"Quel regard portez-vous sur l’évolution des marchés financiers ce premier semestre ?
Nous avions titré notre présentation de ce début d’année : « la fin d’un conte de fées». C’est précisément ce que que l’on a constaté ces six derniers mois.

Conformément à nos attentes, le scénario macroéconomique est resté raisonnablement constructif. La croissance globale a continué d’être soutenue même si de manière moins intense et moins synchronisée qu’en 2017.

La seule économie qui ait connu un rythme de croissance accéléré est l’économie américaine sous l’impulsion de la réforme fiscale votée à la fin de l’année dernière et sous l’effet d’un phénomène de dérégulation, essentiellement dans le secteur financier.

Un essoufflement a pu être ressenti en Europe principalement en raison de la remontée significative des prix du pétrole due à un choc du côté de l’offre provenant du Venezuela, de la Libye et d’une augmentation de la prime de risque géopolitique consécutive à la volonté affichée de Donald Trump de sortir de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran. En cela, l’Europe s’est montrée plus sensible au renchérissement de la facture pétrolière que les Etats-Unis devenus grand producteur d’or noir.

La plupart des pays émergents se sont inscrits dans une trajectoire de relative stabilité ou de ralentissement modéré. Seuls quelques pays fragilisés par un déficit des comptes courants ont affiché des difficultés prononcées en raison de la hausse effective des taux de la Fed, comme l’Afrique du Sud, la Turquie, l’Argentine, le Brésil. La vive dépréciation de la monnaie de ces pays les ont obligé à infléchir, voire à durcir leur politique monétaire pour garder l’inflation sous contrôle, ce qui a pour incidence d’impacter négativement la croissance économique.
Ces situations délicates ont cependant fait figure d’exceptions et sont assez peu présentes en Asie, qui reste de loin le premier moteur de la dynamique dans la sphère émergente.

Quelle vision avez-vous de la politique monétaire menée des deux côtés de l’Atlantique ?

Nous avons eu assez peu de surprises du côté de la politique monétaire des deux grandes banques centrales les plus influentes. La Fed a confirmé son intention de relever ses taux de 0,25% tous les trimestres, ce qui sous-entend un resserrement assez modéré si l’on tient compte de son historique mais un resserrement notable dans un environnement global de taux très bas.

La BCE a, selon nous, réussi en juin son opération de communication. En toute vraisemblance, celle-ci a indiqué vouloir mettre un terme à son assouplissement quantitatif à la fin de l’année. Pour éviter une appréciation vigoureuse de l’euro, elle s’est par ailleurs engagée à ne pas toucher à son taux directeur avant le troisième trimestre 2019. Les retombées de son annonce ont à court terme fait baissé l’euro sur le marché des changes. Mais la perspective d’avoir des taux négatifs encore au moins cinq trimestres a pesé sur les anticipations de progression des bénéfices des banques et a donc eu un impact plus mitigé sur le marché actions.

Quelle analyse faites-vous de la feuille de route livrée par la BCE ? Certains se sont étonnés de son degré de détails ?

La vigueur de l’euro aurait un impact sur l’évolution de l’inflation. La BCE a fait le choix de donner de la visibilité aux investisseurs pour éviter que la valeur de l’euro ne poursuive sa ré appréciation de 2017 et que cela n’affecte en contrecoup le niveau des anticipations d’inflation. Pour rappel, la parité euro dollar avait touché les 1,25 au premier trimestre 2018.
Le moment pouvait, par ailleurs, sembler propice à une telle déclaration dès lors qu’il coïncidait avec des forces de marché qui allaient dans le sens d’un dollar plus fort.

Ne pensez-vous pas qu’en se liant les mains, la BCE a mis sa crédibilité à risque ?

La BCE est assez confiante dans son scénario central dans lequel il ne devrait pas y avoir de pression sur l’inflation sous-jacente qui l’oblige à accélérer le processus de normalisation de sa politique monétaire. Nous partageons sa vision.
Il faudrait des surprises vraiment importantes sur l’inflation ou sur l’activité pour l’amener à changer d’avis, ce que nous ne pressentons pas.

Si l’environnement macroéconomique et la politique monétaire n’ont pas été empreints de grandes surprises, il n’en a pas vraiment été de même de la dimension politique...
A cet égard, il est intéressant de relever que la prise de conscience du marché par rapport aux événements survenus en Italie a, à notre sens, été très lente. Nous avions identifié dès le début de l’année les élections italiennes comme une zone de turbulences potentielles. Or, les résultats de ces élections ont d’abord été ignorés par les investisseurs pendant un certain temps. Ce n’est qu’après la formation de la coalition entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles, que le marché a été déstabilisé en particulier dans le compartiment des obligations gouvernementales italiennes.

