Né en 2014, le fonds Sextant PME a intégré notre sélection le mois dernier. Son très fort rebond ces derniers mois a donné un coup de fouet décisif à sa performance sur 5 ans, notre critère clé. La centaine de millions d’euros est co-gérée par une équipe de passionnés de stock-picking et de petites valeurs peu suivies par les analystes externes. L’ADN même d’« Amiral ». Entretien avec le chef d’orchestre du fonds, à compléter par notre bilan mensuel des meilleurs fonds small & midcaps.

Raphaël Moreau, tout d’abord, parlez-nous de vous et d’Amiral Gestion, société de gestion originale sur la place … 

"Passionné par l’investissement en Bourse depuis l’âge de 15 ans, c’est assez naturellement que j’ai rejoint dès la fin de mes études en 2008 l’équipe d’Amiral Gestion qui partage la même passion pour le stock picking. Aujourd’hui en charge des petites et moyennes valeurs européennes chez Amiral Gestion, je coordonne le fonds Sextant PME depuis sa naissance en 2014.

Chez Amiral Gestion, nous avons une façon particulière de gérer les fonds. Fuyant les consensus et aimant débattre, nous cogérons nos fonds en les divisant en sous-portefeuilles. Nous pensons que la liberté de décision laissée par ce fonctionnement optimise le processus de décision et limite les biais.

Par ailleurs, notre société de gestion, qui gère actuellement 3 milliards d’euros, repose sur une équipe de gestion étoffée de 25 personnes soit la moitié de notre effectif total de façon à internaliser au maximum la recherche. Toutes nos valeurs font l’objet d’un modèle d’évaluation et de prévisionnels maison. Ils sont réalisés dans un souci de partage entre membres de l’équipe et de mesure précise de l’allocation du capital dans le temps.

Nous nous basons également sur une check-list de 28 critères qualitatifs qui viennent compléter l’aspect valorisation qui n’est pas suffisant comme a pu nous montrer la période post-crise 2008. Ces éléments nous permettent de juger des fondamentaux de l’entreprise, avec une importance toute particulière donnée au management. Dans le monde des small caps, il s’agit le plus souvent de confier ses capitaux à des entrepreneurs bien différents des dirigeants institutionnels des grandes capitalisations".

Une gestion en sous-portefeuilles pour optimiser le processus de décision

Raphaël Moreau, le fonds Sextant PME fait enfin son entrée dans les hauts de classement avec une magnifique fin d’année 2020. L’année de la révélation de vos pépites ou tout simplement le retour de la value ?  

"Si on reprend l’historique du fonds, la période 2014-2017 a été marquée par de très bonnes performances et sur la fin une certaine surchauffe des valorisations qui nous a conduit par prudence à fermer le fonds à de nouvelles souscriptions. Nous avons alors conservé une poche de liquidité importante et cela a limité notre performance alors que le marché continuait de monter.  

En 2018, dans un contexte où les marchés étaient baissiers, notamment les petites valeurs en fin d’année, nous avons légèrement amorti le choc. A partir de ce moment-là nous avons commencé à réinvestir et fin 2019, trouvant les petites valeurs particulièrement maltraitées, nous sommes devenus très offensifs, ce qui a mis un peu de temps à payer mais aujourd’hui nous récoltons largement les fruits de nos investissements."

Sachant qu’entre temps, il y a eu le krach Covid de mars…

"Bien sûr, et le fonds a logiquement fortement accusé le coup au printemps. Nous avons à ce moment-là réalisé de nombreux arbitrages pour profiter des évolutions peu discriminantes lors du krach. Nous avons rapidement vendu Voyageurs du Monde (pour y revenir récemment néanmoins) et acheté Aubay, dont le titre nous semblait injustement massacré.

Nous avons réalisé des performances extraordinaires sur deux sites de commerces en ligne allemands qui ont vu leur valorisation décupler : Westwing et Home24. Westwing a un modèle de type ventes privées, il ne porte pas les stocks et jouit d’une clientèle fidèle, passionnée de décoration. home24 est une sorte de supermarché de meubles en ligne. Ces deux sociétés introduites par l’incubateur Rocket Internet étaient entrées en 2018 sur des business plans un peu trop agressifs, ce qui a provoqué rapidement une déception quand ils ont publié une croissance forte mais inférieure aux attentes. Lors du grand confinement de début 2020, alors qu’elles valaient moins que leur trésorerie nette, nous nous sommes aperçus que les ventes en lignes de meubles et de décoration explosaient, nous avons donc renforcé ces positions et depuis nous nous sommes laissés portés car nous estimons que la tendance est lourde et que des positions de marché fortes sont en trains de se constituer, avec une valorisation qui reste inférieure au chiffre d’affaires.

