérer plus de 8 transactions par seconde, mais devrait, théoriquement, selon les équipes être capable de gérer 100 000 transactions par seconde. 

Connectivité entre Near et Ethereum
https://near.org/bridge/

Avec l’adoption actuelle, globalement, et dans la plupart des cas, les transactions sur NEAR seront confirmées en 1 à 2 secondes et coûteront moins de 1 $. Cependant, si l'utilisateur souhaite déplacer le jeton vers Ethereum, la procédure peut coûter plus cher et prendre plus de temps à traiter. La valeur finale dépendra du trafic sur Ethereum.

N.B : Attention aux ponts (bridges), comme Rainbow Bridge, ils sont la cible de nombreux hacks cette année. Mon article traite sur ce sujet : les ponts inter-chaînes représentent 69% des hacks.

Aurora, la seconde couche (Layer-2) d’infrastructure de Near

Cette solution vise à aider les développeurs à déployer leurs applications sur une plate-forme compatible à Ethereum et qui offre de faibles coûts de transaction pour leurs utilisateurs. Selon Near, Aurora est capable d'héberger des milliers de transactions par seconde, avec seulement, environ 2 secondes de temps de confirmation de bloc.

Concrètement, Aurora Engine est une machine virtuelle Ethereum (EVM) sur le protocole Near, ce qui signifie qu'elle est compatible avec Ethereum et prend en charge tous les outils disponibles dans l'écosystème Ethereum. Cela permet aux développeurs de démarrer plus facilement sur Near sans avoir à réécrire leurs DApps ou à apprendre à travailler avec de nouveaux outils de développement propres à Near. Par analogie, c’est un peu comme si vous pouviez faire un Control + C sur le code d’une application Ethereum et faire Control + V sur Near. Les utilisateurs peuvent également utiliser le pont Aurora (la même technologie que le Rainbow Bridge) pour relier de manière transparente leurs contrats intelligents et les jetons ERC-20 entre les blockchains Ethereum et Near Protocol. Si les utilisateurs le souhaitent, ils peuvent également payer des frais de transaction avec ETH sur Aurora.

Protocol Aurora
Jamesbachini.com

A présent jetons un œil aux statistiques du réseau.

Near, une blockchain qui fait doucement sa place

Comme nous pouvons le voir sur le graphique ci-dessous, le nombre de transactions sur la blockchain Near a fortement augmenté en 2022, signe que les utilisateurs et développeurs se sont tournés vers cette solution pour réaliser des opérations.

Nombre total de transactions sur Near
Source : Explorer.Near

Ici aussi, le nombre de nouveaux contrats intelligents (smart contracts) sur la blockchain Near a fortement augmenté en 2022. Un phénomène logique si on le compare au graphique précédent (nombre de total de transactions). Souvent, la hausse du nombre de transactions et du nombre de contrats intelligents est liée.

Nombre total de nouveaux contrats intelligents (smart contracts)
Explorer.Near

Intéressons-nous maintenant à la cryptomonnaie associée à la Blockchain Near, qui a d’ailleurs exactement le même nom. Les équipes ont décidé de créer 1 000 000 000 d’unités qui sont répartis de la manière suivante : 

 

Répartition des crypto-actifs Near
Coin98Insights

Lors de la levée de fonds (Initial Coin Offering) de Near, certains investisseurs de la première heure (Backers, Community Grants, Core Contributors, Early Ecosystem…) ont obtenu des cryptomonnaies Near à un prix relativement faible. Cependant, la condition était de conserver ces actifs pendant une longue période (entre 12 et 60 mois en fonction de la catégorie d’investisseur) afin qu’ils ne puissent pas vendre tous d’un seul coup tous les actifs lors de la vente publique et donc effectuer une cascade de vente sur le cours de la cryptomonnaie. Pour ces investisseurs, il fallait avoir une certaine confiance quant à la pérennité de Near puisque, pour certains, ils ont été verrouillés pendant plus de quatre ans (les actifs sont donc toujours verrouillés).

A titre d’exemple, les “Backers”, autrement dit les partenaires/investisseurs, ont eu une période de “blocage des actifs” comprise entre 12 et 36 mois. Dans cette catégorie, nous observons de grands noms comme : le fonds de capital-risque A16z, la branche d’investissement Coinbase Ventures, Baidu Ventures ou encore le hedge fund Pantera. 

 

Backers de Near
Coin98Insights

Pour en revenir au nombre d’actifs en circulation, initialement 1 000 000 000, ils devraient, comme le montre le graphique ci-dessous, augmenter au fur et à mesure que le déverrouillage des actifs des investisseurs de la première heure se réalise (entre 12 et 60 mois).

Nombre d'unités en circulation sur 60 mois (depuis le lancement en 2020)
Coin98Insight

A l’heure où j’écris ces lignes, il existe 755 millions d’actifs en circulation. Ce nombre devrait augmenter au rythme de 5% par an, ce qui correspond, en moyenne, au nombre de nouveaux actifs distribués aux validateurs sur le réseau afin de les récompenser pour sécuriser les blocs. A cette inflation annuelle de 5%, il faudra rajouter les fonds débloqués par les investisseurs de la première heure comme évoqué précédemment. Nous devrions donc voir un total de 1,25 milliards d’actifs en circulation 60 mois après son lancement, soit en 2025.
Pour finir, jetons un œil aux performances de la cryptomonnaie Near. 
 

NEAR/USD (Unité de temps hebdomadaire)
Source : Zonebourse

Near pèse, à l'heure actuelle, plus de 4 milliards de dollars et affiche une performance de +230% depuis son listing sur les principales plateformes d’échange, mais a chuté de 64% depuis le début de l’année dans le sillage du marché des crypto-monnaies qui a flanché dans son ensemble. A titre de comparaison, ETH a perdu 52% et le BTC 50% depuis le premier janvier. 

En définitive, au fur et à mesure que la cryptosphère se développe, les plateformes qui peuvent offrir des coûts de transaction inférieurs et un débit accru joueront probablement un rôle important dans l'adoption générale des applications décentralisées. Les solutions de mise à l'échelle de Near peuvent attirer les développeurs qui cherchent à créer des produits DeFi (finance décentralisée) plus efficaces et des applications décentralisées (DApps) qui sont compatibles avec Ethereum. Comme pour beaucoup de blockchains, son niveau de sécurité et sa résistance aux hacks seront les défis à relever dans les prochains mois pour qu’une potentielle adoption se réalise.

Pour l’instant, la structure et l’infrastructure technologique de Near permet d'apporter une certaine complémentarité avec Ethereum, une sorte de soutien qui permet de désengorger le réseau Ethereum. D’ailleurs, Ethereum reste toujours bien plus populaire avec plus de 3000 Dapps sur son réseau contre 750 pour Near. Pour l’instant, Near est relativement récent (moins de deux ans d’existence contre sept pour Ethereum) et devra prouver son efficacité sur le long terme afin d’attirer de plus en plus d’utilisateurs et de développeurs. 

Liste des Dapps sur Near
Coincodex