Outre, cette histoire italienne, la montée de la prime de risque politique a été alimentée par l’accentuation de la menace de guerre commerciale.
Nous avions évoqué la menace de ces tensions protectionnistes au début d’année. Celle-ci s’est concrétisée avec plus d’acuité qu’attendu à travers une escalade des droits de douane qui a concerné tous les pays traditionnellement alliés des Etats-Unis, au-delà de la Chine et l’organisation de ripostes ciblées.

La hausse de cette prime de risque politique est donc le grain de sable qui est venue enrayer une mécanique s’appuyant sur une macroéconomie et une microéconomie relativement bonne. Peut-on aujourd’hui envisager de quelle manière cette prime de risque va évoluer au cours de la deuxième moitié de l’année ?
C’est la question clé aujourd’hui à côté de celle qui concerne l’évolution de l’inflation et des taux d’intérêt. Nous avons décidé d’appréhender cette question en étant contrariants sur notre positionnement dans nos portefeuilles.
Nous avons le sentiment que le bruit politique devrait rester intense jusqu’au moins la fin de l’année, notamment en raison des élections qui se profilent aux Etats-Unis, en Europe ou au Brésil où nous ne sommes pas à l’abri de voir la victoire d’un parti populiste de droite.
Les tensions commerciales devraient continuer à être palpables.


Comment intégrez-vous ces tensions dans votre scénario ?
Il est difficile de les intégrer, car il y a peu de comparables historiques. De plus, si l’idée de mieux défendre les intérêts américains notamment face à la Chine peut se comprendre, la stratégie poursuivie par Donald Trump peut interpeller car elle est dépourvue à certains égards de rationalité.

Nous sommes d’avis que l’administration de la Maison Blanche sera attentive à ne pas faire dérailler la croissance américaine et à ne pas ébranler le plan de soutien public à l’économie. De ce fait, nous ne tablons pas sur une guerre commerciale généralisée qui entrainerait un choc récessif aux Etats-Unis.

Plus que la toile de fond macroéconomique, les tensions commerciales palpables et les incertitudes qui en découlent perturbent la stratégie à long terme de grandes entreprises...
De nombreuses entreprises occidentales ont largement tiré avantage de la globalisation qui s’est accompagnée d’une baisse prononcée des tarifs douaniers et des coûts de transport et se sont efforcées d’optimiser leur cycle de production et d’échanges dans ce contexte. Des effets secondaires inattendus sont susceptibles de résulter de l’application des barrières douanières.

Typiquement, nous avons pu le constater avec Daimler qui a fait état en juin d’un profit warning du fait de la hausse des taxes de la Chine vers les Etats-Unis car Daimler exporte des voitures produites sur le territoire américain vers la Chine.
D’autres entreprises européennes ont alerté sur le fait qu’une partie de leur production était faite aux Etats-Unis et exportée vers l’Europe.

D’aucuns pensent que nous pourrions retrouver une relative accalmie sur les marchés après les élections de mi-mandat et renouer avec un rallye de fin d’année. Qu’en dites-vous ?
Assurément, Donald Trump souhaite aider le parti Républicain à gagner le maximum de sièges au Congrès lors des élections de mi-mandat. En conséquence, il peut y avoir des tentations de ce dernier de montrer des résultats à la population américaine avant le déroulement de ces élections.
Toutefois, l’horizon temporel de Donald Trump n’est pas l’automne 2018 mais l’automne 2020. Il y a fort à penser que maintenant qu’il a largement consolidé son emprise, Mr Trump va maintenir cette même tactique agressive qui tend à ériger sur le devant de la scène les intérêts américains jusqu’aux prochaines élections présidentielles.
En ce sens, supposer que la rhétorique entretenue jusque là va soudainement disparaitre fin 2018 est assez illusoire.

Il découle de cette anticipation que le régime de volatilité plus élevé devrait perdurer et que nous devrions continuer à avoir des marchés en tôle ondulée.

Finalement, en quoi consiste votre stratégie d’investissement pour les mois à venir ?
L’environnement ayant vocation à rester constructif tant du point de vue macroéconomique que microéconomique, il y a encore de la place pour les sélectionneurs de titres.
Notre idée est de continuer à se positionner de manière contrariante
, c’est-à-dire de racheter dans les creux en nous reconcentrant sur les fondamentaux, et de prendre des profits dans des phases de soulagement.

Deux horizons sont alors à distinguer…

Cette distinction se traduit par la conservation de nos convictions sur le long terme et par la gestion de notre degré d’exposition à court terme par le biais de couvertures plutôt que par l’achat et la vente de positions. Nous estimons que la volatilité implicite reste raisonnable face à la montée des incertitudes.
Fin 2017, nous pouvions être inquiets par le niveau de surinvestissement dans les actifs risqués. La correction qui a eu lieu ce premier semestre a permis un relatif assainissement. Il n’y a plus d’acheteurs effrénés de couvertures.

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