Par ailleurs, nous avons eu la chance de bénéficier de quelques OPA comme sur Devoteam ou Groupe Open, sachant que nous investissons de manière générale plutôt sur des consolidateurs naturels que sur des proies.

Enfin, nous avons bénéficié depuis quelques semaines d’un retour des thématiques value et small caps, les small caps étant dans l’ensemble value à l’exception des éditeurs de logiciels qui sont valorisés comme jamais ils ne l’ont été."

Le fonds surperforme sa catégorie sur 5 ans. (Source : Quantalys)

Comment l'équipe de gestion positionne-t-elle le fonds dans cette période particulière ? 

"Avec le vaccin, nous avons opéré peu de changements. Nous avons toujours un quart du fonds qui a profité de la crise sanitaire : Home24, Westwing, Mr Bricolage, Focus Home Interactive ou encore Bourse Direct qui profite de l’arrivée assez massive de particuliers en Bourse. Nous conservons ces valeurs car même si elles sous-performent à court terme, elles s’inscrivent dans une belle trajectoire de long terme. Par ailleurs, nous avons une moitié du portefeuille qui a traversé 2020 sans trop de difficultés, à l’image d’Aubay, Hexaôm, Groupe Guillin, Groupe Open. Enfin, un quart des sociétés a souffert de la pandémie comme les cycliques Akwel, Jacquet Metals, Hyve Group (organisation de salons et d’évènements), ou encore Voyageurs du Monde. Cette partie du portefeuille a évidemment très fortement rebondi depuis début novembre."

Vos rapports de gestion mensuels sont discrets sur les derniers arbitrages réalisés. Pouvez-vous en dévoiler quelques-uns ?

"Nous avons racheté des titres Devoteam, après avoir saisi l’opportunité de sortir à 98€ en juillet (OPA). Cette ESN au positionnement exceptionnel mérite selon nous une prime et non une valorisation banale autour d’une fois ses ventes. Nous avons acheté récemment des actions SAF-Holland, qui jouit d’une position mondiale très solide sur le marché des essieux et autres équipements d’attelage. L’après-vente et les pièces détachées ont un poids considérable sur ce marché, ce qui profite à la visibilité et à la rentabilité. Peu à l’aise historiquement avec la gouvernance de cette société, nous sommes devenus actionnaires à l’occasion de l’arrivée d’un nouveau management qui a d’ailleurs acheté des actions à titre personnel. La valorisation nous paraît attractive avec un PER de l’ordre de 6 dès 2022-2023. Nous avons également investi dans Aures ces derniers mois. Cet acteur des caisses et bornes électroniques était tombé très bas en Bourse, souffrant de la pandémie mais également d’une communication financière déficiente. Pourtant, elle a engrangé des contrats significatifs en 2020, notamment auprès de Subway. Nous attendons d’Aures un changement de taille et des chiffres bien meilleurs dans les toutes prochaines années. Enfin, nous avons vendu Wavestone qui, si qualitative soit-elle, nous semble aujourd’hui bien valorisée."

Le fonds relativement à sa catégorie : point bleu sur le graphique de droite (Source : Quantalys)

En quoi investissez-vous de façon responsable les capitaux que l’on vous confie ?

"De plus en plus, la proactivité des entreprises sur les enjeux ESG devient un avantage concurrentiel et la passivité une source de risque. Il a toujours été indispensable de les évaluer, mais c’est encore plus vrai aujourd’hui. Sur cet aspect, nous essayons d’être les plus proches de la réalité des entreprises et de ne pas exclure a priori une société, pour son appartenance sectorielle par exemple. Nous préférons nous concentrer sur la démarche menée par l’entreprise pour s’améliorer. Prenons l’emballage, et le sujet du plastique. Nous sommes investis dans deux acteurs de l’emballage bien différents : Groupe Guillin, positionné sur l’emballage plastique, et Reno de Medici, positionné sur le carton recyclé. On pourrait rapidement faire le procès de Guillin et louer Reno de Medici, et pourtant quand on y regarde de plus près, les produits de Guillin sont 100% recyclables, incorporent des matières recyclées, et parfois même bio-sourcées, avec environ 15% de l’activité réalisée dans l’emballage carton. De plus, l’emballage plastique est souvent le meilleur matériau pour réduire le gaspillage alimentaire, et les émissions de gaz à effet de serre associés. A l’opposé, Reno de Medici a des process de production très consommateurs d’énergie, en partie à base de charbon. Cela n’empêche pas que cet acteur est engagé dans une démarche de sortie de cette source d’énergie, d’amélioration du traitement de ses eaux d’usine, avec un management très proactif pour réduire ces impacts environnementaux largement hérités du passé. Nous mettons donc les enjeux ESG (Environnement, Social, Gouvernance) au cœur de notre process d’investissement, attribuant des notes internes mais en jugeant avant tout de la démarche adoptée et de la progression d’indicateurs clés déterminés au cas par cas."